Les mots sont nouveaux et ils pèsent. Le sujet est celui de la coopération militaire. Or, entre Alger et Paris, on a évoqué ces jours derniers, en dépit des drames du passé, des « défis communs », une « adhésion », une « nouvelle façon de travailler ensemble ». La visite qu’a effectuée le ministre français de la défense à Alger, mardi 20 mai, marque un tournant.
Jean-Yves Le Drian n’est que le deuxième ministre de la défense français, après Michèle Alliot-Marie en 2004, à se rendre en Algérie depuis l’indépendance du pays. Paris avait souhaité un tel déplacement au lancement de l’opération « Serval » contre les groupes djihadistes du Mali en janvier 2013, grâce à laquelle une coopération opérationnelle inédite s’est nouée.
De part et d’autre, l’événement a été marqué par une claire volonté d’affichage politique. Toutes les hautes autorités du pays ont reçu M. Le Drian, accompagné de son cabinet : le président Abdelaziz Bouteflika, avec qui il s’est entretenu pendant cinquante minutes, le premier ministre Abdelmalek Sellal, le ministre des affaires étrangères Ramtane Lamamra, le général Gaïd Salah, vice-ministre de la défense et chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP).
« NOUS AVONS UN ENNEMI COMMUN », DÉCLARE M. LE DRIAN
« C’est la première fois que, sur une aussi grande période, il y a une bonne coopération entre l’Algérie et la France », a déclaré d’une voix peu audible le président Bouteflika, après avoir reçu de la part de M. Le Drian le message de félicitations adressé par François Hollande pour sa réélection. Devant les caméras de la télévision algérienne, à l’issue de cet entretien, le ministre français insistera en évoquant la menace des groupes djihadistes au Sahel : « Nous avons un ennemi commun. »
« La délégation algérienne était très élargie, toutes les armes étaient représentées, ce qui était une façon de montrer l’adhésion à la coopération entre les deux pays, rapporte une source militaire algérienne. C’était un message. » Sur son site Internet, le ministère algérien de la défense a publié, fait inhabituel, la photo des deux minitres assis côte à côte, souriant, en pleine séance de travail derrière des écrans d’ordinateurs.
La situation sécuritaire au nord du Mali, où les combats viennent de reprendre entre l’armée nationale et les groupes rebelles, a été au cœur des discussions bilatérales. Celles-ci revêtent une dimension nouvelle depuis l’intervention française. L’Algérie a ouvert son espace aérien aux avions français, et assure leur ravitaillement en carburant – ce contrat a été renouvelé mardi. Les deux pays échangent du renseignement – ils sont convenus de retisser des liens dans ce domaine. Et l’on peut désormais évoquer des opérations coordonnées, si ce n’est communes, entre les deux armées.
DOUZE DJIHADISTES INTERCEPTÉS PAR L’ANP
Ce fut le cas le 5 mai. Un détachement de l’ANP a intercepté un groupe de douze djihadistes à la frontière avec le Mali, au lieu-dit de Taoundert, à 80 km à l’ouest de Tin-Zaouatine. L’opération a eu lieu « grâce à l’exploitation efficace d’informations sur les mouvements suspects d’un groupe terroriste », selon un communiqué publié alors par le ministère de la défense algérien. L’élimination des djihadistes est en réalité le produit d’une opération conjointe. Les Français de la force Serval, qui poursuivaient le groupe depuis Tessalit, au Mali, ont alerté leurs homologues algériens, qui ont pris le relais.
Mardi, il a été décidé d’étudier la possibilité d’établir une communication permanente sur le terrain, d’état-major à état-major pour la poursuite de ce type d’opérations. « Il y a une banalité de la coopération de sécurité, c’est vraiment descendu au niveau opérationnel », résume un expert français.
Une révolution, compte tenu des préventions qui demeurent : Alger veut conduire la médiation entre Bamako et les rebelles du Nord, et reproche à Paris un soutien excessif aux Touareg armés du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ; Paris critique les ambiguïtés d’Alger, qui ménage le chef touareg Iyad ag Ghali, considéré comme une cible de première importance. En d’autres temps, la présence permanente de moyens français de renseignement et d’action à Tessalit, considéré comme une zone d’influence algérienne, aurait posé problème.
JUGULER LES MENACES POSÉES PAR AL-QAIDA ET SES AFFIDÉS
Mais, au-delà du Mali, chacun sait qu’il a besoin de l’autre pour juguler les menaces posées par Al-Qaida et ses affidés, de la Libye à la Mauritanie. Paris réorganise ses implantations militaires au Sahel et en a exposé les objectifs à Alger, comme il l’a fait auprès de tous ses alliés de la région. L’enjeu est d’arriver à une coordination régionale pour surveiller les frontières. L’Algérie vient de fermer la sienne avec la Libye, sa première préoccupation aujourd’hui. Pour le ministère français de la défense, une coopération bilatérale dans le Sud libyen serait une prochaine étape.
En 2004, Mme Alliot-Marie, venue proposer un « partenariat stratégique », était repartie les mains vides. Le contexte a changé, même si de vieux dossiers encombrants de l’histoire franco-algérienne sont toujours sur la table. Tel celui de B2-Namous, la base française d’essais d’armes chimiques et nucléaires en Algérie, dont l’activité a cessé en 1978. François Hollande a promis fin 2012 à Alger de lancer des investigations complémentaires sur le site, la France réfutant la présence de toute pollution. Peu avant la visite de M. Le Drian, selon nos informations, un groupe d’experts de la Direction générale de l’armement s’est rendu sur place.
Il existe aussi un accord de coopération bilatérale de défense, signé début 2013. Paris dit vouloir lui « donner de la substance ». Alger souhaite envoyer davantage d’officiers dans les écoles militaires françaises. Et si l’ANP, en pleine modernisation, continue de rester fidèle à son allié russe pour acquérir du matériel, Alger a manifesté son intention d’étendre ce partenariat au domaine de l’armement. (Le Monde.fr)
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