Longtemps considéré comme l’homme des sales besognes du système, l’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia est convoqué au tribunal de Sidi M’hamed demain. En même temps, il est soumis à une autre terrible pression des cadres et militants de son parti, le RND, qui réclament sa démission. La justice a décidé de l’entendre sur des affaires liées à la “dilapidation de deniers publics” et aux “privilèges indus”. L’ancien Premier ministre devra notamment répondre des privilèges accordés, au nom de l’État, à certains hommes d’affaires faisant partie de l’oligarchie qui a profité des projets publics lors du long règne d’Abdelaziz Bouteflika. Parmi les affaires citées, on trouve, entre autres, l’accord d’une rallonge au crédit initial accordé à la famille Kouninef pour la réalisation d’une usine de trituration de graines oléagineuses, en construction à Jijel.
Selon le quotidien El Khabar, l’ancien Premier ministre a demandé, un mois seulement avant le début du mouvement populaire, aux banques publiques d’accorder un crédit supplémentaire de 10 milliards de dinars à un projet qui avait déjà englouti 20 milliards de dinars en crédits accordés par des banques étatiques. Le projet avait-il besoin d’une aussi importante rallonge alors que le crédit initial était déjà énorme ? C’est à cet aspect de la chose que la justice s’intéresse aussi. Mais dans le casier de l’ancien Premier ministre, les juges peuvent inscrire autant d’affaires que d’avantages accordés ces dernières années à des hommes qui ont accaparé la majeure partie des projets publics.
Sur le plan de la procédure, Ahmed Ouyahia est protégé. En plus de bénéficier du privilège de la juridiction en tant qu’ancien ministre, Ahmed Ouyahia ne peut, en principe, être jugé que par une haute cour de justice. Cette instance judiciaire, prévue dans la Constitution pour juger exclusivement le président de la République et le Premier ministre, n’a jamais été créée. Le tribunal d’Alger ne pourra l’entendre, pour l’instant, qu’à titre de “témoin”. Même s’il cultive l’image d’un homme entièrement voué au service de l’État, il n’échappera pas pour autant à la curiosité des médias. Des informations de presse rapportent régulièrement l’implication de sa femme et de ses enfants dans le monde des affaires. Des informations que le concerné lui-même a confirmées lors d’une conférence de presse. On ne sait pas si la justice s’intéresse à ce volet de la vie de l’ancien Premier ministre. Mais des informations recoupées indiquent qu’une partie des proches d’Ahmed Ouyahia aurait déjà quitté le pays. Au-delà des largesses accordées aux oligarques — dont il partage la responsabilité avec d’autres responsables au sommet de l’État —, cette convocation de la justice marque notamment un tournant dans la vie politique d’Ahmed Ouyahia. L’homme, à l’ambition tue depuis qu’il s’était voué totalement à Abdelaziz Bouteflika, devrait peut-être enterrer toute prétention de devenir président.
Car, malgré la chute de l’ancien chef de l’État, le secrétaire général du RND nourrissait, il y a tout juste quelques semaines, l’ambition de briguer un jour la présidence de la République. Ahmed Ouyahia a accepté d’être “celui qui va mourir politiquement” pour faire vivre un système. Le destin d’Ahmed Ouyahia risque de basculer à tout moment. Cerné de toutes parts, l’ancien Premier ministre, qui a résisté jusque-là aux assauts de ses adversaires, peut quitter ses fonctions de secrétaire général du RND dès ce mardi. L’homme devrait remettre sa démission lors d’une réunion du bureau national de son parti, qui se tiendra demain mardi dans l’après-midi. Ouyahia pourra, dès lors, tirer un trait définitif sur sa très longue carrière dans les arcanes du pouvoir. D’autant plus que sa carrière politique est sérieusement hypothéquée, car la rue vient de montrer que l’homme n’a pas bonne presse dans l’opinion. Les marcheurs du vendredi font de sa traduction devant la justice un leitmotiv. Il faut dire que lui, lorsqu’il était au faîte de sa gloire politique, ne lésinait pas sur la formule pour toiser le peuple, usant parfois de propos vexants. Il ne pouvait donc avoir bonne presse. Même son plus proche collaborateur pendant plusieurs années le renie à présent.

Ali Boukhlef