L’année 2017 s’achève, en Algérie, sur un fait inédit : trois gouvernements se seront succédé aux affaires en seulement trois mois ! Une séquence «à l’italienne» que le pays n’a jamais vécue jusque-là, y compris au plus fort des crises, pourtant nombreuses au lendemain des événements d’octobre 1988 et de la décennie du terrorisme. L’été 2017 aura été particulièrement riche en spectaculaires rebondissements, au plan politique.
Kamel Amarni – Alger (Le Soir) – Les choses commenceront à s’accélérer à la veille des élections législatives du 4 mai. Le Premier ministre d’alors, Abdelmalek Sellal, bouclait sa cinquième année à la tête de l’exécutif, dans la difficulté. Affaibli par l’affaire du remaniement de juin 2016, qui avait valu sa place à l’ex-secrétaire général du FLN, Ammar Saâdani, Sellal se voit de plus en plus «débordé» par certains de ses ministres qui ne cachaient plus leurs ambitions de le remplacer. Les ambitions étaient telles, en effet, chez des hommes comme le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui mais, surtout, celui de l’Habitat, Abdelmadjid Tebboune, que l’atmosphère deviendra détonante au sein de l’exécutif. Vers la fin de son règne, pas moins de huit ministres en exercice n’adressaient même plus la parole à leur Premier ministre, nous confie un membre de l’ancien gouvernement. Le plus hostile d’entre tous sera, incontestablement, Abdelmadjid Tebboune. Ce dernier connaîtra une ascension fulgurante depuis son retour aux affaires après une traversée du désert de dix ans. C’était grâce à Abdelmalek Sellal qui avait insisté, nous révèle-t-on, auprès de Abdelaziz Bouteflika pour le nommer à la tête du très sensible ministère de l’Habitat qu’il retrouvera donc dès le 4 septembre 2012. «Les deux hommes étaient amis de très longue date. C’est connu. D’ailleurs, lors de certaines réunions du gouvernement, Tebboune a toujours défendu farouchement Sellal quand ce dernier était parfois en prises avec un autre membre du gouvernement». Ce témoignage est d’un ancien ministre du gouvernement Sellal. Or, les relations ont commencé à se dégrader entre le chef de l’exécutif et son ministre de l’Habitat, depuis juin 2016. Le 13 juin de cette année-là, Tebboune est décoré de l’Ordre du mérite national par Abdelaziz Bouteflika. Une première, pour un ministre en exercice. Cette distinction aura comme conséquence, de renforcer le rang de Tebboune qui, en janvier 2017 se verra, également, confier un deuxième département, celui du commerce suite à l’hospitalisation puis au décès de feu Bakhti Bélaib. Autant dire que, depuis, Tebboune s’imposera et se conduira même comme un Premier ministre bis ! A l’approche des législatives, Sellal se verra davantage affaibli lorsque Abdelaziz Bouteflika décide de lui interdire de conduire la liste du parti présidentiel, le FLN, à la Wilaya d’Alger. Mais, coup de théâtre, et à la veille du lancement de la campagne électoral, Bouteflika le charge d’animer quelques meetings au profit du FLN, ce qui le propulse au-devant de la scène et le renforce vis-à-vis de Tebboune mais également de l’autre grand rival, Ahmed Ouyahia. «Le Président avait chargé Sellal de préparer son nouveau gouvernement de l’après-législatives», nous confiait une source sûre. Effectivement, du reste, Abdelmalek Sellal se lancera ouvertement dans une série de consultations officielles avec les partis politiques, au lendemain même des élections remportées par le FLN, et ce, en vue de la constitution du nouveau gouvernement. En parallèle, Sellal avait officiellement signifié à certains membres de son gouvernement qu’ils étaient reconduits. Au Premier ministère, les services du Premier ministre avaient , quant à eux, finalisé le projet du plan d’action de ce qui devait être le sixième gouvernement de Abdelmalek Sellal. Or, nouveau coup de théâtre : le 24 mai 2017, le directeur de cabinet de la présidence d’alors, Ahmed Ouyahia, sera chargé de signifier à Sellal… sa fin de mission à la tête du gouvernement ! Contre toute attente également, Abdelmadjid Tebboune sera convoqué, en même temps, à Zeralda où Bouteflika lui annoncera sa nomination à la tête de l’exécutif. L’ère Tebboune pouvait alors commencer. Une ère «éclair» toutefois ! A peine deux mois et demi d’exercice, un congé de quinze jours compris ! Tebboune entamera sa nouvelle mission sur les chapeaux de roues. Hyper médiatisé, Tebboune se distinguera par de grandes annonces dont la plus emblématique était celle lancée à partir de l’APN : «Avec ce nouveau gouvernement, nous allons séparer l’argent de la politique. Désormais, l’argent c’est l’argent, et la politique c’est la politique» ! Il n’en fallait pas plus pour que, quasiment l’ensemble de la classe politique, tous les grands médias, y compris les plus farouches opposants au pouvoir soutiennent le nouveau Premier ministre ! Le 15 juillet 2017, Tebboune mettra en pratique son slogan. C’était à l’occasion de sa première sortie sur le terrain, une visite d’inspection et de travail à Alger. Pour frapper les esprits, Tebboune choisira bien sa cible : le patron du forum des chefs d’entreprises, Ali Haddad, sera en effet prié, par les services du protocole du Premier ministre, de quitter la salle où devait se rendre ce dernier à la nouvelle Ecole supérieure de la protection sociale de Ben Aknoun ! La fin de Ali Haddad ? Personne n’en doutait alors, surtout avec l’avalanche de mises en demeure et de retraits de projets et des commandes publiques au groupe ETRHB. C’était compter sans le rôle clé du vrai patron de l’exécutif, celui que Tebboune avait fini par oublier de citer à travers ses déclarations et ses communiqués : Abdelaziz Bouteflika ! C’était sans doute cet «oubli» qui aura valu à Tebboune une peu gratifiante «lettre de recadrage» que Bouteflika lui transmettra le 3 août 2017 à travers son directeur de cabinet et rendue publique quelques jours plus tard ! On pouvait y lire, notamment, que «le Président vous somme de cesser le harcèlement contre certains hommes d’affaires», «le Président vous ordonne de débloquer toutes les marchandises bloquées au niveau des ports», «le Président vous ordonne d’éviter toute publicité inutile des activités du gouvernement » ! Dans son euphorie, Tebboune avait en effet oublié une règle essentielle et inviolable chez Bouteflika depuis 2008 : le gouvernement n’a pas le droit de médiatiser ses activités, comme les réunions du gouvernement. Encore moins les réunions des Conseils interministériels alors que Tebboune en inondait les JT de l’ENTV ! Le déplacement privé de Tebboune en France, ponctué par un tête-à-tête surprise avec le Premier ministre français n’ont fait, en fait, que raccourcir la durée de vie de cet éphémère épisode Tebboune. Et c’est presque sans surprise que la présidence annonce son limogeage dès le 15 août. Ahmed Ouyahia revient au palais du gouvernement et prend le train en marche avec un exécutif «débarrassé» de seulement trois ministres réputés être des proches de Abdelmadjid Tebboune, à savoir Youcef Chorfa, Béda Mahdjoub et Ahmed Saci. Ceci pour la forme. S’agissant du fond, le nouveau gouvernement s’empressait de mettre en exécution une rapide entreprise de «dé-Tebbounisation» à tous les niveaux. Cela avait commencé par la dissolution de «l’inspection générale» que Tebboune avait installée sous sa tutelle, à un nouveau discours, au plan économique. Evidemment, aussi, la communication gouvernementale sera radicalement revue : Ouyahia, qui avait luimême rédigé la lettre de recadrage présidentiel de son prédécesseur, sait mieux que quiconque à quoi s’en tenir, sur cette question précise…
K. A.