Ouverture ce soir de la 72ème édition du festival de Cannes avec des programmes des plus alléchants : Algérie – Maroc, deux matchs sur tapis rouge

Ouverture ce soir de la 72ème édition du festival de Cannes avec des programmes des plus alléchants : Algérie – Maroc, deux matchs sur tapis rouge

Tewfik Hakem

Avec deux films par pays, l’Algérie et le Maroc s’affrontent doublement cette année à Cannes. Les dames à un Certain Regard et les messieurs à la Semaine de la Critique. Quatre premiers films très attendus pour un double duel maghrébin sur la Croisette. Avant la montée des marches et des tensions, petit résumé de la situation. 

Les deux voisins ennemis et néanmoins frères du grand Maghreb désuni vont se retrouver dans deux des sélections compétitives de la plus grande et plus prestigieuse manifestation internationale dédiée aux films de cinéma. Les matchs n’auront pas lieu en première division, autrement dit pas dans la sélection officielle qui est la reine des compétitions cannoises avec sa si convoitée Palme d’or, mais dans des sélections parallèles où les places sont presque tout aussi chères. Donc d’abord bravo pour les candidats maghrébins sélectionnés parmi tant d’autres prétendants du monde entier. 

Maintenant que la compétition commence ! 

Chez les messieurs cela se passe à la Semaine de La Critique – section consacrée aux premiers et seconds films – à titre d’information pour cette édition 2019 le comité de sélection de la Semaine de la Critique a vu 1050 longs métrages pour n’en retenir que 11 ! 

L’Algérien Amin Sidi-Boumediène y dévoilera son premier long-métrage au titre énigmatique d’«Abou Leïla». Face à lui le marocain Alaa Eddine Aljem nous propose un film au titre tout aussi étrange «Le miracle du Saint inconnu», également un premier long-métrage. 

Les deux jeunes cinéastes maghrébins ont des parcours qui se ressemblent. 

Le réalisateur, scénariste, monteur et musicien, Amin Sidi-Boumediène (né en 1982), ancien étudiant en chimie, a été diplômé en réalisation du Conservatoire Libre du Cinéma Français en 2005. Il s’est fait connaître par ses courts-métrages, dont «L’île (Al Djazira)» et «Demain, Alger ?», produits par Thala films et primés dans divers festivals. 

Son collègue marocain, le producteur, réalisateur et scénariste Alaa Eddine Aljem (né en 1989) a étudié le cinéma à l’ESAV Marrakech et a rejoint par la suite l’INSAS à Bruxelles. Il est l’auteur de quelques courts-métrages et documentaires également remarqués dans les manifestations mondiales. 

Autre point commun ? Les deux films «Abou Leïla» et «Le miracle du Saint inconnu» ont été tournés et l’un et l’autre dans le désert. Sahara algérien vs Sahara marocain ? La guerre des sables, le retour, sur grand écran ? C’est chaud ! 

Si Amin Sidi-Boumediène propose un road-movie dramatique avec suspense fantastique selon notre lecture du synopsis, son jeune frère et concurrent marocain annonce une comédie à caractère sociale, en forme de «western moughrabi», toujours selon le synopsis ! 

Deux films de genre ? On dirait… 

En tout cas voici comment les films se présentent eux-mêmes : 

– Abou Leïla de Amin Sidi-Boumediène (2h15) : «Algérie, 1994. S. et Lotfi, deux amis d’enfance, traversent le désert à la recherche d’Abou Leïla, un dangereux terroriste. La poursuite semble absurde, le Sahara n’ayant pas encore été touché par la vague d’attentats. Mais S., dont la santé mentale est vacillante, est convaincu d’y trouver Abou Leïla. Lotfi, lui, n’a qu’une idée en tête : éloigner S. de la capitale. Pourtant, c’est en s’enfonçant dans le désert qu’ils vont se confronter à leur propre violence». 

– Le miracle du Saint inconnu de Alla Eddine Aljem (1 h 41) : «Au beau milieu du désert, Amine court. Sa fortune à la main, la police aux trousses, il enterre son butin dans une tombe bricolée à la va-vite. 

À sa sortie de prison, l’aride colline est devenue un lieu de culte où les pèlerins se pressent pour adorer celui qui y serait enterré : le Saint inconnu. Obligé de s’installer au village, Amine va devoir composer avec les habitants sans perdre de vue sa mission première : récupérer son argent». 

Il ne faut jamais se fier au synopsis des films c’est bien connu, on attendra donc de voir sur grand écran de quoi il en retourne avant de juger en notre âme perdue et conscience retrouvée. Cela veut dire en dehors de toute autre considération régionaliste, sexiste ou quoi que ce soit. Sinon, pour les prix potentiels que pourront décrocher les deux cinéastes c’est l’affaire du jury de la Semaine de la Critique – cette année présidé par le cinéaste colombien Ciro Guerra. 

Chez les dames, on passe à un étage supérieur : la sélection Un Certain Regard, l’antichambre de la compétition officielle. 

La Marocaine Maryam Touzani y présente «Adam», et sa soeur algérienne Mounia Meddour «Papicha». Les deux films traitent de la condition des femmes islamo-berbéro-maghrébines, en temps de paix comme en temps de guerre civile. Pour le prix de l’originalité c’est râpé pour les 2 M (Mounia et Maryam), mais pour le reste tout est ouvert. 

Maryam Touzani, née en 1980 à Tanger, et qui a eu les moyens d’étudier à Londres, a commencé à faire de la critique de cinéma avant de passer à la réalisation et à l’écriture. En 2011, son premier court-métrage Quand ils dorment l’a fait connaître, et en 2014 elle réalise Sous ma vieille peau sur la prostitution au Maroc qui fera couler beaucoup de bave, d’encre et monter les polémiques à clics. Ce documentaire a donné lieu au film Much Loved de Nabil Ayouche qui a encore plus défrayé la chronique en 2015, avec au final agression des comédiennes du film. Le second court-métrage de Maryam Touzani, sorti en 2015, Aya va à la plage, traite de l’exploitation des jeunes enfants comme domestIques. 

Egalement fille des années 80, l’Algérienne d’en France Mounia Meddour a, elle, réalisé une série de documentaires dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont divers et variés. On lui doit un film sur le nouveau cinéma algérien, un autre sur la cuisine marocaine en héritage, un documentaire sur les bancs des facs des sciences qui se vident en France et un portrait d’une femme de chambre qui vit seule dans une maison en Normandie et travaille dans petit hôtel de bord de mer. 

Le synopsis du film de Mounia Meddour plante le décor (et plombe un peu l’ambiance, avouons-le). 

Papicha : «Algérie dans les années 1990. Nedjma, une étudiante de dix-huit ans passionnée de stylisme, refuse de laisser les événements tragiques de la guerre civile algérienne l’empêcher de mener une vie normale et de sortir la nuit avec son amie Wassila. Alors que le climat devient de plus en plus conservateur, elle rejette les nouvelles interdictions imposées par les radicaux et décide de se battre pour sa liberté et son indépendance en organisant un défilé de mode». 

Maryam Touzani pitche avec plus de tact son film «Adam» dans une interview au HuffPost : «C’est l’histoire d’une rencontre quelque peu fortuite entre deux femmes dans la médina de Casablanca. Le genre de rencontre inattendue, comme le destin sait si bien faire et qui peut changer le cours d’une vie. Samia est une mère célibataire, enceinte, qui arrive de la campagne pour faire adopter son enfant. Elle sera accueillie chez une jeune veuve, Abla, qui se bat pour vivre avec sa petite fille de 8 ans. Elle a perdu le goût de la vie depuis que son mari est mort. Les deux femmes vont faire un véritable chemin intérieur de réapprentissage, en allant l’une vers l’autre». 

Maryam Touzani est l’épouse du réalisateur Nabil Ayouche et, à ce titre, a joué le rôle principal de son dernier film «Razzia ». Mounia Meddour est la fille du regretté Azzedine Meddour, l’auteur du désormais classique «Combien je vous aime», elle est également femme de réalisateur, mariée depuis 2005 à Xavier Gens (qui a entre autres réalisé «Hitman»). 

Ces précisions ne sont données ici que pour vous rassurer : si le duel doit se poursuivre dans les magazines pipole ou sur Instagram, là aussi les deux belles autrices de films sont à égalité de chances. À la fin c’est le jury présidé par la franco-libanaise Nadine Labaki qui départagera – si besoin – les deux concurrentes pour le Grand Prix Un Certain Regard et un autre jury, présidé par le réalisateur cambodgien Rithy Panh décidera si l’un des quatre candidats maghrébins en lice mérite La Caméra d’or (qui récompense le meilleur premier film, toutes sections confondues)… 

Néanmoins, ce match Maroc – Algérie sur le plan cinématographique et en terre cannoise ne doit pas nous faire oublier l’essentiel, le réel. Après plus de 40 ans de brouille, ne faudrait-il pas penser à trouver une solution politique pour que les deux pays puissent se retrouver en voisins paisibles et en mode Khawa-Khawa, Hirak-Hirak, à bas le roi en général – à bas les généraux royalement. 

Quand aux fâcheries d’hier, elles peuvent se régler facilement sous l’égide de l’ONU et du programme Pétrole contre Cannabis à actionner toute de suite et en toute transparence. 

Attention, alors que ce match historique Algérie – Maroc polarise notre bienveillante attention, la surprise pourrait surgir sournoisement d’ailleurs nous préviennent quelques éclaireurs croisés dans le train qui nous fait bientôt arriver à Cannes. 

Sournoisement ? Ah oui c’est vrai, la Tunisie est aussi présente dans cette 72ème édition du Festival de Cannes. À la Quinzaine des Réalisateurs on peut voir «Tiamess» d’un autre Alaa Eddine : Alaa Eddine Slim, un réalisateur, scénariste, chef monteur et producteur tunisien qui a déjà prouvé son audace avec son premier long-métrage «The last of us», radical road-movie sans paroles avec un incroyable Robinson des temps modernes. 

Ce cinquième film du Grand Maghreb représenté à Cannes est co-produit par la France comme les quatre autres. 

Le synopsis du deuxième film du Tunisien Alaa Eddine Slim, «Tiamess», tendrait à confirmer que ce sympathique bear né en 1982 à Sousse, n’a pas fini de nous étonner : «Après le décès de sa mère, un jeune soldat tunisien rentre chez lui. Il abandonne alors l’armée et est recherché par les autorités. Après plusieurs altercations avec la police, il est grièvement blessé et se réfugie dans une forêt proche. Parallèlement, une jeune femme enceinte vit dans une luxueuse villa dans cette même forêt et fait la connaissance du soldat. Des événements étranges surviennent alors…» 

Le cinéma de genre est-il en train de renaître au Maghreb ? Voilà, nous tenons enfin la bonne question et la bonne chute. Et même mieux : notre alibi culturel pour revenir au Festival de Cannes. Toujours à votre service.