Organismes génétiquement modifiés (OGM),L’Algérie applique le principe de précaution

Organismes génétiquement modifiés (OGM),L’Algérie applique le principe de précaution

Le taux de croissance des cultures biotechnologiques dans les pays en voie de développement, en 2011, a été de 11% (8,2 Mha), soit un niveau deux fois plus élevé que celui des pays industrialisés avec 5% ou 3,8 Mha.

Le débat sur les OGM ou Organismes génétiquement modifiés bat son plein, notamment en Algérie, depuis quelque temps. Au centre de profondes divergences entre partisans et détracteurs, les organismes transgéniques représentent, en effet, d’énormes enjeux scientifiques, sanitaires, économiques… parfois même politiques. Selon un rapport de l’Isaaa (Service international pour l’acquisition des applications agricoles biotechnologiques) paru le 7 février 2012, les surfaces de cultures transgéniques ont atteint 160 millions d’hectares (Mha) en 2011. Soit une hausse de 8% par rapport à 2010. Au total, 16,7 millions d’agriculteurs ont semé des OGM dans 29 pays dont 19 en voie de développement. Le taux de croissance des cultures biotechnologiques dans les pays en voie de développement, en 2011, a été de 11% (8,2 Mha), soit un niveau deux fois plus élevé que celui des pays industrialisés avec 5% ou 3,8 Mha.

Au-delà de ces chiffres, deux questions se posent et s’imposent : sommes-nous consommateurs de ces produits ? Quelle est la position des pouvoirs publics par rapport à cette question ? Pour y répondre, il est impératif de définir ce qui se cache derrière ces trois lettres. Ce que sont les organismes transgéniques (terme qui désigne les organismes qui contiennent dans leur génome des gènes « étrangers »), et leur impact sur la santé du consommateur. De prime abord, il faut préciser que les animaux génétiquement modifiés ne constituent, pour le moment, que des outils de recherche. Ils n’ont pas encore suscité de réelles réactions. Le débat au sein de la communauté internationale concerne essentiellement les plantes génétiquement modifiées (PGM), aliments, sources d’aliments ou molécules d’intérêt pharmaceutique ou industriel. Les applications correspondent d’ailleurs à des objectifs de tolérances aux herbicides et des résistances aux maladies et autres ravageurs pour un meilleur rendement et une meilleure qualité. Selon une définition commune, « une plante génétiquement modifiée est une plante dont le patrimoine génétique a été modifié par l’homme ». D’autres définitions précisent que « ces modifications doivent être issues du génie génétique. Les modifications issues de la sélection artificielle peuvent aussi être incluses. Le génie génétique permet de modifier la plante par transgénèse, c’est-à-dire l’insertion dans le génome d’un ou de plusieurs nouveaux gènes, pouvant même être issus d’espèces éloignées ». Aussi la mise en œuvre de transgénèses permet un transfert de gènes héritables entre espèces évolutivement plus ou moins séparées, mais aussi de transférer des gènes entre espèces proches quand les techniques de croisement classique ont échoué (pomme de terre Fortuna).

L’ÉTHIQUE, PRINCIPALE BARRIÈRE

L’aspect novateur de ces nouvelles techniques ainsi que leurs applications potentielles, notamment dans les secteurs médical et agricole, ont engagé une réflexion éthique. Dans ce sens, les scientifiques sont partagés en plusieurs courants. Alors que certains désapprouvent catégoriquement la commercialisation de telles plantes, d’autres sont pour des études plus approfondies sur les risques de toxicité pour l’être humain. M. Samuel Shibko, du département toxicologie de la FDA (U.S. Food and Drug Administration), cité par Marie Monique Robin dans son livre « Le monde selon Monsanto », « nous ne pouvons assurer que tous les produits transgéniques, et particulièrement ceux qui contiennent des gènes provenant de sources non alimentaires, seront digestibles. Par exemple, il est prouvé que certaines protéines résistent à la digestion et peuvent être absorbés sous une forme biologiquement active ». Douglas Gurian-Sherman évoque un point technique : « En général, pour mesurer la toxicité et le potentiel allergique des protéines produites dans la plante par le gène inséré, les firmes n’utilisent pas les protéines telles qu’elles s’expriment dans la plante manipulée, mais celles qui existent dans la bactérie d’origine, c’est-à-dire avant que le gène de celle-ci ne soit transféré. Officiellement, si elles procèdent ainsi, c’est qu’il est difficile de prélever sur une plante une quantité suffisante de la protéine transgénique pure, ce qui n’est pas le cas de la bactérie qui peut produire autant de protéines qu’on veut. Il indique que si les protéines produites par les bactéries ne sont pas identiques aux protéines transgéniques de la plante, alors, les effets sanitaires ne sont pas les mêmes ».

M. Aissat, enseignant chercheur à l’université de Blida, spécialiste en amélioration des plantes, ajoute que les chercheurs n’ont pas encore prouvé que « les aliments à base de PGM ne subissent aucune mutation, une fois ingérés par l’homme ». « Pour l’instant, la communauté scientifique n’a pas encore démontré qu’il n’y a aucune interaction entre ces gènes et les gènes humains. Il faut aussi savoir que le génome humain est primitif, donc sa réaction en contact avec ces nouveaux gènes n’est pas encore établie ». Aussi, selon Linda Kahl, « des tests toxicologiques menés sur des rats nourris avec des tomates transgéniques pendant vingt-quatre jours démontrent des lésions importantes de l’estomac chez certains individus ». Pour autant, selon Gérard Pascal, directeur de recherches honoraire à l’INRA (Institut national de recherche agronomique – France) et expert en sécurité des aliments de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), l’évaluation du risque alimentaire présenté par ces PGM est étroitement liée à la nature des transformations génétiques réalisées et à leur composition. Pour justifier ses propos, il explique : « Des centaines de chercheurs disposant des compétences et de l’expérience de l’évaluation de la sécurité sanitaire des aliments, travaillant au sein de collectifs scientifiques nationaux, européens ou internationaux, ont élaboré cette méthodologie d’évaluation des PGM par étapes, au cours des vingt dernières années. Tous les dossiers de demande de mise sur le marché des PGM ont été examinés et évalués sur la base de cette méthodologie. La conclusion de toutes les évaluations a été : la PGM ou les aliments qui en sont issus ne présentent pas plus de risque que la plante ou l’aliment traditionnel qui servent de comparateurs. »

« La logique de l’approche comparative entre un aliment issu d’une PGM et le même aliment issu d’une plante non génétiquement modifiée est basée sur le constat que les variétés traditionnelles dont sont issues les PGM sont généralement reconnues comme sans risque pour la santé en raison de leur souvent longue histoire de consommation, c’est le concept d’history of safe use des Anglo-Saxons. Le comparateur approprié doit être aussi isogénique que possible du produit génétiquement modifié, c’est-à-dire avoir un patrimoine génétique aussi proche que possible, à l’exception des traits nouvellement introduits. En raison de la complexité des aliments, l’objectif de la comparaison consiste à assurer le même niveau de sécurité que celui accepté pour les aliments traditionnels (je répète que la sécurité sanitaire de ceux-ci n’a jamais été spécifiquement évaluée). Le critère n’est pas alors la recherche d’une sécurité ‘’absolue’’, à mon sens impossible à garantir compte tenu des faiblesses des méthodologies disponibles, mais une sécurité relative basée sur une comparaison avec des aliments traditionnels, en d’autres termes, établir qu’une PGM ou un aliment qui en est issu, est aussi sûr qu’un aliment traditionnel auquel on le compare », poursuit-il.

AUCUNE SEMENCE PGM N’EST INTRODUITE EN ALGÉRIE

Pour ce qui est de la position nationale concernant les PGM, Mme Hamana Korichi Malika Farida, sous-directrice de la recherche au ministère de l’Agriculture et du Développement rural, affirme que l’Algérie applique le principe de précaution. « C’est un peu la tradition européenne qui tend vers une démonstration de l’innocuité de ces organismes transgéniques pour qu’ils puissent être introduits. » D’ailleurs, poursuit-elle, « il existe un texte de loi réglementaire (arrêté en décembre 2000 et toujours en vigueur) du ministère de l’Agriculture et du Développement rural interdisant l’importation, la distribution, la commercialisation et l’utilisation du matériel végétal génétiquement modifié, sauf à des fins de recherche scientifique. Son but est d’éviter tout risque d’érosion génétique du patrimoine phytogénétique (semences et plants) lié aux effets du flux génétique associé à l’utilisation des OGM et de réunir toutes les conditions techniques préalables à une production agricole naturelle (produits biologiques) qui répondrait aux nouvelles exigences du commerce international ». Dans ce sens, M. Aissat explique qu’un tel texte a pour objectif de protéger la variabilité génétique existante, préserver tous les génotypes des espèces cultivées existantes mais aussi d’espèces sauvages apparentées. L’Algérie fait aussi partie des pays qui ont signé le protocole Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la conversion sur la diversité biologique. « En outre, les quantités de pesticides utilisées dans le secteur agricole algérien sont assez faibles. Ce qui élimine un recours aux PGM », affirme la sous-directrice de la recherche. L’Algérie entend, par ailleurs, renforcer ses capacités humaines et ses moyens techniques pour à la fois vérifier l’origine génétique des semences importées et développer la recherche biotechnologique. Dans ce volet, elle explique que l’Algérie possède plusieurs instituts de recherches spécialisés dans ce domaine.

Mme Hamana Korichi précise que depuis quelque temps « le ministre de l’Agriculture a renforcé les investissements visant à développer ce domaine de recherche dans notre pays. Ainsi, les laboratoires de biotechnologie ont été équipés avec un matériel de pointe comme le PCR (Polymerase Chain Reaction – pour l’amplification génique in vitro, qui permet de copier en grand nombre avec un facteur de multiplication de l’ordre du milliard, une séquence d’ADN ou d’ARN connue, à partir d’une faible quantité (de l’ordre de quelques picogrammes) d’acide nucléique utilisé dans la polymérisation des deux brins d’ADN) ».

Néanmoins, la sous-directrice de la recherche du ministère a tenu à préciser que l’Algérie n’importe pas de semences de blés. « Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore importé de semence de blés. De par cette mesure, nous tentons de préserver le patrimoine génétique de nos variétés locales et éviter tout risque d’un transfert de gènes entre nos variétés et celles introduites », a-t-elle expliqué. Pour autant, elle a annoncé que la pomme de terre ne suit pas le même schéma. « Par contre, l’Algérie importe de la semence de pomme de terre (tubercules) », dira-t-elle.

Abordant le point de la certification des semences importées, Mme Hamana Korichi a déclaré que le ministère de l’Agriculture traite avec des laboratoires dont la renommée et le sérieux ne sont plus à démontrer. « Ces laboratoires nous délivrent des certificats de conformité des semences. Jusqu’à présent, nous n’avons importé aucune semence PGM. D’ailleurs sur ce point, nous sommes intransigeants. Si un lot de semences contient des PGM, il sera renvoyé à son expéditeur », soutient-elle, précisant au passage que « cela ne s’est jamais produit. Aucune semence PGM n’a été introduite sur le territoire national ». Elle annonce, en outre, qu’un projet de loi interministériel est en cours d’élaboration pour présenter « un cadre réglementaire pour tout ce qui est OGM ».

LA CONSTRUCTION GÉNÉTIQUE, OBJECTIF DES CHERCHEURS ALGÉRIENS

Les efforts des chercheurs algériens tendent vers un développement de la biotechnologie dans notre pays. Après le renforcement des capacités humaines et des moyens techniques des laboratoires, les chercheurs tentent de se lancer dans la construction génétique, notamment par la mutagenèse (4) et les hybridations entre espèces apparentées. Sur ce chapitre, Mme Hamana Korichi a annoncé que dans le cadre de la préservation du patrimoine génétique national, la tutelle avec l’aide de la FAO (Food and Agriculture organization), a lancé un projet de protection intégrée. Son but est de préserver les variétés locales et de contrôler les transferts de gènes. Plusieurs projets de coopération nationale et internationale sont, en outre, en cours d’étude.

« Nous sommes sur un projet de caractérisation moléculaire. Nous travaillons en collaboration avec l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), dans un cadre de développement des techniques nucléaires non atomiques ». Un autre projet visant à introduire de nouvelles variétés de pomme de terre est lancé dans le cadre d’une coopération bilatérale entre l’Algérie et le Pérou, centre d’origine de cette espèce de solanacées. En outre, des projets nationaux sur une construction génétique par mutagenèses sont aussi sur les bureaux du ministère de l’Agriculture et ses unités. « Les espèces concernées par ce projet sont le blé dur, le blé tendre, l’orge, le palmier et le pois chiche. »

Les croisements classiques entre différentes espèces apparentées sont aussi pratiqués en Algérie. D’ailleurs, plusieurs recherches ont été lancées ces dernières années à travers les différents instituts agronomiques. Le plus grand chantier reste le programme national d’amélioration des blés (dur et tendre). Mais même si des efforts ont été fournis, le débat sur les PGM reste, toutefois, partiel. Alors que le maïs, la pomme de terre, le soja et beaucoup d’autres espèces transgéniques restent marginalisés par la communauté internationale, d’autres produits issus de la génie génétique, comme l’insuline, sont tolérés.

R. B.