Capitale de la Méditerranée durant trois siècles, haut lieu de résistance pendant la guerre de libération nationale, terreau fertile d’artistes de renom, la Casbah d’Alger a subi au fil du temps un dépérissement à la fois de son cadre bâti, de ses fonctions économiques, de son poids touristique et de son rayonnement culturel.
Aujourd’hui, elle se bat pour son existence, pour son histoire. L’originalité de son urbanisme qui la distingue des autres cités du Maghreb, lui a valu son inscription en 1992 au patrimoine universel. Un patrimoine que la wilaya d’Alger a toutefois repris en main depuis 2004 avec une série d’actions d’urgence et de restaurations. Cependant, tous ces engagements ont été voués à l’échec, d’autant plus que le joyau de la ville d’Alger est aujourd’hui délaissé, voire abandonné à son triste sort.
Certes, un programme vital est en train de voir le jour concernant la prise en charge et le revêtement de la Casbah, mais l’exécution de ce programme risque d’être lancé en retard, car en face, les murs de la Casbah ne tiennent plus et risquent l’effondrement à tout moment.
Un risque majeur qui menace à chaque moment la Casbah et ses habitants. Si l’urgence de la sauvegarde de la Casbah d’Alger n’est plus à démontrer, il reste en revanche à définir les modalités de mise en œuvre d’une telle action.
Pour cela, dresser un état des lieux était, pour les structures de l’Etat en charge de cet important dossier notamment la wilaya d’Alger, devenu une priorité absolue. Le diagnostic effectué dans ce cadre en 2005, révèle le recensement de 1 523 bâtisses dont 982 de type traditionnel et 541 de type colonial, se répartissant en 1415 bâtisses habitées dont 261 ont été prises en charge à la suite du séisme de 2003, 108 bâtisses évacuées de leurs habitants et murées.
On retiendra aussi que sur les 1 163 bâtisses non encore prises en charge, 48 nécessitent une démolition, 46% des bâtisses, soit 533, se trouvent dans un état dégradé et doivent faire l’objet d’un confortement et d’une réhabilitation, près de 36% des bâtisses, soit 416 présentent un état moyen, nécessitant une réhabilitation, seuls 13%, soit 147 bâtisses sont en bon état nécessitant de légères interventions. Il y a lieu de noter une «suroccupation» des logements, avec une moyenne de 3 à 5 personnes par pièce, entraînant une grande promiscuité.
Un état des lieux, comme on le constate, très alarmant, aggravé par le phénomène de squat des bâtisses déjà évacuées. Ce quat est estimé à 261 bâtisses abritant 1166 familles, ainsi que par l’existence de centres de transit au nombre de 26 occupés par 204 familles depuis les années 1980 et 1990. Le patrimoine immobilier non recensé fait part de l’existence de 209 parcelles de terrains de différentes tailles, englobant une superficie de plus de 2 hectares. Le patrimoine immobilier aussi bien bâti que non bâti est à 90% de statut privé, les 10% restants appartenant à l’OPGI, à la régie foncière et au habous.
10 000 logements consacrés aux habitants de la Casbah depuis l’indépendance
Bien que l’Etat ait consacré à la Casbah près de 10 000 logements depuis l’indépendance, la situation ne semble guère s’améliorer dans ce domaine. La vieille Cité demeure un centre de transit permanent et le désintéressement des propriétaires privés de leurs biens est pour beaucoup dans cette situation.
C’est ainsi qu’il est apparu la nécessité de mettre en place un plan de sauvegarde ayant pour but de freiner le processus de marginalisation de la médina pour inverser ensuite cette tendance, de mettre en place un processus opérationnel qui intègre le site de la Casbah dans la nouvelle vision de la métropolisation d’Alger et enfin d’intégrer une démarche concertée, basée sur l’écoute qui doit accompagner l’ensemble du projet tout en impliquant les auteurs socioéconomiques. Par ailleurs, la réhabilitation des bâtisses, la restauration des édifices à caractère culturel ont coûté à l’Etat un montant global dépassant les 23 milliards de dinars dont 800 millions de dinars sur budget de wilaya. En plus de la restauration du patrimoine, un certain nombre d’opérations ont été menées depuis 2004 par la wilaya dans le domaine de l’éradication du commerce informel le long des rues de la basse Casbah avec l’organisation de deux marchés au niveau du quartier Lallahoum dont ont bénéficié plus de 950 personnes. Cela a permis, dans un premier temps, l’évacuation de près de 100 000 tonnes de gravats et autres détritus de l’intérieur de la vieille cité, ce qui a eu pour mérite d’améliorer le cadre environnemental, à la grande satisfaction des Kasbadjis.
Les autres mérites de cette opération sont le dégagement de la circulation, automobile et piétons, des principaux accès à la casbah, notamment les alentours de la mosquée Ketchaoua, les rues Bab El Oued, Bab Azzoun, Amar El Kama et Bouzrina. La wilaya d’Alger, qui accorde un intérêt particulier au patrimoine à caractère historique et culturel, a contribué de manière conséquente dans la réhabilitation d’un grand nombre de palais comme la maison du millènaire (siège de la direction de la culture), le palais Dar Essouf, qui était squatté par des familles jusqu’en 1999 (affecté au ministère de la Culture), le palais Mustapha Bacha en cours (affecté lui aussi au ministère de la Culture qui en a fait le musée de la miniature), le palais Dar Aziza (siège de l’Agence nationale d’archéologie), le palais Ahmed Bey (siège administratif du TNA), le palais Dar El Hamra (affecté au ministère de la Culture), le palais Dar Khedaouedj El Amia (siège du Musée des arts et traditions populaires), le palais des Raïs ou Bastion 23 (Centre des arts et de la culture), la Citadelle (siège de la circonscription archéologique d’Alger). Pour ce qui est des édifices religieux, deux grandes mosquées (Djamaâ El Kebir et Djamaâ El Djedid) ont été réhabilitées, Ketchaoua est en cours de restauration alors que la mosquée Ali Betchine n’attend plus que les tapis. Il y va même pour les mausolées des saints de la ville comme le complexe Sidi Abderahmane, Sidi Flih, Sidi Mansour, Sidi Ouaddah et Ouali Dada, dont la restauration est terminée. La restauration a touché également les mausolées de Sidi Hellal, Sidi Ben Ali, Sidi Ibrahim, Sidi Abdullah et la mosquée Sidi Bougdour. Ces édifices datent de l’époque ottomane.
La propriété privée, un vrai casse-tête
La loi portant protection du patrimoine «La Casbah d’Alger», prévoit des dispositions visant le recours à l’expropriation pour cause d’utilité publique chaque fois que les propriétaires refusent ou se trouvent dans l’incapacité d’entretenir leurs biens. En revanche, l’Etat est disposé, conformément à la loi, à garantir le relogement des «occupants de bonne foi».
De leur part, les propriétaires sont tenus soit de faire une donation de leurs biens à l’Etat, en contrepartie de leur relogement ou de celui des héritiers qui résident dans la bâtisse, soit de s’engager à respecter les prescriptions du plan de sauvegarde, à assurer le gardiennage de leur bien et à éviter tout squat et de ne céder ni de louer leur bien sans autorisation préalable de l’administration. Aujourd’hui, plusieurs centaines de familles ont bénéficié de cette loi ; cependant, plusieurs autres refusent cet engagement de l’Etat. Cela dit, aujourd’hui, plusieurs de ces familles entêtées résident dans des bâtisses menaçant d’effondrement.
Les mendiants d’Alger-Centre dorment dans un bain maure
«Retranchés» dans un bain maure de la Casbah, des dizaines de mendiants d’Alger-Centre, de Bab El Oued et de la place des Martyrs n’ont trouvé leur salut que dans cette belle citadelle d’Alger. L’image est insoutenable, âgés entre 25 et 65 ans, ces mendiants, et après une longue et fatidique journée passée dans la mendicité dans les rues d’Alger, se retrouvent le soir dans un bain maure de la Casbah. C’est leur seul refuge, expliquent certains habitants dont nous avons pu avoir leurs témoignages, malgré plusieurs difficultés.
Ces mendiants viennent de tous horizons, ils sont natifs de plusieurs villes du pays. Certains sont venus des wilayas du Sud du pays à la recherche d’un boulot. Ils ont été «frappés» par la cherté de la vie et n’ont trouvé aucun moyen pour rejoindre leurs familles, alors ils ont fini, par la force des choses, par rester à Alger, et s’adonner à la mendicité. Aujourd’hui, ils sont pris au «piège» de cette situation, et il est déjà trop tard pour eux de renoncer à leur nouveau travail. Affaire à suivre.
Par Sofiane Abi