Pakistan : Des réfugiés coincés entre armée et talibans

Pakistan : Des réfugiés coincés entre armée et talibans

C’est l’unique voie de l’exode, la seule route donnant accès au coeur de la province du nord-ouest du Pakistan, où s’affrontent, depuis une semaine, 15 000 soldats pakistanais et de 4 000 à 5 000 talibans. Le long cortège des réfugiés – partis sans rien le plus souvent, à pied ou entassés dans des minibus – ne cesse d’enfler. Profitant de la suspension pour quelques heures du couvre-feu en vigueur, les habitants de la région fuient des combats d’une extrême violence. Islamabad, poussé par Washington, a finalement lancé son armée contre les talibans, dont certains groupes étaient parvenus, il y a quelques jours, jusqu’à une centaine de kilomètres de la capitale.



Sur les bords de la route qui descend des contreforts de Swat, cet ancien haut lieu touristique pakistanais devenu un bastion taliban et la principale cible de l’offensive en cours, derrière des banderoles de bienvenue, la population locale montre une vive solidarité « aux frères pachtounes », en distribuant spontanément eau et nourriture. Dans les petites villes de Sakhakot, Takht-Bhai ou encore Mardan, les scènes se répètent : haut-parleurs qui diffusent des messages d’encouragement, pains et légumes tendus au long cortège qui défile.

« La cohésion du peuple pachtoune limite les inquiétudes sur la cohabitation avec la population, le problème surgira s’ils sont installés à l’extérieur de la province du nord-ouest », explique Ayshad Mahmoud, de l’organisation Save the Children, installée à Mardan, une de ces petites villes étirées le long de la route poussiéreuse.

Combien sont-ils d’ailleurs à fuir ? « 300 000 personnes vont s’ajouter aux 200 000 personnes déjà présentes dans les camps montés depuis une semaine », estime Ariane Rummery, du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dans le district de Mardan.

LG Algérie

« Nous tentons de limiter les dégâts collatéraux de l’opération en cours dans la vallée de Swat, s’est défendu, samedi, le premier ministre pakistanais, Yousouf Raza Gilani, conscient du problème pour les civils, mais (l’offensive) continuera, car c’est une question de survie pour le Pakistan. » Environ 550 000 personnes avaient déjà trouvé refuge dans la région après l’offensive de l’armée dans les agences tribales de Bajaur et de Mohmand en 2008.

A une quinzaine de kilomètres de Mardan, les camps de tentes blanches ouverts il y a une semaine à Jalala sont déjà saturés. « Il y a plus de 12 000 personnes », selon Nawaz Khan, l’administrateur. Le HCR y a installé, samedi, un bureau d’accueil pour rediriger les arrivants vers de nouveaux camps. « Vendredi, 555 familles (on compte huit à neuf personnes par famille) ont été admises ici ; avec la levée du couvre-feu aujourd’hui, leur nombre sera encore plus important », explique un responsable du HCR à Jalala. L’examen de la santé des réfugiés montre des problèmes respiratoires, l’apparition de la gale et des traumatismes psychologiques.

Parmi les derniers installés, Mohammed Sher et ses proches doivent partager deux tentes avec quatre autres familles, soit 28 personnes. « Les hommes dorment à l’extérieur de l’une des tentes pour laisser la place aux femmes », détaille Shabaa, sa belle-soeur qui ajoute qu’ils ont dû quitter leur maison « en moins d’une heure ». « On a profité d’une suspension du couvre-feu, on a tout laissé, le repas était encore sur la table », dit-elle. Leur village, Pir Baba, dans le district de Buner, considéré par les autorités comme un fief taliban, a été l’objet de violents combats.

Cet « ordre taliban », Mohammed Sher l’évoque volontiers. Pour lui, la règle talibane qui régnait dans son village ne se limitait pas aux contraintes de la religion ou au statut des femmes. « C’est vrai, admet-il, que si elles se promènent sans burka au marché, par exemple, elles sont battues et l’homme qui les accompagne, frère ou mari, doit vendre tout de suite son vélo ou sa moto pour en acheter une. » Pour lui, vivre avec les talibans, c’est aussi autre chose : « Ils savent rendre la justice, c’est pour ça que les pauvres sont contents. Quand quelqu’un vous doit de l’argent, les talibans le forcent à vous le rendre. »

Dans le district de Buner, raconte-t-il encore, les talibans avaient dépouillé des notables de leur voiture et même de leurs commerces, comme les stations d’essence, en guise d’exemple et cela leur permettait d’alimenter leurs troupes en véhicules et en carburant.

« Les plus pauvres appréciaient aussi que les talibans forcent les épouses mécontentes de leur mari qui étaient retournées dans leur famille à rentrer chez elles », glisse Mohammed avec un demi-sourire. Seule réserve à ses yeux, l’interdiction faite aux femmes d’aider dans les champs : « Quand il y a peu d’hommes, c’est un vrai problème. »

Au détour d’un chemin défoncé du camp de Jalala, le regard inquiet de Manasef Khan se ferme lorsqu’on évoque les talibans de son village de Maidan, dans le district de Low Dir, autre lieu où se déroulent des combats.

Puis, à l’ombre de sa tente, ce vieil homme au visage creusé de rides se livre, entouré des hommes de la famille. « Avec les talibans, c’était calme. Puis le gouvernement pakistanais leur a promis qu’ils pouvaient instaurer la charia, la loi islamique, en échange de la paix (accords de Malakand du 16 février) mais les Qazi (juges islamiques) n’ont jamais été nommés et maintenant l’armée nous bombarde. Mais pour nous, la justice talibane paraissait équitable… »

Dans une autre partie du camp, où se sont regroupées les familles venues, le 7 mai, de la ville de Mingora, Perwaiz explique qu’il est parti avec sa famille, car, d’un côté, l’armée bombardait  » les civils » et, de l’autre, il avait entendu que « les talibans voulaient les utiliser comme boucliers humains ». Voilà deux ans, décrit-il, que les talibans contrôlaient la ville. « Quand les accords de Malakand instaurant la charia ont été signés, les gens ont tiré en l’air de joie, mais je ne pense pas qu’il y ait pour autant un soutien populaire », estime Perwaiz. Son père, Jamshed, l’interrompt : « J’ai le dos abîmé par les coups des talibans, ils viennent du Waziristan et ne s’imposent que par la force et l’argent, en offrant 150 dollars par mois à ceux qui les rejoignent, ou alors ils forcent les familles à donner un homme pour le combat. »

Sur son lit de l’hôpital de Mardan, le jeune Bakhyti Zahid, de Sawari, dans le district de Buner, raconte l’attaque de deux hélicoptères de l’armée, le 7 mai, contre le convoi d’une centaine de réfugiés dans lequel il se trouvait. « Les femmes avaient soulevé leur burka et les camions étaient ouverts pour montrer qu’on n’était pas des talibans, mais un appareil a tiré, tuant sept personnes, dont mon frère, et en blessant vingt-sept autres, dont quatre membres de ma famille. Lors des premiers soins dans un dispensaire local, les talibans sont venus exprimer leur compassion. Depuis que nous sommes arrivés à Mardan, dans l’autre camp, aucun officiel n’est venu nous voir… »