«Il faut que l’Etat et les pouvoirs publics cessent d’agir en orphelin»
L’informel ne cesse de tendre sa puissante hégémonie et ses tentacules. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a tiré hier la sonnette d’alarme.
Ce phénomène dont les barons contrôlent plus de 40% de son activité sur le marché national, représente «la plus grande menace pour l’économie algérienne». Illustrant le danger de cette guerre sans merci, M. Ouyahia a rappelé que «la stabilité du pays a été sérieusement menacée lors des émeutes de janvier 2011. Pour atténuer un tant soit peu ce phénomène et espérer y remédier en réduisant sa prépondérance, poursuit-il, «il faut que l’Etat et les pouvoirs publics cessent d’agir en orphelin», estime-t-il. Dans ce contexte, le Premier ministre appelle l’ensemble des opérateurs économiques à créer un front commun contre l’informel. L’Etat aura de moins en moins de chance de pouvoir gagner cette bataille s’il ne mobilise pas un consensus national de plus en plus large des forces utiles dans le pays. «Après la fraude et la contrebande économiques, les lobbies maffieux sont passés au trafic de drogue et de fausse monnaie, et aux manoeuvres subversives pour entraver l’usage du chèque ou de la facture», a-t-il indiqué lors de son allocution de présentation du programme économique de son parti en prévision des élections législatives du 10 mai.
La bataille doit être menée jusqu’à ce que «même le chômeur exploité prenne conscience qu’avec ce fléau il n’aura jamais de poste de travail stable ou permanent», s’exclame Ahmed Ouyahia qui a évoqué en la circonstance la citation du journaliste et écrivain, feu Tahar Djaout: «Le silence, c’est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs!».
Dans ce contexte, le Premier ministre indique que l’Etat a dû faire des reculades ou reculs penauds lors des événements de Bab El Oued.
Les premiers pas de notre ouverture économique ont été largement en faveur du négoce, de la spéculation et des importations. Les difficultés sécuritaires ont favorisé l’accumulation spéculative, frauduleuse et même criminelle de capitaux. Depuis, «la violation de la loi notamment dans le champ économique est érigée en règle», souligne-t-il.
De fait, l’éradication de ce fléau passe par «l’engagement collectif d’une espèce de djihad», préconise-t-il à l’adresse des opérateurs du FCE. «Au rythme où va ce phénomène dévastateur, vous risquez de disparaître», lance-t-il à l’adresse des opérateurs. La première victime, selon lui, de ce fléau, est l’entreprise publique qui est tenue de travailler dans la clarté, de s’acquitter de ses impôts et de vendre avec la facture, qui se retrouve marginalisée dans son pays, même pour des productions qu’elle arrive à exporter.
L’entreprise privée est désormais la seconde victime, dit-il, car, aucune compétitivité ne pourrait survivre à l’informel.
Le consommateur figure comme troisième victime dans l’ordre établi par le Premier ministre. Il est exposé sans défense aux réseaux de la spéculation capables d’organiser la rareté du produit et la flambée de ses prix de vente, annihilant ainsi toute amélioration des salaires et des revenus, indique-t-il.
Sollicité pour donner le bilan du Credoc (crédit documentaire), imposé par le gouvernement il y a trois ans pour le paiement des importations, M.Ouyahia s’est contenté de rappeler que cette mesure était nécessaire, estimant que ce mode de paiement n’a pas échoué. «Pour preuve, nous avons importé des quantités de blé et de lait pour en nourrir trois peuples, le nôtre, celui de la Libye et de la Tunisie, et c’est à travers ce mode que nous avons réglé ces importations», a-t-il fait observer. A propos de la règle des 51/49 imposée depuis un peu plus d’un an à l’investisseur privé algérien, en particulier dans le domaine de la production du ciment, au même titre que les étrangers, M.Ouyahia a relevé que cette disposition est supprimée définitivement depuis quelques semaines.
A ceux qui soutiennent que l’Etat a recours au veto pour empêcher certains privés d’investir dans certains créneaux comme le port, la pétrochimie et la sidérurgie, le Premier ministre nie l’existence d’un quelconque veto en exhortant les opérateurs à plus de patience et de courage. Cependant, «la collectivité nationale n’a pas évolué pour mettre entre les mains d’un privé une enceinte portuaire».
En réponse à une question d’un opérateur économique, relative au week-end universel, M.Ouyahia a estimé que le retour à ce dernier est «quelque chose qui créerait un choc sociétal».