« La mer et la chasse sous-marine ont toujours été ma raison de vivre. A 20 ou 25 mètres de profondeur, je me sens dans mon élément.
Les profondeurs marines, les courbes planant au dessus d’incertaines épaves mangées par le temps, sont un spectacle extraordinaire que seule la mer peut te procurer », lance Younes, un natif de l’antique Cartenna, pour qui nul plaisir ne peut égaler celui de chasser un mérou ou une badèche. « C’est une sensation exceptionnelle. Le mérou est un poisson intelligent qui, en cas de menace, se retranche dans une grotte ou sous un rocher. Il faut avoir des tonnes de patience pour le sortir de son abri », déclare-t-il.
A la crique de Sidi Merouane (environ dix kilomètres de Ténès), nichée entre une mer aux eaux claires à l’abri des vents d’est et une forêt de pins maritimes qui embaument toute l’atmosphère, ils sont pas moins de dix chasseurs à se préparer pour une virée en mer. Tenues de plongée, fusils harpons, masques, tubas et palmes « pro », c’est dire qu’ils ont employé les gros moyens pour sortir la dorade et la badèche de leur cachette. « Ces profondeurs sont un réservoir de poissons. Du beau poisson, du mérou, de la badèche, de la dorade, des crustacés… il y a même du corail. A part quelques zodiacs et quelques barques, cette région n’est pas polluée, ce qui permet au poisson de se développer », expliquent Abdelmalek et Khalil, précisant au passage qu’une virée peut durer sept ou huit heures. « Cela dépend de l’âge et des performances physiques du chasseur », ajoutent-ils. Ils sont nombreux les mordus de la pêche sous marine en apnée. Ces dernières années, avec l’ouverture du marché et l’importation d’un matériel de pêche de pointe, cette discipline est en expansion. Entre l’amateurisme et le professionnalisme, elle est appelée à se développer encore dans les prochaines années. C’est ce qu’affirme Toufik, un professionnel de la pêche sous-marine en apnée rencontré à Hadjret Kiouan, entre Oued Goussine et Ténès. « Il y a quelques années de cela, les chasseurs se débrouillaient avec les moyens du bord. Nous n’avions pas un matériel de chasse assez sophistiqué. Mais aujourd’hui, et surtout après l’installation de grands équipementiers de la chasse sous-marine en Algérie, notamment à Alger, Oran et Annaba, les chasseurs ont l’embarras du choix », poursuit-il.
UN FILON QUI RAPPORTE GROS
Plus qu’une activité sportive, la chasse sous-marine en apnée autorisée avec un permis de chasse, est pour des centaines d’Algériens un « job » à plein temps. « Je vis de mes prises. Il faut dire que la chasse sous-marine rapporte gros. Elle est plus rentable en termes de chiffre d’affaires que la pêche à la ligne ou à la gigue », estime Merouane, un natif de Cherchell. « Généralement, un mérou est revendu par les pêcheurs ou les chasseurs à raison de 800-900 DA/kg, un sar entre 500 et 600 DA/kg, un corbe entre 600 et 700 DA/kg », indique-t-il, précisant qu’« avec une bonne pêche, une bonne prise par sortie en mer d’une quantité de 30 à 40 kilogrammes de poissons, on peut rentrer le soir avec une recette de plus de 40.000 DA ». En général, les chasseurs vendent leurs prises à des mareyeurs des pêcheries des villes du littoral, ou à des restaurateurs. Pour autant, le matériel de chasse sous-marine n’est pas abordable pour toutes les bourses : un masque de plongée est vendu entre 3.500 et 5.000 DA, le tuba est généralement offert par le revendeur, des palmes entre 5.000 et 8.000 DA, une tenue de plongée entre 15.000 et 25.000 DA, et les fusils harpons qui se négocient de 10.000 et à 20.000 DA. A cet attirail, il ne faut pas oublier d’ajouter une paire de gants à 2500 DA, une torche à environ 3000-4500 DA, des bottines à 3.000 DA, et un poignard à 1500 DA environ. « Un chasseur, estime Younès, ne sort jamais en mer sans au moins trois fusils harpons, dont un avec moulinet, un pour la chasse à l’agachon et un troisième, puissant, pour les grottes et les dalles d’accès difficile ». Mais pour les mordus de la mer et de la chasse sous- marine, la somme déboursée pour la fourniture du matériel ne peut pas égaler le plaisir de se retrouver dans le monde merveilleux des profondeurs. « Tout l’or du monde ne peut égaler la splendeur des fonds marins », confit Younès.
Rym Boukhalfa