Réagissant aux dernières déclarations de l’ex-chef du gouvernement Sid-Ahmed Ghozali, le secrétaire général du RND qui a pris part, hier, à une rencontre de son parti à Constantine, s’est dit peiné d’apprendre des propos d’une telle teneur, tenus de surcroît par un ancien haut responsable de l’Etat qui a assumé avec courage l’épisode de l’arrêt du processus électoral, préservant le pays d’un chaos inéluctable.
«Je suis peiné d’entendre des opposants appeler les Algériens à ne pas voter. Je suis peiné d’entendre un ex-chef du gouvernement, dont j’étais le collaborateur et auquel je vouais du respect, prier le peuple de s’abstenir de voter. Peiné qu’un ex-haut responsable de l’Etat, qui a participé avec courage à l’arrêt du processus électoral, se déjuge pour affirmer que ce fut une grosse erreur.» Plus qu’une offense «à la pluralité» et «aux principes de partis comme le RND, le FLN, le FFS ou le FNA». Ouyahia considère la sortie de Sid-Ahmed Ghozali comme une atteinte à la quiétude et à la cohésion sociale. Il ne fallait pas plus d’ailleurs au secrétaire général du RND pour agiter les épouvantails de l’abstention et de l’islamisme. «Nous ne voulons pas retourner à la kalachnikov et aux massacres. En 1991, personne n’est sorti gagnant, l’abstention l’a remporté, et ce sont ceux qui étaient restés chez eux le 26 décembre que l’on a compté parmi les premières victimes des affres qui en ont suivi». Selon Ouyahia, ce sont «autant de plaies encore ouvertes qui ont empêché le peuple de s’inspirer» de la déferlante des révolutions arabes, ce qui aurait engendré, indéniablement, «sa perte et celle du pays». L’année 2011 aura été, par contre, celle de l’amorce du processus de concrétisation des réformes portées déjà, aux dires du chef du gouvernement, dans les programmes du candidat Bouteflika de 1999, 2004 et 2009. Il s’agit, selon lui, d’un agenda transpartisant, «celui de la nation algérienne» qui s’est accéléré l’an dernier à la faveur des évènements qui ont secoué le monde arabe. Evènements à propos desquels Ouyahia reste interrogatif et préfère faire planer des doutes quant aux origines des révolutions qui ont secoué particulièrement le monde arabe. Le secrétaire général du RND, qui s’exprimait, hier, à l’ouverture de la troisième conférence nationale de la femme qui se tient à Constantine, a, notamment, invité les militantes de son parti à être aux avant-postes du combat pour la sauvegarde des acquis de l’Algérie. «A l’heure du Facebook, des révolutions et de la mondialisation, la femme doit jouer pleinement son rôle de citadelle dans la préservation de nos valeurs et traditions… Nous avons troqué nos haïks et m’laya contre le hidjab et le tchador au moment où les chiites s’emparent de larges espaces dans des pays sunnites. Prévenez vos concitoyennes du rôle qu’elles doivent jouer pour préserver l’Algérie d’un retour aux deuils et aux larmes au nom de la démocratie.» Le RND, qui se targue de compter un peu plus de 20 000 militantes dans ses rangs, serait, selon son premier responsable, un précurseur du combat pour la promotion du rôle de la femme. «Au 3e congrès du parti en 2008, nous avons dû apporter des amendements à nos statuts pour faire porter le nombre de militantes au conseil national de 37 à 89 dont 9 d’entre elles siègent au bureau national. Nous n’avons pas pour autant défendu une cause féministe mais nous avons défendu la participation de 50% du peuple algérien dans la construction de l’Algérie.» Ouyahia reconnaîtra néanmoins tout au long de son discours le recul enregistré par le pays en matière de droits et de représentativité de la femme, notamment sur la scène politique, rappelant, entre autres exemples, que le Conseil constitutif de septembre 1962 comprenait 10 femmes parmi ses 197 membres et l’APN issue des législatives de 2007 compte seulement 18 femmes députés sur un total de 389. Ouyahia juge d’ailleurs inconcevable qu’un pays qui débourse plus de 20 milliards de dollars par an dans l’éducation et la formation des générations futures puisse se passer, voire marginaliser 50% de ces dernières dès la fin de leur cursus.
K. G.
Non Monsieur Ghozali, la «victoire» de l’ex-FIS ne fut en rien «légitime»
Par Leïla Aslaoui-Hemmadi
Croyez bien monsieur que ce n’est pas de gaieté de cœur que je prends la plume pour apporter la contradiction à vos récentes déclarations publiques rapportées par El Khabar. Cela m’est, en effet, pénible car outre mes sentiments de déférence et d’estime à votre égard — et vous le savez — j’ai eu l’honneur d’avoir été membre de votre gouvernement en 1991. Un double honneur devrais-je dire, celui d’avoir fait partie de votre équipe, celui surtout d’avoir accepté cette responsabilité ministérielle dans un contexte combien difficile, où l’incertitude la plus absolue le disputait à la crainte fondée de voir notre pays sombrer dans le chaos et l’obscurantisme islamiste.
Une époque où tandis que nombreux étaient ceux qui dissimulaient leurs visages sous un journal lorsque la caméra de la télévision nationale balayait une salle lors de séminaires, colloques, ou autres rencontres, d’autres plus courageux, sans calculs et au péril de leurs vies se levèrent pour s’opposer à la dérive totalitaire fort bien résumée par l’un de ses partisans : «Les Algériens changeront d’habitudes vestimentaires et alimentaires » (entre les deux tours des législatives du 26 décembre 1991). Pour la mémoire de ces authentiques républicains dont Abdelhak Benhamouda, Hafid Senhadri, Djillali Belkhenchir président pour le premier, membres pour les deux autres du Comité national de sauvegarde de l’Algérie tous trois assassinés par le terrorisme islamiste, et parce que j’ai vécu de l’intérieur en ma qualité de membre de votre gouvernement les législatives de 1991, je ne puis accepter sans réagir que vous déclariez publiquement : «Le peuple algérien avait donné la majorité au FIS dont la victoire était légitime et personne ne peut le nier» ( El Watan 2 mars 2012). Il m’est indifférent de connaître les motivations qui vous ont amené à tenir de tels propos. Elles vous appartiennent et vous concernent. Par contre, vous n’avez pas le droit de qualifier aujourd’hui de «victoire» ce que vous aviez nommé hier «fraude massive».
• Vous n’en avez pas le droit car semer le doute dans les esprits — notamment de ceux qui n’ont pas vécu les législatives de 1991 — est gravissime de la part du haut responsable que vous fûtes, principal acteur et organisateur des élections du 26 décembre 1991 «propres et honnêtes», aviez-vous promis.
• Vous n’en avez pas le droit car après le premier tour des législatives vous vous étiez adressé début janvier 1992 aux Algériens dans une longue déclaration télévisée au journal de vingt heures pour dire d’une manière concise et qui ne souffrait aucune ambiguïté que «les élections n’avaient été ni propres ni honnêtes». Vous expliquiez alors, que si l’administration avait tenté d’organiser un scrutin transparent il n’en fut pas de même pour le parti du FIS «qui a usé et abusé de stratagèmes et de magouilles propres à lui assurer une victoire certaine» (vos propos télévisés).
• Vous citiez ce soir-là l’exemple du million de cartes non distribuées par les APC FIS aux électeurs connus pour leurs positions et convictions républicaines.
• Vous citiez ce soir-là les «fraudes massives» (vos propos) et manipulations des listes électorales par l’ex-FIS.
• Vous expliquiez ce soir-là (je m’en souviens comme si c’était hier) que ces opérations frauduleuses dans les listes électorales n’avaient pas seulement privé les anti-intégristes de leurs cartes d’électeur, elles ont également permis aux familles favorables aux candidats de l’ex-FIS d’avoir deux cartes dont une sous un faux nom.
• Vous expliquiez ce soir-là que des morts avaient été ressuscités. J’ajouterai pour ma part ce témoignage tiré de mon vécu d’électrice en 1991. J’ai assisté à un trafic de bulletins ostentatoire. A partir de l’extérieur, on récupérait un bulletin qu’un militant du FIS cochait et remettait à l’électeur(trice) suivant avec consigne de voter avec celui-ci et de rapporter le bulletin vierge qui devait servir à d’autres électeurs. J’en fis d’une manière véhémente la remarque au président du bureau qui se défendit de commettre la moindre irrégularité. «Cela se passe dehors !» me dit-il. Ces rappels historiques m’autorisent à vous dire que vous ne sauriez et ne pourriez vous déjuger aujourd’hui, en qualifiant de «victoire légitime» ce que vous avez prouvé d’une manière irréfutable être une fraude massive hier, face à des millions de téléspectateurs qui vous écoutaient cette nuit de janvier 1992 après le 1er tour des législatives.
• Vous ne le pouvez pas car vos clins d’œil aux islamistes sont bien évidemment votre droit et votre liberté, cependant ils ne gommeront pas vos positions, déclarations et convictions d’hier. L’Histoire les a entendues, enregistrées et archivées.
• Vous ne le pouvez pas car maintes fois vous avez eu à dénoncer la prétendue supercherie consistant à accréditer par certains la fausse thèse «d’une victoire confisquée», appelée à justifier la barbarie islamiste. Voici vos propos à Paris, lors du procès contre Souadia en juillet 2002 en votre qualité de témoin de la partie civile (général-major Khaled Nezzar) : «Monsieur le président (du tribunal), les premiers assassinats ne datent pas de l’interruption du processus électoral ; les premières actions armées et violentes des islamistes ne datent pas de la légalisation officielle du FIS en 1989. Les maquis islamistes existaient depuis le début des années 80… La stratégie de l’islamisme intégriste et violent a toujours eu comme objectif de cueillir le pouvoir sur la base de l’effondrement de l’Etat…» (Sid Ahmed Ghozali Un procès pour la vérité, Mohamed Maarfia Khaled Nezzar, édition ANEP page 260).
• Vous ne pouvez pas vous déjuger car l’Histoire retiendra également que votre gouvernement avait présenté à l’APN FLN en 1991 un projet de scrutin proportionnel rejeté par des députés convaincus que le scrutin majoritaire à deux tours jouerait en faveur du FLN. Vous saviez, quant à vous, les dangers d’un tel scrutin servant les intérêts de l’ex-FIS en sus de ses «magouilles» (vos propos). Toujours à Paris lors de ce procès voici ce que vous déclariez en votre qualité de témoin : «Il y a eu un million de votes blancs. De plus, un million de citoyens se sont présentés pour voter dans leur commune mais n’ont pas trouvé leurs noms sur les listes électorales… Ces élections n’ont pas été libres ni démocratiques, elles ont été faussées » (page 264, ouvrage cité plus haut).
Comment dans ces conditions pourriez-vous qualifier de «victoire légitime» la mascarade électorale de l’ex-FIS. C’est précisément parce qu’il y a eu fraude que l’arrêt du processus électoral s’imposait. Parce que ainsi que vous le déclariez à Paris (procès) : «L’islamisme, M. le président, est une idéologie totalitaire. C’est même l’un des grands totalitarismes du 20e siècle» (page 260). Et de ce fait, oui l’arrêt du processus électoral était l’unique voie qui s’offrait à nous pour sauver l’Algérie du «totalitarisme». De ce fait aussi, vous ne pouvez dans le même temps parler de «victoire » de l’ex-FIS et de légitimité de l’arrêt du processus électoral. Mais après tout n’est-il pas rassurant tout de même de vous voir assumer aujourd’hui encore l’arrêt du processus électoral à défaut de vous voir reconnaître comme vous le fîtes hier que «fraude et victoire» ne font pas bon ménage ? Au moment où certains organisent colloques et rencontres sur le bien-fondé (ou non) de l’arrêt du processus électoral avec l’arrière-pensée à peine dissimulée de trouver un petit soldat B.-H. L (Bernard- Henri Lévy) capable de les aider à «déboulonner» l’Armée populaire nationale leur obsession pathologique, au moment où d’autres plaident en faveur de l’islamiste pur et dur nommé Dhina Mourad, je ne crois pas qu’il soit de bon aloi de votre part de travestir un mensonge électoral en «victoire». Et pourquoi ? Les élections de 1991 ont été truquées et vous le savez mieux que moi. L’arrêt du processus électoral était un choix salutaire. Fallait-il seulement que l’Etat l’assume politiquement. Ce ne fut pas le cas, malheureusement. Je me souviens que vous aviez déclaré lors du procès de 2002 à Paris que vous étiez le seul à décider de la nomination des ministres : «C’est moi qui ai choisi mes ministres à l’exception du ministre de la Défense nationale et du ministre des Affaires étrangères» (page 257 de l’ouvrage). Dans ce cas, comment expliquer le départ de Mme Anissa Benameur en février 92, ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi nommée en octobre 1991 seulement pour être remplacée à ce poste stratégique (en février 92) par un islamiste pur et dur : Saïd Guechi (décédé). Comment justifier la venue d’un autre islamiste aux affaires religieuses à la même période, Sassi Lamouri, qui avait brandi un exemplaire du Coran lors d’un débat télévisé avec maître Miloud Brahimi en hurlant : «C’est celle-là l’unique Constitution que je connaisse, il n’y en a pas d’autres». Si donc je me réfère à vos propos selon lesquels vous aviez choisi vos ministres en toute liberté, vos choix islamistes étaient-ils alors annonciateurs de vos récentes déclarations dont on retient que vous qualifiez une gigantesque tromperie électorale de «victoire» ? Pour ma part, je n’ai pas changé d’avis : 1) L’ex-FIS n’a pas gagné il a fraudé tout comme le jour où il a fait croire que le nom «d’Allah» avait apparu en toutes lettres dans le ciel algérois. 2) L’arrêt du processus électoral était le bon choix. 3) L’islamisme ne sera jamais porteur de lumière et de prospérité. A chacun ses convictions après tout ! Sauf que le changement d’opinion ne porte pas le nom de conviction.
L. A.-H.