Patronat: Les «regrets» de Rebrab

Patronat: Les «regrets» de Rebrab

«Voir grand, commencer petit et aller vite» est le titre du livre écrit par Taïeb Hafsi, professeur à l’école des Hautes études commerciales (HEC) à Montréal, sur l’expérience du P-DG du groupe Cevital, Issad Rabrab, dans l’entreprenariat en Algérie.

Une conférence a été, dans ce cadre, animée lundi, à l’IDRH d’Oran pour la présentation de l’ouvrage en présence du P-DG de Cevital et du professeur Taïeb Hafsi. Cette rencontre qui a fait salle comble a donné l’occasion aux présents, étudiants, universitaires, économistes et aussi des amis du premier responsable de Cevital d’avoir des réponses sur le secret de la réussite de cet Algérien dans le monde des affaires.

Sur ce point, le P-DG de Cevital ne laisse planer aucun suspense. Il donne la recette en déclarant que pour réussir, il faut aimer son travail. Respecter les lois, gérer son entreprise avec rigueur et gagner son argent honnêtement. Un discours un peu «surprenant» pour l’assistance puisque la règle veut, souligne le professeur Taïeb Hafsi, que «les hommes riches soient toujours taxés de malhonnêteté». Il raconte sur ce point une anecdote qu’il a vécue lorsqu’il faisait ses recherches sur le parcours du P-DG de Cevital et sa réputation auprès de ses amis et aussi de ses ennemis. Il dira concernant sa rencontre avec un ministre: «Quand un ministre me parle de Rabrab, il me dit c’est un salaud celui-là. Je réponds, quelles sont vos informations sur lui? Il répond, je vous dis c’est un salaud, il n’aime pas le président de la République». Pour le professeur de l’école des Hautes études commerciales, «cela démontre la méconnaissance des personnes et les jugements qu’on peut porter sur elles sans en apporter les preuves».

Quant au P-DG de Cevital, il n’a pas hésité lors de cette rencontre à donner son point de vue sur l’économie nationale, les difficultés que rencontrent les entrepreneurs et les raisons de l’inexistence d’un patronat uni.

Il évoque, en premier lieu, l’impact de l’accord d’association avec l’UE en présentant des exemples qu’il qualifie «d’exotiques» entre l’Algérie et l’UE.

«Je vais vous donner quelques exemples exotiques entre l’Union européenne et l’Algérie. Pour le sucre, par exemple, au moment où l’accord a été signé en 2001, l’Algérie importait les 85% de son sucre blanc. Ce qui donne à l’Europe le droit d’exporter vers l’Algérie un contingent de 150.000 tonnes de sucre blanc avec zéro droits de douane tandis que l’Algérie n’a pas le droit à la réciprocité, soit pas le droit d’exporter. Ce que l’Union européenne a donné comme droit d’exporter à l’Algérie est l’exportation de 2.000 tonnes par an de couscous et 2.000 tonnes par an de pâtes alimentaires au moment où l’Algérie a donné à l’UE zéro droits de douane pour 400.000 tonnes de blé importé. 200.000 tonnes de blé dur et 200.000 tonnes de blé tendre». Pour la pomme de terre, dira-t-il, «l’Algérie a le droit d’exporter 5.000 tonnes de pomme de terre fraiche et encore entre janvier et mars. Alors que l’Europe a le droit d’exporter vers l’Algérie 45.000 tonnes de semences de pomme de terre à zéro droits de douane. La semence de pomme de terre coûte 4 fois plus que la pomme de terre fraiche. Pour se moquer de nous, ce que l’Europe nous a autorisé à importer en abondance de l’Europe, ce sont les produits virtuels. Le whisky écossais et du Brandy». Il ajoute que «l’Europe pouvait exporter de la confiture sans problème de contenance de pourcentage de sucre. Tandis que l’Algérie a le droit d’exporter 2.000 tonnes de confiture par an mais à 15% de contenance de sucre. Or la confiture, on le sait, c’est 50% de fruits et 50% de sucre».

Interrogé sur le marché informel, M. Issad Rabrab argumente, «concernant l’informel, je dirai pourquoi on n’essayerait pas de pousser les importateurs vers la sphère de production. C’est très simple. Si on facilitait les choses aux producteurs, on encouragerait la production, les gens viendraient directement de l’informel vers le formel, la production. Mais actuellement, c’est le parcours du combattant pour avoir une assiette foncière et un permis de construire. Ces importateurs qu’on appelle des trabendistes, ce sont des gens courageux. J’ai vu des jeunes parcourir la Chine pour importer des produits et les vendre en Algérie. La seule chose qu’on leur reproche, et encore je dirai que ce n’est pas à eux qu’on le fait directement mais à notre système, c’est de ne pas payer les droits et taxes comme les producteurs payent les droits et taxes sur les importations de la matière première et que ces gens viennent concurrencer ensuite la production nationale. Sinon, moi je leur rends hommage».

A propos de la non-présence de Cevital en bourse, il explique que «ce n’est pas pour un problème de transparence. Nous communiquons régulièrement nos bilans et résultats et nous sommes une des rares sociétés à faire auditer ses comptes par un cabinet d’audit international. Si on n’est pas en bourse aujourd’hui, c’est parce que tous nos projets sont bloqués actuellement. On veut bien investir, on veut bien entrer en bourse. Et pour ne rien cacher, aujourd’hui, Cevital n’a pas besoin de gagner plus d’argent qu’elle ne pourra pas investir par la suite puisque tous nos projets sont bloqués. Nous avons des comptes transparents. On est contrôlés tous les cinq ans. Après chaque élection présidentielle. Je ne sais pas si c’est un hasard».

Le P-DG de Cevital regrette, d’autre part, la dispersion du patronat. «Ce que nous regrettons est qu’en Algérie, il y a d’excellentes individualités. Ce qui est malheureux est que les gens ne voient pas dans le collectif leurs propres intérêts. Il n’y a pas encore l’intérêt collectif. Chacun voit uniquement ses intérêts personnels. Nous sommes l’un des rares pays à avoir plus de sept associations patronales. C’est la meilleure manière de diviser pour régner. Même si le FCE est considéré comme la plus grande association. Mais le fait qu’il n’y ait pas qu’une seule pour toutes les associations, qui ne parle pas d’une seule et unique voix, cela permet au pouvoir de profiter de cette situation et de faire ce qu’il veut. Si une association ne lui plaît pas, il s’adresse à une autre. Comme on dit, l’union, en principe, fait la force. Pour avoir un Etat fort, il faut avoir des associations fortes. Il faut avoir un patronat fort. Il faut avoir un syndicat fort. Il faut avoir une société civile forte». Pourquoi le patronat n’arrive-t-il pas à se réunir? Il répond: «Nous n’avons pas réussi à réunir le patronat parce qu’il y avait un problème de leadership. Chacun préfère être président d’une association même si elle n’est pas représentative, même si elle est une coquille vide plutôt que de faire partie d’une association forte».

Sur la place qu’occupent les ressources humaines dans une entreprise, M. Issad Rabrab insiste que «le meilleur investissement est la formation des femmes et des hommes. Si vous avez des cadres de qualité, vous allez produire des produits de qualité et vous allez avoir un management de qualité. La réussite n’est pas une affaire d’une personne, méfiez-vous, c’est une affaire de toute une équipe».