Deux millions et demi d’Algériens sont âgés de plus de 60 ans. Soit 7,4% de la population générale, présentant le risque de développer la maladie d’Alzheimer.
Jusqu’alors, 100 000 malades sont dépistés dans le pays. La statistique n’est évidemment pas exhaustive tant que la pathologie reste sous-diagnostiquée, pour diverses raisons. Pourtant, huit centres de mémoires sont opérationnels en Algérie.
La maladie d’Alzheimer, confondue il y a encore quelques années avec la sénilité, est devenue très évocatrice pour les Algériens. Le fait n’est pas dans l’augmentation des nombres de personnes âgées atteintes de ce mal, mais plutôt par sa médiatisation et une amorce de sa prise en charge thérapeutique dans notre pays.
Une rencontre a été organisée samedi à l’hôtel Sheraton par le laboratoire Pfizer et animée par trois neurologues pour familiariser les médecins généralistes avec cette maladie, les amener à reconnaître ses symptômes potentiels et inscrire, par conséquent, le patient dans la dynamique des soins.
D’autant que le mal guette de plus en plus d’Algériens, qui ont gagné, en quelques décennies, vingt ans d’espérance de vie. Le Pr Meriem Abada-Bendib, chef de la consultation “mémoire” au service neurologie de l’hôpital Lamine-Debaghine (CHU de Bab El-Oued) a indiqué que “l’espérance de vie en Algérie est passée de 55 à
76 ans aujourd’hui.
Les personnes âgées de plus de 60 ans sont évaluées à deux millions et demi, soit une proportion de 7,4% de la population générale du pays”. Le risque de développer la maladie d’Alzheimer est d’autant plus grand. Il est estimé à 6% des catégories menacées.
Les femmes en sont plus exposées que les hommes, peut-être parce qu’elles vivent plus longtemps. Au-delà de l’âge, certains facteurs favorisent l’apparition de cette maladie neurodégénérative du tissu cérébral, tels que une prédisposition héréditaire, des antécédents de dépression ou de traumatisme crânien, la présence du gène Apo E4 dans le corps ou encore la combinaison de différentes pathologies comme une hypercholestérolémie, une hypertension artérielle, un diabète, le tabagisme, une insuffisance respiratoire, l’alcoolisme…
Selon les données épidémiologiques, 100 000 cas ont déjà été recensés en Algérie, pour quelque 25 millions de malades dans le monde. Mais la statistique nationale n’est nullement exhaustive.
Le Pr Elias Attal, neurologue à l’EHS Aït Idir, a affirmé que “pour avoir des chiffres fiables en Algérie, il faudrait déjà que le diagnostic soit fait”.
Ce qui est loin d’être une sinécure. “Les patients ne sont pas vus de manières ordinaire. Ils nous sont envoyés de façon anarchique et les consultations ne sont pas régulières”, a-t-il complété en précisant que “l’alzheimer n’est pas un diagnostic d’un seul jour, mais d’un suivi”.
Pour une majorité des familles, quand l’aïeul commence à montrer des troubles de comportement et des pertes constantes de mémoire, son état est mis sur le compte de la fatalité de l’âge avancé, sans nécessité particulière de consulter un spécialiste de la santé.
Pourtant, le dépistage de la maladie, particulièrement s’il est établi à ses tout débuts, offre l’avantage d’initier un traitement thérapeutique rapidement et freiner, par la même occasion, sa progression, tout en permettant un meilleur confort de vie au patient.
D’autant que la maladie met, en général, cinq années pour s’installer définitivement, de l’avis des spécialistes qui regrettent que les patients leur arrivent souvent quand il n’y plus grand-chose à faire en matière de traitement symptomatique. “Si les traitements dont on dispose pour l’alzheimer sont démarrés assez tôt, ils peuvent parfois faire reculer le passage à la perte d’autonomie, jusqu’à la mort naturelle”, a-t-on affirmé.
Pour parvenir à de telles situations, il est indispensable que les proches soient sensibilisés sur l’intérêt de la visite chez le médecin, un généraliste en premier lieu, et surtout qu’ils sachent reconnaître les symptômes précurseurs de l’alzheimer.
Le premier signe d’alerte est indubitablement les troubles de la mémoire des faits récents, oubli des noms et des dates importants…
Suivront des difficultés dans le langage parlé et écrit, et à se repérer dans de nouveaux lieux ; changements dans le comportement (la personne devient lunatique, facilement irritable, parfois agressive… ), problème d’insomnie, altération des capacités de jugement, d’accomplissement de tâches quotidiennes relativement simples ou à retrouver des objets, etc.
En somme, la personne âgée présente des caractéristiques de démence.
Il n’en demeure pas moins que le Dr Smaïl Daoudi, exerçant au service de neurologie du CHU Tizi Ouzou, a tenu à expliquer que “tous les syndromes démentiels ne sont pas des maladies d’Alzheimer”, eu égard aux critères larges qui président au diagnostic de la maladie. Comment réagir alors devant un syndrome démentiel et comment distinguer la maladie d’Alzheimer d’une autre forme de dégénérescence cérébrale ?
Le Dr Daoudi a répondu à cette interrogation en affirmant qu’il faut identifier d’abord les signes de l’aliénation mentale, éliminer ce qui n’est pas démence, éliminer une affection aiguë, rechercher une cause, traiter si besoin, adresser en consultation spécialisée, c’est-à-dire soit un neurologue, ou psychiatre. À ce niveau-là, les consultations mémoire revêtent une importance capitale. Il en existe huit sur l’ensemble du territoire national.
Elles sont ouvertes dans les services neurologie des CHU de Bab El-Oued, Mustapha, Frantz-Fanon de Blida, CHU Nedir-Mohamed de Tizi Ouzou, Errazi d’Annaba et Constantine, ainsi qu’au niveau des EHS Aït-Idir d’Alger, et aussi dans les cabinets privés de psychiatres et neurologues.
Lors de son exposé, le Pr Meriem Bendib-Abada a expliqué que la consultation “mémoire” consiste en l’établissement d’un diagnostic précoce et précis, son annonce à la famille, puis la mise en œuvre d’un suivi thérapeutique du patient. Elle a détaillé le déroulement de la consultation, qui est souvent motivée par une lettre d’orientation d’un médecin traitant (un généraliste dans la majorité des cas).
Le praticien engage un entretien avec le patient et sa famille, à la recherche des antécédents familiaux de la maladie, trace l’historique des symptômes évoquant potentiellement la maladie d’Alzheimer (plainte mnésique, modification du caractère, changement de comportement, rupture dans les activités de la vie quotidienne).
“Tout élément évoquant un déclin cognitif doit conduire à une évaluation des fonctions cognitives et des activités de la vie quotidienne”, a conseillé le professeur. Le traitement améliore et stabilise la fonction cognitive ou retarde son déclin. Il en est de même du confort dans les activités de vie quotidienne et le fonctionnement global, et réduit les troubles du comportement (hallucinations, idées délirantes, agitation et apathie).
Elle a souligné le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge et le suivi du patient une fois le traitement spécifique instauré par le spécialiste (gériatre, psychiatre, neurologue). “Il gère le traitement spécifique (adaptation) et le traitement symptomatique.
Il est attentif aux problèmes quotidiens liés aux pathologies intercurrentes, poids et état nutritionnel.” Il a affirmé que si “la prise en charge de la maladie d’Alzheimer est multidisciplinaire, le médecin généraliste en est le pivot”.
Plus d’un siècle après sa découverte par un neuropathologiste allemand qui lui donna son nom, la maladie d’Alzheimer n’a pas encore livré tous ses secrets aux scientifiques, lesquels peinent encore à lui trouver le médicament miracle qui la guérit. Pour l’heure, les praticiens de la santé n’agissent que sur ses symptômes, et tentent de retarder, autant que possible, sa progression. Mais, dans la majorité des cas, les personnes qui en sont atteintes ne sont soumises à aucun traitement.
Elles sombrent peu à peu dans la démence, jusqu’à ce que la mort survienne. Elles constituent, souvent, un lourd fardeau à porter pour les proches, qui ne savent pas comment réagir efficacement face aux manifestations du mal.
Souhila Hammadi