La recherche demeure le principal critère de la réussite
Les responsables du secteur de l’enseignement supérieur, chez nous, reconnaissent enfin «la mauvaise gestion et le grand chaos qui règne dans le secteur» (L’Expression du 12/08/2013). C’est un progrès! Toutefois, cet aveu est décliné d’une manière qui veut faire croire à la non-implication de ces responsables dans ce qu’ils décrivent comme un «grand chaos» et, surtout, de ce qu’ils disent être «une mauvaise gestion». Comme si c’était une autre partie qui gérait ce secteur. Comme si les universités, chez nous, échappaient totalement au contrôle du Mesrs (ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique) ou comme si les recteurs de ces universités étaient nommés par le garde-forestier du coin! Si chaos il y a, c’est d’abord au niveau des responsabilités du secteur qu’il faut chercher les causes. Nul n’ignore, en effet, que les rectorats et les administrations locales des universités reçoivent les orientations et les instructions du 11, chemin Doudou-Mokhtar à Alger. Même lorsqu’elles ne sont pas écrites, ces directives sont non discutables car elles proviennent de la tutelle, cette tutelle qui, aujourd’hui, veut se refaire une virginité en pointant du doigt le désordre qui frappe notre Université. S’il y a chaos, c’est parce que les mauvaises pratiques n’ont peut-être pas été combattues à temps. C’est peut-être aussi parce que la majorité des recteurs n’ont pas changé de poste depuis… 1999, comme s’ils avaient fait preuve d’une réussite exceptionnelle à la tête de leurs établissements ou comme s’ils avaient obtenu des récompenses internationales pour des publications extraordinaires. Il faut aussi se demander si ce chaos n’est pas dû simplement au fait que le ministère ne s’intéressait que peu ou prou aux missions fondamentales de l’université car, comme le soulignait si justement le Pr Chitour (L’Expression du 15/08/2003) «la moitié du temps de la tutelle est dévolue à des tâches que ne sont pas de ses missions fondamentales».
Limitation de financement…
Mais maintenant que le ministère reconnaît les dégâts dont il est l’artisan premier, que nous propose-t-il pour y remédier? Pas moins qu’une fermeture de la vanne financière. «L’Etat, nous dit-on, a décidé d’arrêter de les financer graduellement (comprendre par là qu’il a décidé d’arrêter graduellement de financer les universités) en raison des sommes astronomiques allouées annuellement à ce secteur budgétivore mais non rentable». Autrement dit, après 50 ans d’assistance dont les 30 dernières se sont avérées totalement inefficaces et les 15 dernières incroyablement destructrices, et après avoir appris aux universités comment être dépendantes et non rentables, voilà que le ministère de l’Enseignement supérieur veut les sevrer pour les punir d’avoir été ses victimes consentantes!!! On serait dans le monde de Kafka qu’on ne serait pas dans pire situation. «Cette décision vise à réduire les dépenses du Trésor public» nous affirme-t-on. Lesquelles, exactement? C’est justement ce que l’on ne veut pas nous dire car, en réalité, ce sont d’abord les augmentations de salaires que l’Etat a consenti et auxquelles il ne peut faire face durablement sans aller droit dans le mur!
Le ministère a décidé de réduire le financement des universités et leur demande de trouver pour cela de nouvelles sources. Dans un arrêté ministériel (n° 353) il propose à ces universités de «réaliser des études, recherches, analyses d’affaires» et, si cela ne suffit pas, il faut penser à «organiser et encadrer des conférences, des séminaires, des forums et des journées d’étude» et si malgré tout, cela ne marche pas, alors il faut voir comment se débrouiller pour «offrir des assistances techniques et des conseils dans le domaine de la pédagogie tout en menant des expertises et des conseils scientifiques». On pose ici seulement la question de savoir si toutes nos universités peuvent prétendre à de telles opérations. Toutes n’ont pas les mêmes aptitudes et toutes ne se trouvent pas dans le même environnement. A supposer que pour les besoins de la spéculation, nos universités disposent des compétences à même de leur permettre de fournir ces services. Dans ce cas et si, par exemple, l’Université de Bab Ezzouar se trouve juste à proximité d’une grande zone industrielle et à portée de voix de nombreuses grandes entreprises, celles de Djelfa, Béchar ou Adrar ne peuvent pas se targuer d’être dans la même situation. Si, par ailleurs, une faculté d’informatique, un département de mécanique ou une école de management peuvent dénicher quelques contrats pour se financer, qu’est-ce qu’une faculté de lettres pourrait bien vendre à son environnement? Et est-ce qu’une faculté des sciences islamiques, pour survivre, peut offrir un service payant à la wilaya ou à Sonatrach? Selon les recommandations ministérielles, «les universités sont également appelées à publier et imprimer des magazines et des revues scientifiques». Nul n’ignore que chaque université chez nous, et Dieu sait qu’elles sont nombreuses, a sa propre (voire ses propres) revue(s). Nul n’ignore cependant que la majorité de ces revues n’ont qu’un seul but: grossir malhonnêtement les CV et servir de tremplin pour les promotions. Le contenu scientifique est, pour la plupart de ces revues «scientifiques», le dernier de leurs soucis. Qui a osé un jour vérifier la rigueur de ces revues qui, soit dit en passant, ne sont classées nulle part et ne bénéficient d’aucune reconnaissance ailleurs qu’à l’université même qui les produit?
Ainsi, nous nous acheminons donc sans conteste vers l’université à deux vitesses. Il y aura, d’un côté, les établissements qui auront assez de ressources pour attirer les meilleurs enseignants, les meilleurs moyens et la technologie la plus performante et, de l’autre côté, ceux qui tousseront quelque temps avant de se résoudre à fournir à leurs étudiants la brouette et le burin comme seuls moyens d’apprentissage et qui ne pourront même pas acheter des microscopes ou des ouvrages intéressants. En plus, il va sans dire que la renommée de ces universités ne sera pas la même, et un filtre devra être choisi pour éviter l’étouffement des «meilleures». Le paiement par les étudiants de leurs études devra donc être une proposition qui suivra un peu plus tard car, sinon, comment maîtriser les inscriptions dans ces universités?
Corée du Sud, Portugal, Chili etc…
Si nos universités étaient performantes, on aurait compris la démarche du ministère car on aurait dit qu’il est temps que chacun compte sur soi. Le problème c’est que le Mesrs qui n’a jamais rien fait pour les rendre meilleures, a décidé de s’en débarrasser pour ne plus avoir à en supporter la faiblesse qu’il a produite. Que l’on en juge!
Corée du Sud
Portugal Chili
Algérie
Population (millions)
48,9 11
16,634 37,9
Superficie
(km²) 99274
92.201
756.950
2.381.742
Nombre
d’universités publiques 49 15 16
91
Nombre
d’universités privées 9
7 12 0
Nombre
d’universités dans le top 500 au classement Shanghai de 2013
11 4 2 0
Tableau constitué à partir des données du classement Shanghai 2013 (1)
Nous avons plus d’établissements relevant du secteur de l’enseignement supérieur (universités, écoles supérieures, centres universitaires etc.) que la Corée du Sud, le Portugal et le Chili réunis. Avec nos 91 établissements universitaires (2), nous disposons de presque le double des établissements universitaires de Corée du Sud (49 publics et 9 privés), plus que le quadruple des établissements portugais (15 publics et 7 privés) et du triple du nombre d’établissements universitaires du Chili (19 universités publiques et 12 privées). A l’arrivée, le Chili a pu classer 2 universités dans le Top 500 mondial 2013 qui a été publié ce jeudi 15/8/2013 (3), le Portugal en a classé 4 et la Corée du Sud 11. Nous avons pris ces pays comme exemple car dans les années 1970, notre économie était de loin meilleure que celle portugaise, nous étions en paix tournés vers la construction du pays au moment où le Chili souffrait l’étouffante dictature de Pinochet et nous étions au même niveau de développement, à peu près, que la Corée du Sud. Quarante ans plus tard, voilà où ces pays en sont et nous ne savons même pas où nous en sommes car nous ne figurons pas dans le Top 500, ni dans le Top 1000, ni dans les suivants. Nous ne savons plus d’ailleurs si nous sommes quelque part. La différence est grande, si grande que nous sommes obligés de nous demander ce que les responsables du secteur avaient bien pu faire pendant tout ce temps.
Ceux qui ont piégé l’université dans la toile de l’araignée, ne l’ont pas fait pour qu’elle soit sauvée
Aujourd’hui, notre ministère veut rattraper le temps perdu en privatisant l’université (ou en ouvrant l’université aux privés, c’est selon ce qui ne se dit pas encore). Mais faut-il rappeler que l’on ne récupère pas des dégâts d’une période d’inactivité aussi longue uniquement par le bienfait d’arrêté ministériels ou de décisions. Le mal est si profond que ni en 2020 (comme nous l’ont promis certains responsables du secteur) ni en 2040, nous ne pourrons aspirer à améliorer la situation de notre université. Ceux qui l’ont piégée dans la toile de l’araignée, ne l’ont pas fait pour qu’elle soit sauvée. Revenons maintenant à cette histoire d’ouverture aux privés. Nul doute que l’ouverture de l’université au secteur privé est un acte à prendre au plus grand sérieux. Partout ailleurs, à commencer par les Etats-Unis, la France, l’Angleterre etc., on est en train de remettre en cause la «privatisation» de l’enseignement supérieur qui donne inévitablement deux types d’étudiants: ceux qui pourront poursuivre leurs études pour la seule raison qu’ils peuvent se les offrir et ceux qui ne pourront pas y accéder pour la seule raison qu’ils n’en ont pas les moyens financiers. Le mérite et les compétences seront oubliés comme l’a été la conscience dans certains secteurs où la privatisation visait pourtant une certaine amélioration des choses.
L’ouverture de l’enseignement supérieur – et de l’éducation en général – s’opère avec la conviction que les mécanismes du marché puissent agir afin de pousser le secteur vers l’amélioration, mais il est nécessaire de garder présent à l’esprit que dans ce cas précis, non seulement «le marché ne fonctionne pas toujours» (4), mais que, en plus, il est une réalité irréfutable, celle de l’expérience américaine qui montre «à quel point la privatisation de l’éducation supérieure est dévastatrice pour l’ascenseur social» (5). En fin de compte, on vient de s’apercevoir aux Etats-Unis d’Amériques que «les universités états-uniennes ont créé une forme de nouvelle aristocratie où seuls les plus riches peuvent accéder aux études supérieures à de rares exceptions près. Un véritable mur d’argent sépare les classes aisées des classes populaires mais aussi moyennes» (6). Ceci est visible à la hausse vertigineuse du coût des études qui «de 2001 à 2010, est passé de 23% du salaire annuel moyen à 38%». (7) Pour ce qui nous concerne, il suffit de rappeler que le coût des études dans certain lycées privés est de 240.000 DA. Si l’on accepte un salaire annuel moyen de 360.000 DA (8), ceci nous donne, rien que pour le palier «lycée» un coût d’études de 67% environ. L’aberration est déjà là, debout qui nous nargue et nous toise! De combien sera celui des études supérieures? Et si aujourd’hui déjà ce n’est pas tout le monde qui pourra prétendre envoyer ses enfants dans un lycée privé, qui le pourra demain dans une université privée? Et à quel prix? Il est clair que l’Etat ne peut pas se désengager totalement du financement de l’université dans le cas où elle venait à être ouverte au secteur privé, sinon ce sera réellement la catastrophe.
Le marché n’a pas d’état d’âme
On ne peut pas être tout à fait contre une ouverture au privé, mais on ne doit pas, non plus, laisser cette ouverture s’opérer de manière anarchique ce qui se répercutera, sans doute, sur le devenir de notre université. En effet, la participation du secteur privé à la sortie de notre université du marasme dans lequel l’ont jeté ses responsables est tout à fait envisageable, mais dans des conditions particulières et avec des conditions bien définies. Il ne nous appartient pas de dire, ici, ce qu’il y a lieu de faire ou pas. Nous considérons que cela relève d’un débat national entre les compétences universitaires aussi bien celles vivant en Algérie, qui connaissent mieux les problèmes du vécu, que celles installées ailleurs et qui peuvent faire profiter le pays d’expériences des autres pays. Malheureusement, le ministère de l’Enseignement supérieur, un peu trop pressé peut-être d’en finir, semble avoir occulté ce débat si important et si vital pourtant.
L’ouverture de l’université algérienne au secteur privé ne doit pas, en tout cas, se faire comme celle des paliers inférieurs (école primaire, collèges et lycées qui, dans certains cas, donnent un assez mauvais exemple actuellement). On ne gère pas un lycée comme on gère une supérette et on n’entre pas dans une école comme on entre chez un marchand de légumes. C’est malheureusement ce qui pourrait arriver si l’on ne prend pas toutes les précautions.
Chez nous, le cauchemar n’en sera que plus grand car, il faut le dire, le privé chez nous n’a pas encore réussi, pour la plupart du temps, à s’élever au-dessus du stade mercantiliste simple. Tout ce qui comptera pour le privé, comme ailleurs, c’est la rentabilité ou, plutôt, les entrées de monnaie. Rien de plus. Or, dans un secteur aussi stratégique et aussi sensible que l’enseignement supérieur, si la génération de profits ne peut être que bénéfique pour la propulsion de la recherche et de l’amélioration des aspects pédagogiques et didactiques, elle ne doit, en aucun cas, constituer la préoccupation principale. Nous avons eu beaucoup d’espoir dans les cliniques privées de santé, or la désillusion est totale à ce propos. Bien sûr, ce ne sont pas toutes les cliniques privées qui ont déçu, mais, disons beaucoup d’entre elles. Nous avons rapporté, dans ces mêmes colonnes qu’il en existe même, parmi ces dernières, qui ne tiennent même pas de registre des protocoles opératoires. De l’irresponsabilité, de l’inconscience pure et simple! Et dire que ce registre coûte 100 DA à tout casser!