Dans une interview qu’il a accordée à nos confrères de Liberté, Daho Ould Kablia, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, a reconnu que les dernières émeutes qui ont secoué le pays sont le résultat d’un «cumul» de revendications non satisfaites.
Le ministre a aussi évoqué la faiblesse de la communication étatique face à ce qu’il appelle un «discours négationniste», qui nie les progrès accomplis par l’Algérie ces dernières années. Plus important, M. Ould Kablia a suggéré un probable examen de l’état d’urgence dont de nombreux partis et associations souhaitent la levée.
D’emblée, le ministre de l’Intérieur reconnaît qu’il n’a pas vu de manipulation derrière les émeutes qui ont secoué le pays au début de l’année, relevant «une certaine spontanéité liée aux problèmes que rencontrent les Algériens, de manière générale, et les jeunes, en particulier». «Le malaise est un peu profond», reconnaît M. Ould Kablia en faisant remarquer que toute la société en est affectée. Mais, selon lui, l’autre facteur déclenchant est sans conteste «la faiblesse de la communication» face aux «discours négationnistes» relayés par une certaine presse ainsi que des partis politiques qui mettent l’accent uniquement sur ce qui est négatif dans l’action du gouvernement.
«Certains ont tendance à nier les progrès et les actions positives en faveur de la population», dit le ministre de l’Intérieur qui invite les contradicteurs à relativiser les choses car, rappelle-t-il, l’Algérie a réalisé beaucoup de progrès depuis l’an 2000. M. Ould Kablia estime que «l’Etat doit être fort mais juste», et c’est la raison pour laquelle il doit répondre aux préoccupations de tous, mais par ordre de priorité. Dans ce sens, il cite les nombreux problèmes «déclencheurs» d’émeutes auxquels l’Etat doit apporter des solutions, essentiellement le logement et l’emploi.
«Il y a une crise existentielle»
Le ministre de l’Intérieur regrette la violence qui s’exprime «même dans des moments de joie», mais celle-ci n’est pas le fait de tous les jeunes. «Il y a une crise existentielle chez tous les jeunes», dit-il, et tous les acteurs sociaux doivent s’impliquer pour «essayer de ramener ces jeunes à plus de civisme». M. Ould Kablia avoue ne pas avoir «ressenti» de revendications politiques, ce qui prouve à son sens qu’aux yeux de la population, «l’Etat, malgré tout, jouit d’une certaine crédibilité».
Estimant que l’Algérie a ses «caractéristiques», qui la différencient des autres pays de la région, le ministre pense qu’il y a «des possibilités d’évacuation de la colère» et des «cadres d’expression permettant aux gens qui ne sont pas d’accord de faire entendre leur voix». «Il y a un Etat de droit», assure le ministre qui refuse qu’on fasse le parallèle entre l’Algérie où il y a «un développement» et les autres pays «où l’effort de l’Etat se focalise sur certaines villes et les investissements se font au profit de l’étranger».
Questionné sur la marche du RCD et son interdiction, M. Ould Kablia considère qu’elle a été un échec, ajoutant que c’est le président de cette formation qui l’a reconnu «lui-même». A propos de la levée de l’état d’urgence, le ministre rappelle que la question relève des prérogatives du gouvernement et non du ministre de l’Intérieur.
«C’est au gouvernement qu’il revient d’estimer si l’état d’urgence est toujours nécessaire ou pas», a-t-il ajouté, considérant que cette mesure, qui ne gêne «nullement» un certain nombre d’activités, a été mise en place pour lutter contre le terrorisme. Indiquant qu’il ne peut se prononcer sur ce dossier, M. Ould Kablia laisse entendre toutefois que le gouvernement pourrait l’examiner «pour voir si le fait qu’il soit toujours en vigueur peut apparaître positif ou si on peut s’en passer».
«Les marches sont interdites à Alger»
En réponse à une question sur la marche que compte organiser à Alger la coordination nationale pour le changement et la démocratie, le ministre rappelle que ce genre d’actions de rue est interdit dans la capitale, même si la demande est formulée par un parti de l’Alliance présidentielle, et ce, du fait qu’«il y a des problèmes qui peuvent ne pas être pris en compte par les organisateurs des marches». «Les terroristes peuvent profiter de cette occasion pour pénétrer à Alger», ajoute le ministre qui redoute les dérapages. Il en veut par ailleurs aux partis qui n’ont pas condamné «les effets négatifs» de ces évènements, les pillages, la mise à sac…» On a brûlé des véhicules, volé des biens, saccagé des petits magasins. Les jeunes ont effectivement des problèmes, mais des individus ont profité de ces évènements pour voler, piller, saccager. C’est une réalité qu’on ne peut occulter», a expliqué le ministre qui précise que «les marches et rassemblements ne sont pas interdits ailleurs».
M. Daho Ould Kablia reconnaît la légitimité des revendications des jeunes tout en estimant que cette dernière s’est exprimée de manière illégale. Pour ce qui est des revendications de l’opposition, par contre, il considère que «ses membres cherchent des opportunités de s’exprimer différemment avec des objectifs de médiatisation vers l’extérieur du pays».
Revenant sur le bouclage sécuritaire de la capitale, le ministre de l’Intérieur estime qu’«il y a trois fois moins de policiers à Alger que dans des capitales arabes de même importance en matière de population». Selon lui, «la capitale a besoin d’être sécurisée non seulement contre le terrorisme mais contre toutes les formes d’insécurité ou de criminalité».
Améliorer la communication en direction des élus
Questionné sur les rumeurs qui courent sur l’état de santé du président de la République, Ould Kablia confirme que «le président de la République suit la situation du pays et l’action du gouvernement au quotidien et qu’il fait part à tout moment de ses instructions, de ses observations ou de ses critiques».
A propos des révélations de WikiLeaks sur l’Algérie, le ministre de l’Intérieur ne voit pas personnellement qu’il en ressort des éléments négatifs sur l’Algérie.
Pour ce qui est du passeport biométrique, le ministre dit que l’opération suit son cours et qu’elle sera lancée incessamment dès la réception de l’ensemble des équipements. Sur les velléités de l’administration de mettre sous son contrôle les collectivités locales à travers la nouvelle mouture du code communal, le ministre dit n’avoir pas «senti» un tel reproche. Toutefois, il rappelle que l’Etat doit vérifier la conformité des actes de gestion des collectivités locales car «la commune elle-même est un démembrement de l’Etat».
Abordant l’action de son département ministériel, M. Ould Kablia affirme que les priorités concernent la lutte contre la bureaucratie, l’amélioration du service public et la révision de la loi sur les associations, car elles sont «l’interface entre l’administration et la société». Autre préoccupation du ministre, «la stabilité et l’ordre public, les libertés publiques, la gestion locale et le développement local», en relevant qu’«une meilleure communication et une concertation plus grande sont indispensables à la résolution des problèmes».
Il estime enfin que «les aspirations de la jeunesse, l’avenir du pays, seront examinés avec toute l’attention voulue, c’est la seule manière de rétablir la confiance, en particulier avec les jeunes».
Par Ali Laïb