Parrainé par Houda-Imane Faraoun, un gros contrat Algérie-Télécom-Huawei suscite de fortes suspicions

Parrainé par Houda-Imane Faraoun, un gros contrat Algérie-Télécom-Huawei suscite de fortes suspicions

Le contrat entre Algérie Télécom et Huawei Algérie de près de 335 millions équivalents dollars accumule les anomalies. Le prix d’accès au très haut débit en FTTH y explose. La ministre des PTIC le porte à bout de bras. Suspicion légitime. Enquête.

Le contrat signé en janvier dernier entre Algérie Télécom et l’équipementier chinois Huawei pour le déploiement d’un million d’entrées très haut débit en fibre to the home (FTTH) ne passe nulle part. Ni chez les concurrents de Huawei qui se tenaient prêts pour le lancement d’un appel d’offres concurrentiel, ni chez le management historique de Algérie Télécom mis au placard pour rendre possible cette transaction hors gabarit, ni au cabinet du premier ministre Abdelmalek Sellal qui ne peut pas apporter son appui au financement d’une opération aussi chère que sulfureuse.

Principal promoteur du contrat-surprise AT-Huawei du million d’entrées FTTH, la ministre des PTIC, Mme Houda-Imane Faraoun. C’est d’ailleurs elle même qui en annonce en primeur les grandes lignes le 12 février dernier en direct dans l’émission de Souhila Hachemi, « l’invité de la rédaction » sur la chaîne 3.

La ministre des PTIC en a dit beaucoup à cette occasion pour soulever de fortes interrogations chez les acteurs de la fourniture d’accès internet, et pas assez pour les dissiper. Elle a confirmé que le budget mobilisé pour cette opération sera de « 90 millions de dollars pour les équipements et de 27 milliards de dinars pour le déploiement sur fonds propres de Algérie Télécom ».

Le FTTH peut assurer jusqu’à 100 mégabits/seconde de débit mais se déclinerait commercialement à partir de 2 mégabits. Elle a également affirmé qu’il s’agissait d’un premier lot dans le FTTH et que d’autres allaient suivre en 2018.

Cette annonce spectaculaire a immédiatement suscité des réactions au sein de la concurrence et dans le réseau des acteurs de la fourniture de l’accès à Internet. Des notes diplomatiques ont été adressées par deux chancelleries étrangères au ministère des Affaires étrangères pour signaler le caractère non équitable de la procédure d’Algérie Télécom. Des voix se sont exprimées pour montrer que le contrat AT-Huawei pose au moins deux problèmes, l’un juridique et l’autre commercial: il ne respecte pas la procédure des marchés publics et il ne peut pas justifier son montant.

Une enquête journalistique de six semaines, à laquelle n’a pas souhaité apporter sa version la direction générale d’Algérie Télécom, sollicitée avec des questions précises, a tenté de décrypter la logique de ce contrat controversé. Son interprétation ouvre clairement la voie à la suspicion légitime.

Gré à gré ? Une « nécessité » qui n’a rien d’impérieuse

La ministre des PTIC Houda-Imane Faraoun a omis, dans son annonce du 12 février dernier, de dire que le contrat du million d’accès en FTTH, était un gré à gré avec Huawei Algérie conclu après l’interruption par la nouvelle direction de Algérie Télécom d’une procédure de lancement de deux appels d’offres, prête en mars 2016, l’un pour la partie passive l’autre pour la partie active d’une solution accès FTTH en mode « contrat de commande ».

A Algérie Télécom le recours au gré à gré a été justifié par une « nécessité impérieuse » sur le modèle, par exemple, de la nécessité d’établir une connexion par câble sous marin supplémentaire (Oran-Valence et Alger Valence) après la rupture du câble sous marin Annaba-Marseille.

Pour un ancien administrateur dans le secteur des télécoms, « il existe, sur le plan réglementaire, six motifs qui peuvent justifier le recours à un contrat de gré à gré dans ce type de marché public. Aucun ne correspond à la transaction sur le très haut débit conclue en janvier dernier avec Huawei Algérie ».

Le recours à la clause de « la nécessité impérieuse » est d’autant peu pertinent qu’il s’agit d’un pari commercial puisque le chiffre d’affaires consécutif à cet investissement n’est pas garanti pour Algérie Télécom. C’est d’ailleurs Houda-Imane Faraoun, elle-même, qui en convient avouant dans cette même émission où elle annonçait l’acquisition du million d’accès : « je me demande si en 2020 on sera toujours sur du MSAN et du FTTH », allusion à la rapide mutation technologique avec notamment l’arrivée en 2018 de la 5e génération de solution mobile (5G).

Les équipementiers concurrents de Huawei Algérie fulminent

Plusieurs équipementiers travaillant habituellement avec Algérie Télécom, dont le chinois ZTE, et le suédois Ericsson à travers ses co-entreprises Marconi et Calix, se tenaient prêt pour soumissionner sous le cahier des charges défini au début de l’année 2016 pour l’acquisition -étalée selon un calendrier commercial- d’un million d’accès en très haut débit.

La suspension de cette procédure et la sélection unilatérale d’un des équipementiers pour fournir l’ensemble du marché s’est produite après le départ d’Azwaw Mehmel du poste de PDG en avril 2016 et la nomination de Tayeb Kebbal dans les mêmes fonctions en juin à titre d’intérimaire puis sa confirmation le 22 novembre 2016.

Le chargé du compte Algérie Télécom chez l’autre équipementier chinois présent en Algérie, ZTE, n’a pas confirmé que sa compagnie avait protesté par les voies de recours, mais a admis que « les discussions avec Algérie Télécom ont duré longtemps sans déboucher sur rien » avant l’annonce du gré à gré avec Huawei.

« Je ne sais pas si de nouveaux lots sont réservés par Algérie Télécom aux autres équipementiers à partir de 2018 », a-t-il ajouté, en réponse à une vague allusion sur l’existence d’une demande additionnelle d’entrées FTTH qui serait adressée aux exclus du gré à gré de 2016 entre Algérie Télécom et Huawei Algérie.

Une source au ministère des Affaires étrangères nous a fait état, sans que nous puissions le confirmer auprès d’Ericsson, d’une correspondance de l’ambassade de Suède en Algérie demandant des explications sur la procédure.

L’incompréhension est d’autant plus forte chez les équipementiers évincés par le contrat en gré à gré, que la démarche de Algérie Télécom les avait habitués à des contrats en appel d’offres et en lots par zones géographiques dédiées et cela depuis le lancement des 400 000 accès MSAN en 2010 suivi de 500 000 autres en 2011.

Des équipements et un déploiement dont les coûts ont explosé

Si le contrat AT–Huawei Algérie peine à justifier sa forme en gré à gré, il a, au sein même d’Algérie Télécom, encore plus de mal à expliquer le montant hors gabarit qu’il met en jeu : 90 millions de dollars pour les équipements et 27 milliards de dinars pour le déploiement.

« Une pré-négociation, équipementier par équipementier, a permis d’obtenir avant la finalisation du cahier des charges de début 2016, un prix des équipements de 48 millions de dollars et un coût de déploiement inférieur à 3 milliards de dinars pour une solution à un million d’accès en FTTH », a révélé une source proche du dossier à Algérie Télécom.

C’est cette référence qui a provoqué l’émoi le plus vif au sein de la cinquantaine de cadres écartés au sein d’Algérie Télécom afin de laisser la place « au nouveau modèle de pilotage » de l’opérateur historique. Les équipements ont doublé en prix et les coûts de déploiement ne se comparent plus.

Plusieurs explications, en dehors du face à face commercial avec Huawei Algérie qui ouvre la porte à toutes les distorsions. « La plus importante est qu’il s’agit d’un contrat clés en main. C’est Huawei Algérie qui va tout faire jusqu’à l’arrivée chez l’abonné », explique Sid Ali un jeune technicien sous-traitant habituel, avec son entreprise, des travaux de fibrage dans le programme MSAN d’Algérie Télécom.

Houda-Imane Faraoun a prêché exactement l’inverse lors de son annonce du 12 février dernier : « je ne veux pas acheter des équipements. Je veux acheter des équipements avec le savoir faire, ou je n’achète pas », affirmait elle. En vérité, Algérie Télécom est déchargé de tout au profit de l’équipementier.

Le contrat « clés en mains » envisagé et abandonné en 2014

Un cadre technique mis en réserve de AT depuis le chamboulement du premier semestre 2016, explique : « le nouveau PDG de Algérie Télécom, Tayeb Kebbal, siège à son conseil d’administration depuis 2003, non seulement il sait qu’il ne peut pas engager un contrat de gré à gré sur ce type de projet mais que son entreprise a envisagé le recours à la formule du « clés en main » mais qu’elle y avait renoncé car trop chère ».

C’était en 2014, le PDG Azwaw Mehmel était lassé par les retards dans le déploiement des accès MSAN à cause de la difficulté des directions régionales de Algérie Télécom à délivrer réseau fibré et abris techniques. Il avait demandé un devis pour la commande d’une nouvelle tranche d’accès en mode clés en mains, le même que celui dans le contrat signé par Tayeb Kebbal avec Huawei Algérie.

« Le coût d’un abri MSAN de 16 m2 réalisé en effort propre était d’environ un million de dinars. Il est passé à quatre millions de dinars en moyenne dans les devis qui nous étaient parvenus », se souvient ce cadre technique. Sur d’autres services, l’écart pouvait aller jusqu’à dix fois le coût en interne.

La direction de AT a décidé de renoncer au contrat clés en mains et a privilégié la recherche de sous-traitants privés algériens pour aider à la mise en œuvre des solutions achetées auprès des équipementiers.

« Nous allons former les ingénieurs de Algérie Télécom et ceux des entreprises de réalisation » à l’occasion de ce contrat. Là également les annonces de Mme Houda-Imane Faraoun à la chaîne 3 le 12 février dernier pour rendre vertueuse sa nouvelle gouvernance de Algérie Télécom sont démenties par la confrontation aux faits.

Le contrat du million d’accès en FTTH, livré prêt à l’emploi par le fournisseur, ne prévoit aucun transfert de technologie ni vers AT ni vers ces sous-traitants de réalisation.

« Plus personne dans le monde n’achète comme cela »

Le contrat en gré à gré entre Algérie Télécom et Huawei Algérie engage l’opérateur historique algérien sur un montant de prés de 335 millions en équivalent dollars dans un projet anachronique dans sa conception.

« Plus personne au monde n’achète ainsi d’un lot 100% des capacités qu’il a le projet de déployer. Le procédé pratiqué est celui de l’appel d’offres à l’entrée d’un nouveau seuil technologique puis des contrats de commande pour les mises à jour. De sorte que l’opérateur n’achète de chez l’équipementier que les capacités qu’il est certain de commercialiser au fur et à mesure que le fibrage de son réseau avance », explique l’ancien administrateur dans le secteur des télécoms.

« C’est ce qui s’est passé avec la technologie MSAN porte d’entrée dans le rapprochement (FTTX) de la fibre optique vers le consommateur final ». « Huawei, ZTE et Ericsson ont assuré une montée en débit avec par exemple le vectoring qui permet d’atteindre les 100 Mb tout en maintenant un lien technologique puisqu’ils étaient fournisseurs de la solution de départ ».

Mme Houda-Imane Faraoun a pris le risque de jeter par-dessus bord l’expérience d’Algérie Télécom dans les négociations de fournitures de solutions auprès de ces partenaires équipementiers parce que la couverture de la demande en connexion très haut débit n’avançait pas de manière satisfaisante.

« Certes, mais cela justifie-t-il de faire passer le prix d’un accès FTTH à près de 350 dollars? ». Et d’en faire profiter Huawei Algérie en rupture avec les règles de concurrence?

Une patate chaude pour Abdelmalek Sellal

Le premier ministre se retrouve avec un projet de 335 millions équivalents dollars dont 90 millions en dollars, véritable patate chaude entre les mains. Contrairement à ce qu’a laissé entendre la ministre des PTIC sur les ondes de la chaine 3, Algérie Télécom ne peut pas financer en fonds propres les acquisitions en équipements et services prévus dans le super contrat avec Huawei.

Algérie Télécom a d’ailleurs déposé un dossier auprès de la BNA pour obtenir un crédit d’investissement lié au déploiement de la FTTH. Il a peut de chance d’aboutir sans un appui de Abdelmalek Sellal, lui-même déstabilisé par le montant de la transaction et alerté par le mode opératoire.

Le business plan du projet du million d’accès en FTTH est fragile. Pour le cadre technique de AT « ce n’est pas un service grand public. Il concerne plus le corporate et l’institutionnel. On parle d’un modem d’accueil payable à 15 000 dinars. C’est déjà une barrière à l’entrée. Les utilisations à moins de 10 Mb qui sont proposées peuvent être assurées par des solutions moins coûteuses ». Une Rolls Royce pour aller aux travaux de champs tous les matins!

Le marché de la demande à 100 Mb risque d’être la portion congrue de cette offre à un million d’accès que Houda-Imane Faraoun dit être certaine de déployer totalement avant la fin de l’année.

Un homme s’est tenu étrangement silencieux durant cette période laissant à sa ministre de tutelle le soin de porter le projet du million d’accès en FTTH. Il s’agit de Tayeb Kebbal le PDG d’Algérie Télécom signataire du contrat avec Huawei Algérie en janvier dernier.

La longue liste de questions que soulève cette enquête sur le contrat controversé lui a été adressée à travers sa nouvelle directrice de la communication Mme Benzine. Sans réponse. Il reste à espérer que ces premiers éléments sur ce projet exclusif de l’accès très luxueux au très haut débit vont aider à délier les langues pour le grand intérêt de l’opinion publique.

Algérie Télécom a mis près de dix années à sortir du traumatisme des affaires qui, à tort ou à raison, ont coûté des peines de prison à trois de ses quatre premiers PDG depuis sa naissance en 2003. « Le nouveau mode de pilotage » que vante la ministre des PTIC prend pour le moment, et sur le vu de contrat Huawei, les allures d’une rechute vers les débuts périlleux d’Algérie Télécom.