Patrice Carteron : «A Ouaga, l’Algérie pouvait facilement battre le Mali»

Patrice Carteron : «A Ouaga, l’Algérie pouvait facilement battre le Mali»

C’est avec un grand déplaisir que Patrice Carteron nous a accueillis à l’hôtel des Aigles. Sélectionneur du Mali, l’ancien joueur de Lyon et de l’AS Cannes, a accepté de répondre à toutes nos questions.

Demi-finaliste de ce tournoi, Carteron, pressenti à la JSK et au MCA en début de saison, veut gagner ce titre et l’offrir au peuple malien qu’il considère aujourd’hui comme le sien. Bien qu’il est le plus jeune entraîneur du tournoi et qu’il n’a aucune expérience dans ce genre de tournoi, il este convaincu que l’essentiel dans le métier qu’il fait est la gestion humaine, non pas l’expérience. Ses modèles sont José Mourinho et Aimé Jacquet. Entretien.

On imagine que vous êtes très contents du parcours que vous réalisez avec le Mali jusque-là…

– Oui, content et fier, surtout de mes joueurs. On est là en demi-finale. On vient d’éliminer le pays organisateur, maintenant, il faudra avancer et aller le plus loin possible dans cette compétition. Ça va être difficile, très même, parce que nous allons affronter soit le Nigeria, soit la Côte d’Ivoire, mais on a envie d’y croire et d’aller encore plus loin dans cette compétition.

– Vous vous attendiez à cet exploit ?

– Oui, penser qu’on était capables d’aller en demi-finale, mais comme vous le savez déjà, il y a une nation qui est au-dessus de tous dans le continent africain, c’est la Côte d’Ivoire. Les autres ont tous des niveaux similaires, mais après les matchs se jouent à très peu de choses. On l’a vu avec l’Algérie ou la Tunisie. Même des grandes nations de football peuvent être éliminées au premier tour dans ce genre de tournoi. La chance, la réussite, être en force au bon moment, et puis le supplément d’âmes qui fait des fois la différence sont tous des éléments qui peuvent être importants. J’ai le bonheur d’avoir tout ça et d’être aujourd’hui en demi-finale. Mais encore une fois, je le dis, ça se tient vraiment à peu de choses, je savais, j’étais même convaincu qu’on avait le potentiel d’arriver au moins en demi-finale.

– Mais Marcel Desailly pensait le contraire, il a même pronostiqué que vous alliez vite retourner chez vous…

– Oui, l’ancien sélectionneur, Giresse en l’occurrence, ne croyait pas non plus en cette équipe. Je suis désolé, mais je ne vois pas du tout comment on pourrait ne pas croire en ces joueurs ? C’est insensé. Il a même dit, je crois, que la demi-finale que le Mali a jouée l’année dernière était un coup de chance… Moi, je crois que le football malien a beaucoup progressé. Même si cette équipe a été remaniée, je trouve qu’elle a vraiment du potentiel. Il faut juste savoir utiliser ses qualités. Le football au Mali a beaucoup de qualités, et je reste convaincu qu’un jour ou l’autre, on pourra gagner ce trophée et récolter les fruits du travail de fond qu’on a entamé depuis le mois de juillet dernier.

– Et maintenant, on a envie d’aller jusqu’au bout ?

– Oui, on a très envie. Mais il ne faut pas se mentir à soi-même. Comme je l’ai dit, on pourrait tomber sur la Côte d’Ivoire ou le Nigeria qui nous sont supérieurs. Je pense qu’on a à peu prés 10% de chances de passer et c’est la vérité. Maintenant, on l’a vu par le passé, il y a de très bons exemples, comme la Zambie, ou mieux, l’Egypte, qui a été trois fois championne d’Afrique, non pas parce qu’il y avait des stars, mais grâce à son collectif. Cela dit, il faut vraiment être à 100% pour se donner les moyens de tenter un exploit même contre un adversaire qui nous est supérieur.

– 10% quand même, vous exagérez un peu, vous ne pensez pas ?

– Non, 10%, la différence entre nous et la Côte d’Ivoire est réelle. Je dis bien 10%.

– Mais vous pouvez aussi, avec un peu de chance, tomber sur le Nigeria ?

– Pour être honnête avec vous, je n’ai aucune préférence. J’ai l’avantage d’avoir joué hier soir, donc je vais tranquillement regarder le match de ce soir (Ndlr, l’entretien a été réalisé hier à l’hôtel des Aigles). Ce sont deux grandes nations de football et les deux nous sont supérieures, mais cela ne veut aucunement dire que je m’avoue vaincu. Il faut être lucides et se dire que pour avoir une chance de passer, il faudra un match historique.

– Cela vous fait quoi d’être le plus jeune sélectionneur du tournoi ?

– Oui, je n’ai que 43 ans. C’est vrai que j’ai eu à répondre à cette question depuis que j’ai commencé ce travail. J’ai été le plus jeune entraîneur de L2 en France, je n’avais que 37 ans, puis, le plus jeune entraîneur en L1, et maintenant, le plus jeune sélectionneur de cette CAN. Je le vis bien, c’est une motivation supplémentaire, ça me pousse à montrer que contrairement à ce qu’on peut penser, il ne faut pas avoir 20 ans d’expérience pour réussir dans ce job, surtout qu’on a joué 15 ans dans le haut niveau. C’est mon cas. J’ai été capitaine, j’ai n’ai raccroché les crampons qu’à l’âge de 37 ans et cela me permet aujourd’hui d’établir des relations solides avec mes joueurs.

– Ce faible écart d’âge ne vous aide pas un peu à les comprendre et à être leur copain…

– Je fonctionne beaucoup dans la gestion humaine. Après, si ça m’aide ou pas… Vous savez, il y a des moments où il faut être dur avec ses joueurs et d’autres où il faut être plus sobre. Après, c’est au coach de choisir les moments… Le faible écart d’âge peut peut-être m’aider à faire passer certains messages plus facilement que d’autres collègues, mais comme je vous l’ai dit, tout est une question de gestion humaine.

– Vahid Halilhodzic a choisi le black-out, il s’est renfermé avec ses joueurs à l’hôtel pendant tout le premier tour, aujourd’hui, on est éliminés. Vous, par contre, vous donnez plus de liberté à vos joueurs et vous êtes toujours là, vous ne pensez pas que ce détail peut être considéré comme la raison de votre succès et celle de l’échec de l’Algérie ?

– Avant tout, les joueurs sont des hommes et il faudra les traiter comme tels. Chacun connaît ses limites, ils sont des professionnels et je n’ai pas besoin de leur imposer quoi que ce soit pour qu’ils fassent ce qu’on attend d’eux. Si on ne s’intéresse pas aux hommes, je ne vois pas comment on pourra tirer le meilleur d’eux. Mais ça, c’est personnel, c’est ma méthode, après chacun a sa façon de faire. Comme je vous l’ai dit, la première considération pour un coach est la gestion humaine, la gestion des mentalités. Moi, j’ai développé ça dans ma formation d’entraîneur où j’ai présenté un mémoire sur la préparation psychologique des footballeurs. Je pense qu’il y a un déficit dans le football de ce côté-là. Quelqu’un comme José Mourinho est compétent dans cette conception. Il donne la priorité au côté psychologique, il est très fort dans la gestion du groupe, des mentalités et des hommes, et c’est ce qu’il fait, je pense qu’il est le meilleur entraîneur au monde. Aimé Jacquet, aussi, est fort dans ce domaine, il a gagné la Coupe du monde. Moi, je crois beaucoup à ça et je suis sûr que sans dynamique du groupe, quelle que soit la qualité des joueurs qu’on a, on n’arrivera absolument à rien.

– C’est ça votre secret alors ?

– Je n’appellerai pas ça un secret, mais je suis sûr que c’est ce qui fait la différence, surtout dans ce genre de tournoi. Aujourd’hui, toutes les équipes sont bien réparées physiquement, bien organisées tactiquement et le niveau des joueurs est presque le même. C’est la gestion humaine qui fait la différence. Bien sûr, il y a aussi la chance et la forme du jour, mais à mon avis, la notion du groupe, de la motivation est la clé de la réussite et c’est là qu’intervient le rôle d’un entraîneur ou d’un sélectionneur.

– C’est quoi la différence entre gérer des joueurs français et avoir affaire à des joueurs africains.

Parce que la mentalité n’est pas la même, les coutumes et les traditions aussi…

– Je me suis simplement adapté au continent où je vis. Si j’ai fait le choix de vivre à Bamako, c’est justement pour mieux connaître les Maliens, leurs coutumes, culture et traditions. Depuis quelque temps, j’arrive à mieux comprendre mes joueurs, je sais d’où ils viennent, comment ils réfléchissent, ce qui est sacré pour eux et ce qui est banal. Cela me permet d’abord d’avoir une gestion cohérente du groupe, et puis, quand il faut être dur et, surtout, quand est-ce que je pourrais me montrer plus soft avec eux.

– Parlons un peu si vous voulez de l’Algérie. Avez-vous suivi les matchs face à la Tunisie, au Togo et la Côte d’Ivoire et quelles sont vos conclusions ?

– Oui, bien sûr que je les ai suivis. Tout à l’heure quand je disais que cette compétition était difficile et qu’il fallait avoir à la fois de la réussite et d’arriver en bonne forme dans ce tournoi, cela a été prouvé avec l’Algérie et même le Maroc et la Tunisie. Les trois pays du Maghreb ont été vraiment malchanceux dans cette compétition. Le résultat Algérie-Tunisie ne reflétait pas la physionomie du match. Même chose lors de vos deux autres matches face au Togo et la Côte d’Ivoire. Vous avez joué et dominé, mais à la fin, vous avez perdu, ça s’est joué à peu choses. Encore une fois, je pense que cette élimination précoce ne reflète en rien le niveau de l’Algérie, parce que vous avez une bonne équipe, de bons joueurs et surtout un bon entraîneur.

– Comment imaginez-vous le dernier match qualificatif pour le Mondial 2014 à Alger ?

– Cela dépendra de la situation dans le groupe de chaque équipe d’ici le mois de septembre prochain. Les résultats de nos autres matchs seront importants. Malheureusement pour nous, l’Algérie sera un adversaire redoutable lors de ces éliminatoires. C’est notre concurrent direct et le match de septembre sera, je pense, décisif. Si on arrive en Algérie avec un déficit ou à égalité, ça sera très difficile pour nous d’aller chercher un résultat là-bas, mais encore une fois, ça montre bien la difficulté de cette CAN. On peut se faire éliminer au premier tour ou gagner le trophée en ayant le même niveau, et c’est là qu’il faudra faire preuve d’humilité.

– A la place de Vahid Halilhodzic, comment gériez-vous cette élimination et attaquer le Bénin dès le mois de mars prochain ?

– Je ne suis pas Vahid Halilhodzic. J’ai ma méthode et il a la sienne, mais dans les deux cas, il est impératif de faire preuve de beaucoup d’humilité. La fédération devra aussi prendre du recul par rapport à cette élimination. Je sais qu’on attendait beaucoup de votre sélection lors de cette CAN, mais ce qui est fait est fait, il faut penser à l’avenir.

– Donc, pour vous, l’élimination au premier tour n’a pas changé l’idée que vous aviez de l’Algérie avant ce tournoi ?

– Non, pas du tout. Je pense que vous méritiez beaucoup mieux que ça. Cette élimination est très sévère, vu le potentiel qu’il y a en Algérie, vous auriez pu aller beaucoup plus loin. Je le pense vraiment.

– Pensez-vous que le maintien du coach était une bonne décision ?

– Comme je suis coach, alors je vous dirai que oui. Forcément, les dirigeants vivent en interne, donc ils ont conscience du travail qui est fait. Selon mes informations, tout le monde était content du travail qui a été fait par Vahid Halilhodzic. Ce n’est pas trois matchs qui vont tout effacer.

– Vous avez certainement regardé le match Mali-Algérie qui s’est joué au Burkina Faso. Quels sont vos enseignements ?

– Oui, je l’ai même regardé plusieurs fois, ça m’a servi pour préparer notre match face au Botswana, mas j’ai eu aussi une idée sur votre équipe. Je pense que l’Algérie pouvait facilement l’emporter et prendre au moins un ou deux buts d’avance en première mi-temps. Mais en restant à un but à zéro, le Mali a pu revenir grâce à deux coups de pied arrêtés. Mon constat était que l’Algérie était un concurrent redoutable, une très bonne équipe qui peut éventuellement prétendre à se qualifier dans ce groupe au Mondial 2014 au Brésil. L’Algérie, malgré son élimination, reste une grande nation de football dans le continent.

– Vous redoutez un peu ce match face à Algérie ?

– Oui, bien sûr. Surtout si on arrive en Algérie avec une obligation de gagner. Actuellement, je ne vois pas comment notre équipe pourra s’imposer sur le sol algérien. Je connais l’engouement du peuple algérien et je peux vous dire que ça n’a rien à voir avec le public sud-africain.

– Quels sont les joueurs algériens que vous connaissez et que vous redoutez ?

– Je connais tous les joueurs algériens, surtout ceux qui ont déjà évolué en France, comme Feghouli, Boudebouz… Mais celui que je connais le plus, c’est Fouad Kadir. J’ai eu la chance de jouer avec lui lors de ma dernière année à l’AS Cannes, il était encore un gamin, c’est un bon gars, un garçon magnifique. Je suis d’ailleurs très content qu’il signe à l’OM. J’aurais un grand plaisir à le revoir en septembre prochain, quel que soit l’enjeu et quel que soit le résultat final.

– Pensez-vous que le parcours du Mali et de l’Algérie changera quelque chose pour ce match ?

– Je pense que ça va aider les Algériens à être plus motivés pour la Coupe du monde. De notre côté, ça peut nous déstabiliser en nous voyant plus beaux qu’on ne l’est. Mais comme je vous l’ai dit, ce sont deux compétitions différentes, avec beaucoup d’espaces entre les matchs, et là encore, on reviendra à la fameuse gestion du groupe…

Merci M. Carteron…

– Merci à vous, on se reverra donc au mois de septembre à Alger…

A. B.

«Garder Vahid était une très bonne décision»

«Ça aurait été dommage d’ignorer le travail que fait Halilhodzic avec l’Algérie»

«La FAF doit prendre du recul par rapport à votre échec»

«L’élimination de l’Algérie est très sévère»

«J’ai regardé plusieurs fois le match Mali-Algérie»

«Je connais tous vos joueurs»

«Vous êtes notre plus grand concurrent pour la course au Mondial»

«Votre élimination ne changera en rien au match de septembre»

«Vahid a sa méthode, j’ai la mienne»

«Je ne crois pas que le black-out imposé par Vahid est la raison de votre échec»

«Je donne de la liberté à mes gars, parce que ce sont des professionnels, des hommes»

«J’ai joué avec Kadir à l’AS Cannes, c’est un sacré joueur»

«Je ne vois pas comment on pourrait vous battre devant votre fameux public»

«Giresse et Dessailly ont eu tort de ne pas croire en nous»

«Je suis installé à Bamako pour mieux connaître mes joueurs»

«Mon secret ? La gestion humaine, la psychologie, le travail de fond»