Un an après la mort du chef d’al-Qaida, la question continue de tarauder les observateurs : est-ce que les agences de renseignements pakistanaises savaient ? Ont-elles aidé Ben Laden dans sa fugue ? L’ISI, principal service de sécurité, chante le même refrain depuis 12 mois : rien vu, rien entendu. Pourtant, quelques révélations ont érodé la solidité de ces affirmations. Il y a d’abord le témoignage de la dernière femme du terroriste défunt, Amal. Cette jeune Yéménite vivait avec son mari à Abbottabad, avant d’être arrêtée par les autorités pakistanaises après le raid américain. Le récit qu’elle livre de son séjour aux membres de la commission d’enquête pakistanaise, publié par un quotidien local, est édifiant.
Ben Laden a eu quatre enfants en captivité
Elle arrive au Pakistan depuis l’Afghanistan en 2002. Elle séjourne d’abord à Karachi, dans le sud du pays, pendant huit à neuf mois, sans son mari qu’elle finit par rejoindre à Peshawar en 2002. Les Ben Laden vont ensuite migrer de maison en maison dans le nord-ouest du pays, passant par la vallée de Swat, puis par Haripur, à une heure de route d’Islamabad, où ils resteront deux ans. Ils déménagent à Abbottabad en 2005. Leur maison est à environ un kilomètre d’une académie militaire. La captivité n’empêcha pas Ben Laden d’avoir des enfants : quatre sont nés au Pakistan et Amal a accouché dans un hôpital public de Haripur deux fois. Les Ben Laden n’ont donc jamais vécu dans les zones tribales pakistanaises, comme le pensaient nombre d’analystes, mais à portée de menottes de la police et des agences de sécurité.
Et puis il y a cette enquête écrite par Shaukat Qadir, un général pakistanais à la retraite. Huit mois durant, cet analyste politique a lancé des recherches, allant en Afghanistan, dans les zones tribales et à Abbottabad, pour comprendre pourquoi les autorités de son pays n’ont pas elles-mêmes arrêté Ben Laden. Il a découvert des éléments troublants. Grâce à ses contacts dans l’armée, il apprend qu’en juillet ou en août 2010 l’ISI avait déjà des soupçons sur la villa des Ben Laden à Abbottabad. À tel point que des officiers subalternes rédigent une note à transmettre à la CIA. Objet du message : activer une surveillance satellite de la propriété. Bizarrement, la note semble s’être perdue dans les méandres de l’ISI puisqu’aujourd’hui la direction de l’agence en nie l’existence. Qu’est-il arrivé à ce document pourtant capital ?
Ce n’est pas tout. Toujours à l’été 2010, une Toyota de type Corolla se présente devant le portail des Ben Laden. On lui ouvre immédiatement. Les occupants du véhicule vont rester environ 10 jours. L’histoire vient d’un habitant d’Abbottabad, qui vit à côté de la maison et que Shaukat Qadir a rencontré. Qui sont ces visiteurs ? Mystère. Selon le New York Times, l’analyse des téléphones portables saisis par les commandos américains à Abbottabad aurait révélé des contacts entre le messager de Ben Laden et le Harkat-ul-Mujahideen, un groupe terroriste pakistanais connu pour ses liens avec l’ISI.
Des services pakistanais paranoïaques
Le secret qui entoure les complicités dont a bénéficié Ben Laden a de quoi préoccuper les agences de renseignements occidentales. Dans quelle mesure peuvent-elles faire confiance à leurs homologues pakistanais ? La coopération avec les services secrets français en particulier demeure très limitée et le raid contre Ben Laden n’a pas arrangé les choses. Furieux de ne pas avoir été prévenus, les services pakistanais sont devenus paranoïaques à l’égard des Occidentaux, qu’ils soient diplomates, membres d’ONG ou journalistes. Il y a peu, les ambassades étrangères à Islamabad ont été priées de communiquer la liste de leurs agents ainsi que de tout leur personnel pakistanais.