Ouyahia et Belkhadem,Accusés de blasphème politique?

Ouyahia et Belkhadem,Accusés de blasphème politique?

Faut-il déjà parler d’eux au passé?

Du FLN, à Ennahda, puis El Islah, pour atterrir au RND, pour ne citer que ceux-là, les mouvements de redressement font des émules.

Si l’on devait étudier la psychologie des ex-partis uniques et l’évolution de leur manière d’opérer dans un environnement de multipartisme, il nous serait donné de constater que la plupart des caciques de ces partis-là développent une résistance à l’ouverture, une résistance que seuls les privilèges dont ils avaient le monopole, pourraient justifier. C’est à croire qu’ils refusent toute ouverture réelle car elle risque de jeter la lumière sur leur perception archaïque et leur vision trop déphasée du militantisme. Aussi, chaque fois qu’ils sentent des choses leur échapper, ils entrent en panique et engagent, aussitôt, une action contre celui qu’ils considèrent en être responsable.

En choisissant d’aller à Sant’Egidio, Abdelhamid Mehri avait réellement fait basculer le FLN dans le camp de l’opposition. Pour les responsables de ce parti, qui venaient de passer trente ans à donner des ordres sans possibilité de contestation, ceci était le prélude à une fin réelle d’un cortège d’avantages liés à l’approximation du pouvoir. Le SG qu’était Mehri fut victime d’un coup monté que ses auteurs qualifièrent de scientifique, un adjectif trop discutable.

Lorsqu’il annonça son intention de se présenter à la candidature suprême du pays, Ali Benflis voulait que le FLN joue son rôle de parti politique qui, dans le cadre d’une alternance démocratique, cherche le pouvoir. Cette tentative lui coûta sa place, et il fut jeté à la vindicte populaire. Aujourd’hui, son successeur, Belkhadem, et parce qu’on le soupçonnerait de nourrir quelque ambition présidentielle, n’est pas loin de faire l’expérience du siège éjectable dont le même parti est devenu passionné. Une expérience que ses amis d’hier (ceux qui en parlaient fièrement en disant «Si Abdelaziz») sont ceux-là mêmes qui se bousculent pour la lui faire vivre. Cette culture, dite du redressement, qui a été adoptée par la suite dans beaucoup de partis, et qu’on doit au FLN, mérite qu’on s’y intéresse car, non seulement elle ne sert pas la démocratie au sein du parti concerné mais elle sape tous les efforts du peuple et de la nation visant à instaurer quelques comportements démocratiques.

Désormais, chaque fois que certains groupes de militants le décident, ils se mettent à demander, entre deux congrès, c’est-à-dire en dehors des structures légales du parti, le départ de leur secrétaire général. L’amplification par les médias, ne serait-ce que par l’information, les pétitions qui circulent sous la table, puis dans les salles de rédaction, le passage de certains des redresseurs sur des plateaux de télé… et parfois aussi des déclarations tonitruantes de quelques ministres, viennent renforcer les frondeurs avant que ne saute l’ancien SG pour laisser sa place à d’autres. L’objectif premier d’un parti est pourtant, toujours, de viser le pouvoir et sa préoccupation première doit être de s’y préparer en continu. Telle est, partout autour de nous, la conception d’un parti dans un environnement multipartite où la compétition démocratique impose à chaque organisation politique une perpétuelle adaptation aux exigences environnantes et une amélioration continue de l’offre et des propositions faites aux citoyens pour tenter de dépasser les autres concurrents. Si l’on devait analyser le comportement «post-pensée unique» de certains militants, il serait intéressant de le faire en considérant ces mouvements de redressement, révélateurs à plus d’un titre de certains réflexes profondément enfouis dans une ancienne conception du parti et du militantisme. Du temps du parti unique, chez nous ou ailleurs, c’est le parti qui donnait au pays ses cadres, à tous les niveaux, y compris le plus haut. Le parti était ainsi lié, avec force et rigueur, à toutes les institutions du pays, des institutions qu’il devait servir et qui, en retour, devaient lui rendre la pareille. De par sa nature même, jamais un parti unique n’entre en compétition quelconque avec d’autres partis (inexistants) et, mieux encore, jamais il ne s’oppose au pouvoir en place qui lui donne sa légitimité et en tire la sienne. Si l’on excepte certains cas rarissimes comme le remplacement de Krouchtchev en 1964, par exemple, il était, dès lors, inconcevable que le parti unique propose un autre candidat que celui en place car ce serait aller à l’encontre de soi-même (en Roumanie, Ceausescu n’était venu qu’après la mort de son prédécesseur Gheorghiu-Dej; chez nous, Chadli ne fut investi qu’après la mort de Boumediene, pour ne citer que ceux-là).

Dans l’imaginaire collectif des militants de tels partis, leur organisation politique se doit de toujours servir les institutions du pays. Une façon inavouée de refuser ou, du moins, de repousser l’alternance au pouvoir, une attitude dont les racines remontent à l’ère du parti unique. Et c’est pour cela que la candidature de Benflis a été vue d’un mauvais oeil autant que l’ambition de Belkhadem aujourd’hui. Cette conception n’est rendue possible que par le fait que, dans ces partis, vingt ans, trente ans et même cinquante ans plus tard, on retrouve toujours les mêmes dirigeants, on y rencontre toujours les mêmes visages et y on lit toujours les mêmes noms. L’évolution, si nécessaire pourtant, semble impossible alors que la préparation de la relève, coeur de la raison d’être de tout parti politique, ressemble à s’y méprendre à un blasphème politique. Ce comportement, que l’on qualifierait plutôt de réflexe, des ex-partis uniques, semble antidémocratique dans sa forme et de par les conséquences qu’il entraîne.

Cependant, il s’est propagé chez nous ces dernières années. Du FLN, à Ennahda, puis El Islah, pour atterrir au RND, pour ne citer que ceux-là. Les mouvements de redressement font des émules, c’est le cas de le dire. Mais que reprochent, exactement, de nos jours, les redresseurs à ceux qu’ils veulent destituer? Ils leur reprochent d’abord leur ambition. Comme si l’ambition politique était un crime alors qu’elle est – et doit être – la marque de sérieux de tout parti. Non seulement ils ne reconnaissent pas comme légitime cette ambition, raison d’être pourtant du militantisme à un certain niveau, mais en plus, ils la transforment en «intérêts personnels détestables» afin de justifier leur mouvement aux yeux de la population. Ensuite, ils leur reprochent de «dévier le parti de ses objectifs». Nous avons entendu ces reproches aussi bien chez les opposants à Benflis, que chez ceux qui ont fait partir Djaballah de son propre parti, que chez ceux qui s’opposent aujourd’hui à Belkhadem.

Quant à ceux qui ont demandé le départ de Ouyahia, ils ont bien innové sur ce registre en le disant de plusieurs manières. Par ailleurs, ils leur reprochent toujours une gestion antidémocratique et un comportement autocrate. Ouyahia et Belkhadem ont été qualifiés de dictateurs par ceux qui voulaient leurs têtes, alors qu’à Djaballah, ses adversaires reprochaient son zaïmisme. En plus, ils leur reprochent de ne pas favoriser l’alternance dans la gestion du parti. Ce reproche est sérieux et valable. il est même le seul qui mérite d’être considéré sauf que, là encore, il y a des choses à préciser. Si ces hommes sont restés longtemps à la direction de leurs partis respectifs c’est avec l’acquiescement, l’approbation et la «tazkia» de ceux qui, plus tard, deviendront leur «redresseurs». Ceci dit, il est tout de même connu que, pour faire partir quelqu’un d’un poste de responsabilité de ce niveau, il faut le faire lors du congrès ou de toute autre structure du parti qui le permettrait. En 1964, les opposants à Khrouchtchev avaient dû attendre la réunion du Comité central pour le destituer. Alors pourquoi, sans attendre le cadre légal, congrès ou autre, certains se précipitent et jettent leurs responsables – et même; pour certains, leurs amis d’hier – en pâture à certains médias et en spectacle de rue. Ne se rendent-ils pas compte qu’ils desservent ainsi plus leur parti qu’ils le servent? Et puis, encore une question: pourquoi ces redressements n’ont-ils lieux que la veille d’élections importantes?