Pas d’Etat de droit et de régulation du marché intérieur sans l’intégration de la sphère informelle

Pas d’Etat de droit et de régulation du marché intérieur sans l’intégration de la sphère informelle

L ‘objet de cette contribution est d’analyser un facteur essentiel de la régulation du marché intérieur à savoir la sphère informelle dominante au niveau de l’économie algérienne.

Quatre thématiques seront au centre des débats de ces assises nationales prévues les 25 et 26 juin à Alger. Ces ateliers font suite aux regroupements de wilayas et aux assises régionales durant la période du 27 mars au 27 avril 2011.

La première thématique traitera de l’organisation et la réglementation de la sphère commerciale, la deuxième thématique du commerce extérieur dont la promotion des exportations hors hydrocarbures ; la troisième du contrôle économique et commercial et la qualification des ressources humaines et le rôle de la communication intra secteur et extra secteur seront l’objet du quatrième atelier. Espérons que cette rencontre sera productive, et non une réunionite de plus sans effets sur le terrain tout en précisant que le Ministère du commerce n’est qu’un instrument de l’exécutif.

Les distorsions qui apparaissent au niveau de la sphère commerciale sont souvent imputables aux dysfonctionnements des structures de l’Etat et à la politique économique d’ensemble qui concernent plusieurs départements ministériels. Comme certains dossiers lourds comme l’Accord d’Association avec l’Europe ou l’adhésion à l’OMC engageant la sécurité nationale du pays lui échappe.

1- Un bref rappel de la télématique du commerce extérieur

Je rappellerai brièvement l’importance de l’atelier deux concernant le commerce extérieur dont l’Accord d’Association avec l’Europe signé le 01 septembre 2005 où l’Algérie demande la révision de certains articles notamment le dégrèvement tarifaire de certains produits en 2020 au lieu de 2017. C’est que le 19 juin 2001, contrairement à ce qui avait été annoncé par certains officiels, Alger et Bruxelles ne sont pas parvenus à un accord global pour le report à 2020 de la date butoir, prévue en 2017.

Concernant les négociations avec l’organisation mondiale du commerce (OMC) où j’ai rappelé récemment dans plusieurs contributions nationales et internationales que l’Algérie contrairement à certains discours officiels ne pourra être membre de l’OMC ni en 2012, ni en 2014 du fait de l’actuelle politique économique du retour au tout Etat, l’Algérie ayant déjà participé à 10 ronds de négociations et répondu à 1640 questions. Sur les 96 autres questions restantes, 13 stratégiques restant en suspens les plus importantes fondant la libéralisation, posées notamment par les Etats Unis d’Amérique et l’Europe, piliers de l’OMC.

Les accords avec l’OMC, qui s’inscrivent dans un espace mondial concernant uniquement le volet économique, reprennent les grandes lignes de l’Accord qui lie l’Algérie depuis le 1er septembre 2005 à l’Europe, qui s’inscrit dans un espace régional mais en incluant des volets politiques et culturels. Ces accords qui précède ont des incidences stratégiques sur le devenir tant de l’économie que de la société algérienne : interdiction du recours à la «dualité des prix « pour les ressources naturelles ; élimination générale des restrictions quantitatives au commerce (à l’import et à l’export) ; normes de qualité pour protéger la santé tant des hommes que des animaux (règles sanitaires et phytosanitaires);obligation d’observer les règles de protection de l’environnement dans l’usage de l’énergie pétrolières , les accords environnementaux conçus, certes, en dehors de l’OMC, ont été intégrés dans les préoccupations de l’OMC lorsque cet aspect nuit au bon développement du commerce ; mesures concernant la liberté des mouvements de capitaux (transfert de profits) , la propriété intellectuelle dont la protection est une condition essentielle de l’investissement direct étranger et du développement de la sphère réelle nationale afin de lutter contre le piratage et, donc, l’intégration de la sphère informelle. D’une manière générale, l’adhésion de l’Algérie à l’OMC lui imposera l’ouverture des frontières et la spécialisation accrue suscitée par la mondialisation. Pur ma part, j’articulerai ma démonstration autour de l’atelier le plus important à savoir la première thématique en insistant sur les liens dialectiques entre la sphère informelle et la régulation.

2- Télématique du commerce intérieur et poids de la sphère informelle

Le concept de «secteur informel» apparaît pour définir toute la partie de l’économie qui n’est pas réglementée par des normes légales. Il y a lieu de différencier la sphère informelle productive qui crée de la valeur de la sphère marchande spéculative qui réalise un transfert de valeur. L’extension de la sphère informelle est proportionnelle au poids de la bureaucratie qui tend à fonctionner non pour l’économie et le citoyen mais en s’autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique et traduit le divorce Etat/citoyens comme en témoigne la méfiance de l’utilisation du billet de 2000 dinars, la monnaie étant avant tout un rapport social de confiance.

Que nos responsables visitent les sites où florissent l’informel de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud et ils verront que l’on peut lever des milliards de centimes à des taux d’usure mais avec des hypothèques existant une intermédiation financière informelle. Cela explique l’abandon d’exiger un chèque pour un montant supérieur à 500.000 dinars, mesure qui devait être appliquée à compter du 02 avril 2011, en rappelant que cette même mesure a achoppé entre 2007/2008 avec l’exigence d’un chèque pour 50.000 dinars. Les mesures autoritaires bureaucratiques produisent l’effet inverse et lorsqu’un gouvernement agit administrativement et loin des mécanismes transparents et de la concertation social, la société enfante ses propres règles pour fonctionner qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat entre les citoyens, s’éloignant ainsi des règles que le pouvoir veut impose. Dans ce cadre, la structuration et restructuration de la société face à la réalité économique et sociale produit des initiatives informelles qui émergent impulsant une forme de régulation sociale.

Face aux difficultés quotidiennes, le dynamisme de la population s’exprime dans le développement des initiatives économiques informelles pour survivre, ou améliorer le bien-être, surtout en période de crise notamment pour l’insertion sociale et professionnelle de ceux qui sont exclus des circuits traditionnels de l’économie publique ou de la sphère de l’entreprise privée. Faute d’enquêtes précises, en matière d’emplois, en prenant les données de certaines enquêtes de 2008/2009, contrôlant environ 4O% de la masse monétaire en circulation hors banques mais beaucoup plus si l’on inclut les transactions en nature, en 2011 avec un effet cumulatif, nous aurons un taux variant entre 35/40% de la population active avec une contribution dans la formation du PIB (produit intérieur brut) hors hydrocarbures un ratio approximativement de la même grandeur. L’Office national des statistiques (ONS) a par ailleurs mis en relief le 20 juillet 2010 relatif à une enquête du second semestre 2009 selon lequel la moitié de la population occupée n’était pas affiliée à la sécurité sociale, soit un taux de 50,4% de l’ensemble des travailleurs occupés.

Par ailleurs, 69,1% des salariés non-permanents et 80,1% des travailleurs indépendants n’étaient pas affiliés à la sécurité sociale durant la même période soit un occupé sur deux. La proportion des occupés du monde rural qui ne sont pas affiliés à la sécurité sociale représentante 60,1%, tandis qu’elle est de 46,3% dans le monde urbain. Concernant justement l’évasion, pour l’Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA, dans une déclaration du 19 mai 2009 reproduite par l’agence officielle APS, le manque à gagner induit par l’évasion fiscale dans les transactions commerciales en Algérie dépasse 200 milliards de dinars annuellement, soit au cours actuel soit 2,6 milliards de dollars différence de taille, tout en précisant que 80% des transactions commerciales se font sans aucune facturation, alors que 70 à 80% des transactions utilisent le « cash », comme moyen de payement et que l’approvisionnement des 2/3 de la population provient de la sphère informelle. A travers l’ensemble du territoire national, toujours selon cette organisation, plus de 50% du marché algérien est occupé par cette sphère et plus de la moitié du chiffre d’affaires des activités commerciales échappe au Trésor public.

3– Sphère informelle, politique économique et pouvoir d’achat des citoyens

L’autorisation de l’importation des friperies par la loi de finances complémentaire 2011, alors que le gouvernement avait fait une promesse utopique de relancer le segment textile, alors que la production de l’Asie à des prix qui défit toute concurrence même pour les USA et les Européens, le DG de douanes reconnaissant même que 60% des produits importés sont contrefaits traduit en fait à la fois une incohérence de la politique économique et la détérioration du pouvoir d’achat des Algériens.

L’Algérie produit presque toutes ses richesses en dollars : 98% des recettes du pays sont issues des exportations d’hydrocarbures et importe plus de 70% des besoins des entreprises et des ménages dont 60% des importations se font en euros, démontant une productivité globale faible n’existant pas de véritable politique salariale mais une redistribution passive de la rente( emplois fictifs) pour une paix sociale éphémère, alors qu’ une Nation ne distribue que ce qu’elle a préalablement produite si elle veut éviter la dérive.

À cela s’ajoute le fait que sur les 157 milliards de dollars de réserves de changes une grande fraction est libellée en dollars dont 45% en bons de trésor américain alors que le taux directeur de la FED très faible donnant avec le taux d’inflation mondial un rendement allant vers zéro , idem pour les 45% des autres banques centrales européennes. Le constat est donc amer, pour les petites bourses, en l’absence de mécanismes de régulation et de contrôle, les prix des produits de large consommation connaissent, comme de coutume, notamment à la veille de chaque mois de Ramadhan, des fêtes religieuses ainsi qu’à l’approche des rentrées sociales, des augmentations sans précédent, les discours gouvernementaux et les organisations censés sensibiliser les commerçants ayant peu d’impacts, prêchant dans le désert, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques. Cette sphère contrôle quatre segments-clefs : celui des fruits et légumes, de la viande, celui du poisson pour les marchandises locales et pour l’importation, le textile – chaussures qui constitue avec la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité et selon nos enquêtes par échantillonnage 80% du revenu moyen s’adressant à cette sphère.

L’inflation est source de concentration des revenus au profit des rentes favorisant en Algérie l’extension de la sphère informelle. Si l’on maintient ce mode de gestion avec l’envolée de la non maitrise de la dépense publique et des salaires versées sans contreparties productives, via toujours la rente, ce processus risque de s’accroître entre 2011/2014, avec ce paradoxe en 2011, des réserves de change de plus de 157 milliards de dollars presque équivalente au produit intérieur brut. Aussi, n’existe pas de corrélation entre les dépenses publiques 200 milliards de dollars entre 2004/2009 et le taux de croissance inférieur à 3% pour cette période montrant un gaspillage des ressources rares et l’on prévoit 286 milliards de dollars entre 2010/2014 dont 130 sont des restes à réaliser des programmes de 2004/2009.

Gouverner étant de prévoir, il s’agit d’éviter de se réfugiant dans le court terme par des dépenses monétaires colossales, sans se préoccuper de la bonne gestion, assurant une paix sociale fictive, grâce à cette ressource non renouvelable que sont les hydrocarbures. L’Algérie selon certains scénarios tendra vers l’épuisement des hydrocarbures dans 20/25 ans pour le gaz, moins si le prix du gaz non conventionnel se maintient à 4/5 millions de dollars le MBTU et la généralisation des énergies renouvelables et 16 ans pour le pétrole et ce tenant compte de la forte consommation intérieure. Or, 2025/2030 c’est demain, l’Algérie étant indépendante depuis 49 ans.

4 – Liens entre sphère informelle et État de droit

Il existe une corrélation étroite entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle, la corruption et le divorce Etat/citoyens, alors que son intégration intelligente selon une vision cohérente, au moyen d’un nouveau mode de régulation dont sa légalisation au moyen de la délivrance des titres de propriété est urgente, les mesures autoritaires étant inefficaces. Pour les économistes, qui doivent éviter le juridisme, dans chacune de ces cas de figure nous assistons à des logiques différentes tant pour la formation du salaire et du rapport salarial, du crédit et du taux d’intérêt qui renvoient à la nature du régime monétaire dualiste.

La formation des prix et des profits dépendent dans une large mesure de la forme de la concurrence sur les différents marchés, la différenciation du taux de change officiel et celui du marché parallèle, de leur rapport avec l’environnement international ( la sphère informelle étant en Algérie mieux insérée au marché mondial que la sphère réelle) et en dernier lieu leur rapport à la fiscalité qui conditionne la nature des dépenses et recettes publiques, en fait par rapport à l’Etat, le paiement de l’impôt direct étant un signe d’une plus grande citoyenneté, les impôts indirects étant injuste par définition puisque étant supportés par tous les citoyens riches ou pauvres. Aussi, l’économie informelle est réglée par des normes et des prescriptions qui déterminent les droits et les obligations de ses agents économiques ainsi que les procédures en cas de conflits ayant sa propre logique de fonctionnement qui ne sont pas ceux de l’Etat, nous retrouvant devant un pluralisme institutionnel/juridique contredisant le droit traditionnel enseigné aux étudiants d’une vision moniste du droit.

La construction d’un État de Droit est inséparable de l’instauration d’une véritable économie de marché concurrentielle impliquant à la fois de réorienter toute la politique socio-économique vers les véritables segments de croissance , l’actuelle misant que sur les infrastructures étant suicidaire et de réactiver en urgence le conseil de la concurrence afin d‘éviter tout monopole qu’il soit public ou privé source de rentes de situation, des surcouts et de gaspillage ainsi que l’élaboration d’un fichier informatisé reliant les ports, les banques, la douane, la fiscalité et les directions de commerce. Cela pose d’ailleurs la problématique des subventions qui ne profitent pas toujours aux plus défavorisées (parce généralisables à toutes les couches) rendant opaques la gestion de certaines entreprises publiques.

Le défi est donc d’intégrer cette sphère informelle, qui avec la cellule familiale et des transferts sociaux de l’Etat mais mal ciblés, joue temporairement de tampon social. Cela est une des conditions du passage d’une économie de rente à une économie productive y compris les services qui ont un caractère de plus en plus marchand.

La lutte contre la mauvaise gestion et cette corruption qui se généralise impliquent de nouveaux mécanismes de régulation, souvent n’étant pas une question de lois qui souvent ne sont pas appliquées, l’efficacité des institutions et une moralisation au plus haut niveau devant donner l’exemple. Cela passe par l’approfondissement de la réforme globale dont la base philosophique sont LES LIBERTES, loin de toute tutelle paternaliste (le prince qui distribue la rente) et des entraves bureaucratiques, démocratie politique, économique, sociale et culturelle étant solidaires pour une société citoyenne et participative au sein d’un monde de plus en plus globalisé.