Privation de sommeil, nudité, simulation de noyade ou encore confinement en compagnie d’insectes, ce sont là quelques techniques d’interrogatoires antiterroristes de l’ère Bush, révélées jeudi dernier par l’administration Obama. Cette dernière a décidé de rendre public, dans une version censurée, l’éventail des méthodes l’interrogatoire de la CIA dans sa lutte antiterroriste.
Des méthodes détaillées dans quatre mémorandums secrets ayant servi de base juridique aux politiques controversées d’antiterrorisme sous George W. Bush. Les mémos ont été signés de Jay Bybee et Steven Bradbury, qui étaient à l’époque avocats au bureau juridique du ministère de la Justice.
Selon le porte-parole de la Maison-Blanche, Robert Gibbs, la publication des mémos répond à une décision d’un tribunal de Californie, après une action en justice entreprise par la puissante Association américaine de défense des libertés publiques (ACLU). La justice a donné jusqu’à jeudi dernier à l’administration américaine pour rendre publics ces documents ou justifier leur non-publication. Et comme l’avait pressenti l’ACLU en exprimant son inquiétude quant au fait que l’administration Obama soit tentée de ne pas publier intégralement les mémos secrets, ces derniers ont été expurgés de certains courts passages mentionnant des noms. Selon le Wall Street Journal, la réticence de l’administration Obama de publier l’intégralité des mémos est justifiée par la pression de la CIA.
Mais le président des Etats-Unis donne une autre explication en affirmant que ces techniques adoptées par l’administraton Bush après le 11-septembre «ont miné notre autorité morale et n’ont pas amélioré notre sécurité» mais les personnels qui «ont fait leur devoir en se fondant avec bonne foi sur les conseils légaux du département de la Justice ne seront pas poursuivis». Ajoutant : «Nous devons protéger leur identité de façon aussi vigilante qu’ils protègent notre sécurité.» Le ministre de la Justice a précisé que son ministère fournirait des défenseurs à ces personnels s’ils venaient à être interrogés par un tribunal. L’ACLU mais aussi le Center for Constitutional Rights (CCR) et Amnesty International ont contesté dans des communiqués le fait que les responsables de ces techniques peu humaines ne soient pas poursuivis. Ne pas les poursuivre est «simplement intenable», estime l’ACLU. «Ces mémos fournissent la preuve irréfutable que des responsables de l’administration Bush ont autorisé et donné leur bénédiction légale à des actes de torture qui violent les lois internationales et nationales», a estimé Anthony Romero, directeur exécutif de l’association. Pour Barack Obama, les choses sont claires : «Les Etats-Unis ont traversé un chapitre noir et douloureux» de leur histoire mais «ces techniques ont cessé». Est-ce pour autant que le chapitre est clos ?
Au surlendemain de sa prise de fonction, Barack Obama avait signé deux décrets par lesquels il ordonnait la fermeture d’ici un an de la prison de Guantanamo et la fin des techniques d’interrogatoire controversées. Des décisions qui sont, certes, à applaudir mais si les auteurs restent impunis, qu’en sera-t-il de la justice ? des droits de l’Homme ? et de la panoplie de conventions internationales ? D’ailleurs, sans les noms des tortionnaires de la CIA, le chef du parquet espagnol s’est déclaré jeudi dernier opposé à l’ouverture d’une enquête pour «tortures» contre six responsables de l’administration Bush ayant contribué à la création de la prison et du système judiciaire décrié de Guantanamo.
Il a estimé que la plainte pour «tortures» déposée récemment par une association espagnole contre d’anciens responsables juridiques de l’administration Bush reposait sur un «artifice», car elle ne vise pas les auteurs matériels des actes dénoncés. Cette décision de la justice espagnole qui se reconnaît depuis 2005 comme une juridiction universelle pour enquêter sur les crimes de masse commis dans le monde entier peut s’expliquer par la série de désagréments diplomatiques qu’a subie l’Espagne après l’ouverture de certaines enquêtes.
Mais, même si la justice espagnole est liée par des considérations politiques, tout le monde sait déjà qu’à Guantánamo et ailleurs, Bush et ses acolytes ont infligé aux détenus soupçonnés de terrorisme des traitements cruels, inhumains et dégradants. La nouvelle administration américaine a-t-elle le droit de tourner la page sans rendre justice ? C’est ce que veut Barack Obama qui, depuis son arrivée à la Maison-Blanche ne cesse de répéter qu’«il faut tourner la page» des années Bush. Car le lourd héritage de huit années d’administration républicaine lui paraît chaque jour plus difficile à digérer. Qui aurait cru que, dans le pays dit de toutes les «libertés», on chercherait un jour à se détourner de la vérité !
Les techniques des interrogatoires utilisées par la CIA
Les mémos datant de 2002 et 2005 constituent un mode d’emploi détaillé d’une dizaine de techniques «de base» et «coercitives» pour faire parler des terroristes présumés. Mais en comparant leur contenu avec les témoignages recueillis dans le rapport du Comité international de la Croix-Rouge en 2007, elles semblent très loin des atrocités subies par les détenus. Voici quelques extraits des mémos : Le prisonnier est d’abord mis nu, privé de sommeil, enchaîné et parfois doté d’une couche-culotte, précisent les textes rédigés par des avocats mandatés par l’administration Bush.
Il subit aussi une «altération de son hygiène alimentaire», souvent une alimentation exclusivement liquide. Viennent ensuite les méthodes dites «correctrices» où il y a «interaction» avec le détenu. «Ces techniques ne sont pas toutes utilisées en même temps», précise l’un des mémos. Selon un «interrogatoire prototype», on peut utiliser «la frappe insultante au visage», «la frappe au ventre», la privation de sommeil les mains menottées, parfois appuyé contre un faux mur souple qui s’affaisse lorsque le détenu tente de s’y reposer. Celui qui interroge peut également utiliser «les positions de stress», le confinement en compagnie d’insectes hostiles et, enfin, la simulation de noyade.