Pakistan : Les Talibans fragilisent l’unité nationale

Pakistan : Les Talibans fragilisent l’unité nationale

L’exode de 2,4 millions de déplacés qui fuient les combats crée des déséquilibres entre le pays pachtoun et la riche province du Pendjab. Jamais le message des talibans pakistanais n’avait été aussi violent.



Revendiquant l’attentat de la veille à Lahore, qui a fait 24 morts et plus de 300 blessés, un militant islamiste a déclaré jeudi : «Nous avons atteint notre objectif. Nous attendions cela depuis longtemps ; nous avons agi en réaction contre l’opération de Swat.» L’homme, qui s’est présenté sous le nom de Hakimullah Mehsud, est un fidèle lieutenant de Baitullah Mehsud, le chef du Tehreek-e-Taliban-Pakistan (TTP), basé dans la zone tribale du Sud-Waziristan.

«Nous demandons aux habitants de Lahore, Rawalpindi, Islamabad et Multan de quitter ces villes car nous projetons de très importantes attaques contre les bâtiments du gouvernement dans les jours et les semaines qui viennent», a-t-il poursuivi. En clair, ce sont les quatre grandes métropoles du Pendjab qui sont visées.

Ce n’est pas un hasard. La province, qui fournit les plus gros contingents à l’armée pakistanaise, est dans la ligne de mire des talibans. Muslim Khan, le porte-parole des talibans de Swat, très proches du TTP, a lui aussi appelé à la «revanche». «Il faut attaquer les soldats au Pendjab, afin qu’ils comprennent et souffrent eux aussi.

Les attaques devraient frapper leurs maisons, de manière que leurs enfants soient tués ; comme ça, ils réaliseront ce que c’est», aurait déclaré Khan, lors d’une conversation téléphonique interceptée par les militaires.

Se protéger d’une «contamination terroriste»

Depuis le début des offensives de l’armée dans la région de Malakand, d’abord à Lower Dir, puis à Buner, et enfin dans la vallée de Swat, début mai, la ligne de fracture entre le Pendjab, qui est aussi la province la plus riche du pays, et les terres pachtounes du nord-ouest du pays, où se livrent les combats, ne cesse de se creuser.

Un conflit socio-culturel, qui couvait déjà, bien avant les talibans, mais dont ils ne manqueront pas de s’emparer s’ils le peuvent.

Le terreau est fertile. «Tous les Pachtouns ne sont pas des talibans. Le problème, c’est que le gouvernement d’Islamabad n’a jamais rien fait pour nous», nous déclarait récemment à Peshawar Aftab Alam, le président de l’Association des avocats de Swat.

Il venait juste de fuir Mingora, la capitale de la vallée de Swat. Bien sûr, il veut que l’armée en finisse avec les islamistes, mais pourquoi les responsables d’Islamabad n’ont-ils pas préparé des camps dignes de ce nom pour les réfugiés ?

Que se passera-t-il lorsque les gens qui voudront rentrer chez eux ne trouveront que ruines, un bétail décimé, des récoltes perdues pour plusieurs années ? «Nous sommes pris entre les talibans et les États-Unis qui dictent leurs volontés à notre gouvernement», affirmait, amer, Aftab Alam.

Peu ou prou, il exprimait ce que ressentent les quelque 2,4 millions de déplacés qui ont dû quitter leurs maisons, leurs emplois. Cet exode – le plus important en Asie du Sud depuis la Partition, en 1947 – est celui de tous les dangers pour le Pakistan.

À la tragédie humaine s’ajoute la menace de voir le pays éclater, des provinces telles que le Sind (capitale Karachi) essayant de se «protéger contre une invasion pachtoune», porteuse, selon certains, d’une «contamination terroriste».

«Il faut faire attention à ne pas faire des Pachtouns des martyrs», reconnaît, à Islamabad, le général à la retraite Talat Masood. Difficile, quand on écoute certains réfugiés. Nombre d’entre eux affirment que les bombardements de l’armée ont tué plus de civils que d’insurgés dans la vallée de Swat. «Un Pachtoun n’oublie jamais.

Des civils ont été tués, il y aura donc de la violence, même si l’armée l’emporte. Les Pachtouns sont connus pour leur sens de la revanche», affirme Khalid Rahman, directeur de l’Institute of Policy Studies à Islamabad.