C’est dans une ambiance conviviale et emprunte de franchise de part et d’autre que se sont déroulées les consultations entre le ministre d’Etat et directeur de cabinet du président de la République et les deux syndicats de journalistes.
En l’occurrence la Fédération nationale des journalistes algériens (FNJA), affiliée à l’UGTA et le syndicat national des journalistes.
De prime abord, Ahmed Ouyahia a expliqué le pourquoi et l’objectif de ces consultations que le président de la République a tenu à ce qu’elles se fassent avec tous les acteurs politiques et de la société civile aux fins d’arriver à la refonte totale de la Constitution qu’il veut consensuelle. C’est comme s’il voulait faire comprendre à ses hôtes que cette fois-ci c’était du sérieux. D’ailleurs, l’ex-Premier ministre a fini par lâcher le mot à la fin de la rencontre. « Accordez-nous au moins le bénéfice du doute ».
Entrant dans le vif du sujet, les deux syndicats ont chacun de son côté avancé leurs propositions pour la révision de la constitution. Le SNJ a plaidé pour un régime semi-présidentiel estimant que la société algérienne n’était pas encore prête pour le régime parlementaire et que ce dernier risque de créer des crises comme en Italie. Il a également proposé l’officialisation de la langue tamazight. Le secrétaire général du Syndicat national des journalistes a également demandé à ce que soit introduite dans le texte fondamental du pays une disposition qui fait de l’armée la garante du régime républicain et de la constitution.
Il a aussi exprimé son opposition à l’ajout dans le projet de la déchéance du mandat du député qui démissionne de son parti. Il s’est en outre réjoui de l’introduction, pour la première fois, dans la constitution la garantie de la liberté de la presse et l’interdiction de la censure. L’abrogation du code de la famille a figuré parmi les positions des deux syndicats qui ont estimé qu’on ne pouvait parler de parité alors que la femme était toujours considérée comme mineure. Avec cette précision que le SNJ a jugé que la concrétisation de la parité pouvait relever de l’impossible, compte tenu de la nature de la société algérienne.
Officialisation de Tamazight pour sauvegarder l’unité nationale
Pour sa part, la représentante de la FNJA a plaidé elle aussi pour que tamazight soit consacrée langue officielle. Elle a expliqué qu’il était absurde de soumettre à référendum la question identitaire au risque de provoquer la division du peuple algérien. « Officialiser cette langue couperait l’herbe sous les pieds de toute velléité séparatiste et préserverait la cohésion de la nation.
La fédération a proposé que soit constitutionnalisée l’interdiction de tout recours à la torture et que cette dernière soit érigée en crime imprescriptible. En matière de garde à vue, la FNJA a applaudi à l’introduction dans la constitution de la limitation de la garde à vue et a proposé que la personne qui y est soumise soit impérativement assistée d’un avocat. Mais aussi qu’elle bénéficie d’un contrôle médical avant et après la garde à vue par un médecin de son choix. La dépénalisation du délit de presse dans la constitution, la suppression du ministère de la communication et la liberté de création de sections syndicales dans les entreprises privées de presse figurent également parmi les propositions de la fédération nationale des journalistes algériens. Elle a aussi demandé à ce que les salaires des journalistes de la presse privée soient alignés sur la grille du public dans la mesure où les conventions de branches décidées dans les différentes tripartites engageaient aussi bien les opérateurs publics que privés tous secteurs confondus.
Sur un autre plan, la délégation de la FNJA a proposé la constitutionnalisation du nomadisme politique, que le mandat du député soit national et impératif et que soit supprimé le Conseil de la nation car les raisons pour lesquelles il a été créés ont disparu. La secrétaire générale par intérim de cette fédération a plaidé pour qu’en matière de protection de l’économie et de l’argent des contribuables, les personnes reconnues définitivement coupables pour corruption, dilapidation et détournement de deniers publics soient condamnées à des peines incompressibles et déchues de leurs droits civils et politiques. Cela, outre l’abolition de la peine de mort.
Les massacres du GIA pour casser la trêve
Toutefois, il faut préciser que les deux syndicats ne sont pas uniquement contentés d’égrener leurs propositions. Ils ont aussi abordé des questions de fond aussi bien politiques que sécuritaires. Ahmed Ouyahia a été interpellé sur l’introduction dans le préambule du projet de révision la constitutionnalisation de la réconciliation nationale. Ce qui pourrait ouvrir une brèche vers d’autres dérapages et le pouvoir n’aura d’autre solution que d’engager des négociations pour la réconciliation. Le directeur de cabinet du président de la République s’est voulu rassurant et a indiqué qu’il ne s’agissait nullement de cela. « Il faut que les Algériens se réconcilient avec eux-mêmes », dira-t-il en s’appuyant sur plusieurs exemples tels que les évènements tragiques de Ghardaïa où deux rites s’affrontent. M. Ouyahia informera ses hôtes que des intrus se sont introduits pour envenimer les choses, à l’image des dealers, des casseurs et bien entendu ceux qui se revendiquent du mouvement séparatiste.
Interrogé sur les raisons qui ont poussé la présidence à inviter les dirigeants de l’ex-FIS, comme Madani Mezrag et Boukhemkhem à la table des consultations, l’ex-Premier ministre a déclaré : « Madani Mezrag a été amnistié à la faveur de la grâce amnistiante. » Et l’intervenant de faire revenir ses invités jusqu’au milieu des années 90 et les pourparlers engagés par l’Etat avec les dirigeants du parti dissous après la publication de la lettre de Abassi Madani et la trêve « décrétée » par l’AIS. Quant à Boukhemkhem, explique encore Ouyahia, il a été mis en prison en 1992 et n’a pas à son actif des activités terroristes. Il a purgé sa peine. L’interlocuteur des journalistes a expliqué que les massacres perpétrés en 1997 avaient pour seul et unique objectif de casser la trêve.
A la fin de la rencontre, Ahmed Ouyahia a tranquillisé ses invités en leur assurant que la volonté du président de la République de concrétiser la démocratie était sincère et que dorénavant les élections ne seront entachées d’aucune anomalie.
Faouzia Ababsa