Parution d’un livre sur un destin peu commun Abane Ramdane entre querelles de personnes et divergences doctrinales

Parution d’un livre sur un destin peu commun Abane Ramdane entre querelles de personnes et divergences doctrinales

Depuis quelques années déjà, le professeur Belaïd Abane a entamé un long et patient travail sur son illustre parent. Au départ, il avait sans doute estimé que la mémoire d’Abane Ramdane (1920- 1957) n’avait pas été suffisamment honorée. Pis, on l’a calomnié et injurié. « Ceux qui écrivent sur leurs parents le font un peu pour redonner à ceux-ci la place véritable qui aurait dû être la leur, dans l’histoire nationale.

Abane en plus du fait qu’il ait été assassiné, a été effacé des hommages officiels et parfois attaqué de la manière la plus éhontée », confie-t-il. Selon Bélaïd Abane, « ce genre de travail n’est pas aisé. Il faut prendre de la distance pour ne pas tomber dans la glorification béate qui fait perdre alors tout crédit ». « S’agissant d’Abane, il faut bien que quelqu’un donne la réplique à tous ses contempteurs. Evidemment, s’il pouvait se défendre tout seul, il n’aurait besoin de personne », argumente-t-il.

La Soummam, la pomme de discorde

Abane Ramdane est entré en Révolution à un moment crucial de la guerre de Libération, à ses débuts incertains. Il arrive en effet à Alger à la fin de l’hiver 1955 et y restera jusqu’à la fin de l’hiver 1957. Il jouera un rôle décisif dans la structuration du FLN. C’est au cours de cette période que les paras de Massu font régner « l’ordre et la terreur » sur la ville Blanche par les arrestations, la torture et les exécutions extrajudiciaires dont celle de Larbi Ben M’hidi. Durant ces premières années de « rébellion », Abane s’est révélé le stratège et l’organisateur hors- pair de la Révolution. Il est à l’origine de l’unification des énergies nationales, de la création de l’UGTA, l’inspirateur de « kassaman » et des textes de propagande politique du FLN. Il va pourtant concentrer sur sa personne et son action de vives oppositions. A l’architecte du Congrès la Soummam, il est reproché à la fois un tempérament autoritaire à la limite, dit-on du mépris. Mais, rectifie, l’auteur, « certes Abane était méprisant mais son mépris s’adressait uniquement à ceux qui se croyaient au-dessus de toute norme sans avoir les capacités de leurs ambitions ».

L’auteur en expose les termes et les enjeux sous-jacents. Dans un autre registre, l’auteur s’attache à dresser le profil psychologique d’Abane et à expliquer l’importance de son apport en croisant de multiples témoignages et en évoquant des souvenirs personnels. Confrontant les avis, il réduit la portée de certaines critiques adressées à Abane et dévoile les vraies raisons des griefs entretenus par des rivaux comme Krim Belkacem et plus tard Boussouf et Ben Tobbal. L’auteur s’attarde également sur certains épisodes tragiques comme la guerre fratricide FLN-MNA, l’élimination d’anciens cadres du PPA accusés de « berbérisme » ou le procès qui ont conduit à la condamnation d’officiers de la wilaya I (Aurès- Nememchas).

cible de toutes les contestations

Dans son dernier livre*, l’auteur par ailleurs professeur de médecine, relate le parcours d’un homme très tôt engagé, alors qu’il était au collège de Blida au cours des années 1930, dans le PPA qui prône l’indépendance du pays. Tout commence à Azouza, près de Larbaâ Nath Iraten. Une magnifique entrée en matière, pour évoquer la famille du chahid. Son père, Mhand, et son oncle Rabah, commerçants ambulants, ont fait le tour du monde, au début du siècle, avec des haltes à Cuba, aux USA, à Santiago du Chili, au Brésil, avant de gagner l’Australie et même la lointaine Ile de Tasmanie. L’auteur retrace le parcours militant d’Abane évoquant son engagement dans la structuration de l’OS dans l’Est algérien, son arrestation et son incarcération dans différentes prisons.

Dans une lecture de l’histoire qui fait bonne place aux conflits de personnes, l’auteur dissèque les ressorts intimes des différends entre dirigeants. Il s’attarde également sur la résurgence des dissensions tribales dans les Aurès après la mort de Ben Boulaïd en mars 1956, raison essentielle, selon lui, de l’absence de la Wilaya I au Congrès de la Soummam.

Un prochain livre sur l’assassinat d’Abane

On peut deviner à la lecture de son livre que Bélaïd Abane entend accorder dans son prochain ouvrage qui paraîtra fin 2016, début 2017, une place majeure aux querelles de personnes pour expliquer l’élimination d’Abane en décembre 1957. Bien évidemment, privilégier les querelles personnelles dans la compréhension de l’histoire, comporte un risque. Réda Malek, qui a travaillé en Tunisie aux côtés d’Abane, met ainsi en garde contre la tentation de réduire, à travers une approche microsociologique, la Révolution algérienne à « un panier à crabes » (cf. préface à Ecrits d’hier et d’aujourd’hui Casbah 2010).

Il n’en demeure pas moins que l’histoire de la guerre de Libération, longtemps désincarnée, a besoin, par souci de vérité et d’objectivité, des révélations dont fourmillent ces pages. L’annonce d’un prochain livre devrait dissiper l’obscurité qui entoure cette phase et les ultimes instants d’une vie dense et toute entière vouée à la libération de l’Algérie.

R. Hammoudi