A deux mois et une semaine du renouvellement de la Chambre basse du parlement algérien, il n’est de sondeur ni de prospectiviste en mesure de faire une projection, fut-elle approchante, de la composante des députés qui peupleront la prochaine Assemblée nationale. On sait seulement, déjà, qu’un vieux de la vieille du FLN s’est dit «convaincu que le FLN n’aura pas la majorité aux législatives».
Dans une interview parue le 29 février dernier sur un site d’information électronique, M. Salah Goudjil, qui se trouve être par ailleurs le chef de file des contestataires de l’ancien parti unique, avoue en toute honnêteté son «incapacité de dire, aujourd’hui, comment vont évoluer les choses». Ce qui explique l’amoindrissement des chances de sa formation politique tient, d’après lui, à l’alliance officiellement contractée la semaine passée par trois partis islamistes (voir article ci-contre) et à «l’agrément de nouvelles formations dont on ignore encore le
programme».Alors que l’échéance se rapproche à grands pas et que la classe politique dans son ensemble est dans un état d’impréparation incroyable pour un scrutin aussi décisif que celui, avorté, du 26 décembre 1991, le défaut de lisibilité rend quasiment impossible tout décryptage du paysage politique et institutionnel de l’après-10 mai. La seule lisibilité pour les analystes est celle d’un chemin de campagne, un matin d’hiver, qui se laisse à peine deviner sous un brouillard à découper au couteau. D’où les partis islamistes tiennent-ils donc cette assurance à bomber le torse et qui leur fait dire qu’ils seront les prochains vainqueurs ? Stratégie propagandiste mise à part, les «islamistes modérés» algériens ont pourtant quelque raison de croire que, si l’heure d’une véritable et totale prise de pouvoir n’a pas encore sonné pour eux, le renforcement de leur place dans les institutions s’annonce bien réel, lui. Le problème, ce sont les autres. Et surtout, le poids d’une mouvance démocrate et moderniste réduite au murmure par le «chômage technique» et une guerre d’usure menée contre elle par des forces très puissantes qui l’ont mise sur la voie dangereuse du dépérissement. Avec la même humilité dans le propos, M. Goudjil est pragmatique quand il dit que «Le FLN, en revanche, peut contracter des alliances avec une ou deux formations politiques après les élections pour former un pôle politique majoritaire». Après s’être rabiboché avec celui qui était l’homme à abattre, en l’occurrence M. Abdelaziz Belkhadem, la perspective suggérée par Goudjil ressemble à s’y méprendre à une alliance – ou une reconduction d’alliance – déjà mijotée dans les fourneaux présidentiels. Qui peut croire un seul instant que la réconciliation des deux ailes du FLN, un parti dont le président d’honneur est le président de la République, est dictée par le seul souci de «placer l’intérêt du parti au-dessus de toute autre considération politique» et de «l’unir à la veille des législatives». Goudjil est un trop vieux routier de la politique et des arcanes du FLN pour passer pour un bon samaritain. Dans le «un» ou «deux partis» qu’il évoque pour l’alliance post-électorale, l’ombre du RND se profile d’elle-même. Le troisième partenaire pourrait n’être – sait-on jamais ? – que le MSP et ses nouveaux sous-alliés, ce qui bouclerait la boucle d’un cycle en recommencement. Le MSP, tenant à l’«alimentaire» du pouvoir et à l’enfumage de l’opinion par une pseudo opposition, maintient habilement deux fers au feu. Comme
toujours.Ainsi, si la lisibilité est nulle pour entrevoir le paysage politique tel qu’il sera reconfiguré au lendemain du 10 mai, c’est uniquement du point de vue des instruments de décryptage et d’évaluation auquel on a recours dans une vie politique moderne et modernisée. En Algérie, pour le moment, nul besoin de solliciter les sondages, et les partis politiques n’ont pas tort de s’épargner des dépenses supplémentaires en s’entourant de comités d’experts pour tirer des plans sur la comète. La bonne ruse paysanne et un minimum de connaissance des conditions d’exercice du pouvoir devraient suffire à deviner en reniflant. Un peu comme cette idée qu’a trouvée Saint-Augustin dans une goutte d’eau : «Nous qui sommes nés et avons vécu au milieu des terres, nous nous sommes fait une idée de la mer à la seule vue d’une goutte d’eau dans une petite coupe.»
A. S.