Où va l’Egypte?

Où va l’Egypte?

L’Egypte est-elle en train d’apprendre la démocratie ou bien est-elle en train de désapprendre de la dictature? Un pouvoir judiciaire qui rejette une décision du Président, est-ce un signe de bonne santé de la nouvelle Egypte ou un signe d’une autre dérive? Après avoir opposé un niet catégorique à la décision du Président Morsi de le limoger, et après avoir reçu, selon ses dires, des menaces «directes et indirectes» pour accepter sa «nomination-limogeage» comme ambassadeur au Vatican, le Procureur général égyptien Abdelmadjid Mahmoud reste finalement à son poste. Une issue qui, pour le moins, désarçonne Morsi et ses conseillers et les remet à leur place.

C’est la deuxième déconfiture pour le nouveau raïs en un laps de temps très court. Dans une dernière tentative pour sauver la face, la présidence égyptienne essaie de minimiser la débâcle et parle de malentendu. Mais au-delà du raïs, c’est toute la mouvance qu’il représente qui est éclaboussée par ce deuxième échec. Les Frères Musulmans sont-ils capables finalement de gouverner sans mélanger les impulsions sentimentales et populistes aux exigences de sagesse et de rationalité de la démocratie?

Manque d’expérience de Morsi?

Pour essayer de comprendre comment cela a pu se produire, on est tenté d’évoquer d’abord le manque d’expérience du nouveau président égyptien. Mais est-il permis, à ce niveau de responsabilité, de confondre encore les genres?

Lorsqu’on est président d’un pays, on est censé se référer au moins aux textes fondamentaux de ce pays et l’on a une pléthore de conseillers et autres qui connaissent ces textes par coeur. Morsi, a-t-il agi sciemment ou a-t-il été induit en erreur? Les deux possibilités existent.

Il se peut que, après avoir écarté les militaires de manière fort tonitruante, le nouveau raïs se serait cru tout permis et serait ainsi passé à une vitesse supérieure sans regarder la nature du terrain sur lequel il avance.

Pourtant, lors d’une première prise avec l’institution judiciaire, lorsqu’il voulait faire annuler l’annulation du Parlement, le président égyptien a dû faire marche arrière et cela aurait dû lui servir d’évaluateur de la détermination du pouvoir judiciaire à agir selon ses règles et non celles de la nouvelle direction.

Mais il se peut aussi que comptant sur la vigilance de son entourage pour pallier son inexpérience, il se serait lancé sans rien demander à ses proches collaborateurs qui auraient failli en le laissant agir sans l’avertir du risque de l’inapplicabilité de sa décision, auquel cas il devra procéder sans doute à des retouches dans le cercle de ses collaborateurs.

La machine judiciaire dernier bastion du régime de Moubarak?

Nul ne peut savoir exactement si, en définitive, ce qui est reproché au procureur général c’est d’avoir monté un dossier trop faible à l’encontre des accusés en relation avec la fameuse «hadithat el jamel» ou si c’est de n’avoir pas su en monter un plus lourd. L’accuse-t-on d’avoir jugé les témoignages trop faibles ou plutôt de ne pas en avoir obtenu de plus forts? Et est-ce le fait d’avoir acquitté tous les accusés (au nombre de vingt-quatre) qui a valu à Abdelmadjid Mahmoud la colère présidentielle ou plutôt celui de n’en avoir condamné aucun?

Difficile de savoir. Toujours est-il que cette affaire de limogeage a une forte relation avec l’évènement qui s’est soldé par une douzaine de morts sur place et entraîné un grand virage dans la révolte égyptienne contre le régime Moubarak. Mais revenons en arrière un peu et posons la question: pourquoi il n’y a pas eu de coupables dans cette affaire? Trois possibilités se présentent.

La première c’est que, effectivement, il n’y avait pas assez de charges contre les accusés et dans ce cas il aurait été injuste de les condamner, surtout dans une affaire d’homicide. Un bénéfice du doute, en quelque sorte aurait été accordé à ces accusés, faute d’avoir la certitude de leur culpabilité.

Si tel est le cas, la justice égyptienne aurait bien fait d’agir ainsi et, au lieu de lui en vouloir, les égyptiens auraient dû lui applaudir la noblesse de l’attitude et la grandeur de l’âme générosité au lieu de lui reprocher le manque de cruauté.

La deuxième possibilité c’est que la justice aurait jugé que trop de sang avait été versé et pour que le passé soit tourné avec toutes ses tares, il est nécessaire de tourner aussi cette page sanglante de la révolution.

Cette décision, bien que assez défendable sur le fond souffre d’un manque de légitimité car elle est de nature politique et sort de la sphère de compétence de la justice. Il ne revient en aucun cas à l’institution judiciaire de la prendre. Ce serait donc une faute grave et un dépassement des prérogatives qu’aucun commis la justice dans ce cas.

La troisième possibilité c’est qu’il y ait eu, effectivement, d’autres considérations qui auraient entraîné une certaine mollesse dans le traîtement de l’affaire en question.

Une justice qui maintient la décision de Tantaoui relative à la dissolution du Parlement et qui refuse de condamner les accusés pour d’autres objectifs que ceux avoués. Dans ce cas, la machine judiciaire serait-elle le dernier bastion du régime Moubarak? Si tel est le cas, il y a lieu de craindre que d’autres coups d’éclat soient à venir.

Des tentatives, en quelque sorte pour renverser la vapeur au profit de ceux que les Frères Musulmans croient avoir écartés du pouvoir ou, du moins, pour défendre un dernier carré de ce qui fut il y a quelque temps encore un régime au pays des Pharaons.

Discréditer la mouvance islamiste et démontrer ses ambiguïtés lorsqu’il s’agit de gouverner un pays n’est pas à écarter non plus comme explication de ce bras de fer qui s’est soldé par le recul, encore une fois, de Morsi.

Le fait, cependant, que la décision de Morsi vienne après un appel de Frères Musulmans à manifester contre le procureur général donne à l’échec présidentiel une dimension plus grande encore.

Les familles des victimes ne vont pas se taire et le Président ne peut pas tenir ses promesses sur ce plan. Alors, d’autres rebondissements sont à prévoir dans cette affaire et l’on ne peut que se demander une chose: où va l’Egypte?