Les casseroles ont bruyamment fait leur retour dans les rues de Reykjavik. Comme en 2008 après l’effondrement en quelques jours de leur économie, des milliers d’Islandais ont manifesté devant le Parlement, lundi 4 avril, pour demander la démission du premier ministre et de l’ensemble du gouvernement. La police a estimé la foule à 8 000 personnes, les organisateurs à 22 000 : des chiffres considérables pour une île qui compte à peine 329 000 habitants.
Pris pour cible par les manifestants, Sigmundur David Gunnlaugsson est accusé d’avoir détenu une société offshore basée aux îles Vierges britanniques sans l’avoir jamais déclaré publiquement. L’existence de cette société, baptisée Wintris et désormais propriété exclusive de sa femme − une riche héritière −, a été révélée dans le cadre des « Panama papers ». Deux de ses ministres, celui des finances et celle de l’intérieur, apparaissent aussi dans les données connectées à des sociétés offshore.
La révélation de ce scandale a été un choc pour de nombreux Islandais qui pensaient que leur pays en avait fini avec les mauvaises pratiques financières des années 2000. A cette époque, l’argent coulait à flots sur la petite île grâce à un secteur bancaire en apparence florissant. Mais celui-ci prospérait en fait sur des prêts douteux entre banques, passant souvent par des paradis fiscaux. En 2008, cette bulle avait brutalement explosé en quelques jours, mettant l’économie du pays au tapis. Les Islandais avaient obtenu la tête de leur premier ministre en descendant massivement dans la rue. Plusieurs banquiers avaient ensuite été condamnés.
Sept ans plus tard, Lilja Magnusdottir, 42 ans, a le sentiment que rien n’a changé. « Après le krach de 2008, on a parlé d’une Islande meilleure, mais on voit que tout va plus mal. Nous avons été trahis par tous ceux qui nous ont dit que ça allait mieux », assure cette assistante maternelle, qui a fait deux heures et demie de route depuis son village de 850 habitants pour venir manifester lundi soir. Il y a dix jours, elle avait déjà lancé une pétition pour réclamer la démission du gouvernement, après que la femme du premier ministre avait publié un communiqué sur Facebook pour tenter de protéger son mari. Cette pétition a connu un succès foudroyant après la diffusion du reportage sur les « Panama papers », dimanche soir à la télévision publique.
Des idéaux trahis
Lundi, les milliers de manifestants ont brandi des bananes, censées symboliser les dérives d’une « république bananière », et lancé du fromage blanc contre la façade du Parlement – un geste de colère traditionnel sur l’île. Certains orateurs ont carrément appelé l’Europe à l’aide. « Nous avons besoin de votre assistance pour défendre notre démocratie », a proclamé, en anglais, l’un d’entre eux. Un geste très fort alors que le premier ministre, nationaliste farouche, a choisi de fermer le dossier de l’adhésion à l’Union européenne en 2015. Les manifestants ont surtout reproché à M. Gunnlaugsson d’avoir trahi ses idéaux en ayant recours à des paradis fiscaux, tout en surfant sur le ressentiment des Islandais contre les créanciers étrangers.
Cette colère suffira-t-elle à faire tomber le gouvernement ? Sigmundur David Gunnlaugsson a en tout cas choisi de l’ignorer. Dans un entretien télévisé, puis devant le Parlement, il a répété qu’il ne démissionnerait pas. « Cette compagnie appartenait à ma femme, et elle a toujours payé des impôts. Ce n’est pas une fraude fiscale », a-t-il répété. Pourquoi n’a-t-il pas mentionné Wintris dans sa déclaration d’intérêt alors qu’elle était créancière de plusieurs banques sur lesquelles le gouvernement devait prendre des décisions ? « Il n’est pas obligatoire de déclarer les propriétés de son épouse », a assuré le chef du gouvernement islandais.
Tout au long de la séance des questions au gouvernement, il s’est montré impassible, dessinant sur une feuille de papier sans un regard pour ses adversaires. Tout juste a-t-il admis « ne pas avoir été très clair » lors de l’entretien avec les reporters du Consortium international des journalistes d’investigation. Devant les caméras, il avait alors préféré mettre fin à l’interview plutôt que de répondre aux questions sur Wintris.
« Tout est choquant dans ce dossier »
Lundi soir, les députés d’opposition ont déposé une motion de censure et une demande de dissolution du Parlement, qui devrait être examinée dans les prochains jours. « Tout est choquant dans ce dossier, il est impossible de lelaisser continuer à gérer les intérêts de la nation », fustige auprès du Monde Birgitta Jónsdóttir, la leader du Parti pirate. Créé en 2012 en promettant de faire le ménage dans la finance islandaise et de changer la Constitution, ce parti a le vent en poupe dans les sondages, avec plus de 30 % des intentions de vote.
Si la majorité de droite reste confortable au Parlement, avec sept sièges d’avance, le camp du premier ministre montre des premiers signes de division. Son allié, le Parti de l’indépendance (conservateur), n’hésite plus à le critiquerouvertement. « Avec sa femme, ils ont été des créanciers des banques alors qu’il a dû mener des négociations sur ce sujet. Ce n’est pas une situation convenable. Seuls ses proches prennent sa défense », lâche un de ses députés, Vilhjálmur Bjarnason. Ministre des finances et leader de ce parti, Bjarni Benediktsson a expliqué, pour sa part, que le premier ministre était « dans une position vulnérable ». Une réunion entre les deux alliés doit avoir lieu mardi matin et pourrait déboucher sur une mise à l’écart de M. Gunnlaugsson. Mais il demeure une difficulté de taille : Bjarni Benediktsson, qui détient dans ses mains l’avenir de la coalition, est lui aussi accusé d’avoir eu une société offshore sans l’avoir déclaré.