Lors de son dépôt en 2011, ce projet a soulevé de vives critiques de la part des membres de la profession
Les défis de l’heure impliquent qu’un débat serein soit instauré: ce débat doit absolument évoquer le passé pour éclairer l’avenir.
Avec la rentrée judiciaire 2012-2013, l’actualité va certainement être dominée par les débats que va provoquer le projet de loi portant organisation de la profession d’avocat, inscrit à l’ordre du jour de la session d’automne de l’APN.
Il faut rappeler que lors de son dépôt en 2011, ce projet a soulevé de vives critiques de la part des membres de la profession à travers l’ensemble des barreaux. Celles-ci restent d’actualité, car le texte interpelle le praticien du droit, en général et les hommes et femmes de robes (avocats et magistrats), en particulier.
Les défis de l’heure impliquent qu’un débat serein soit instauré: ce débat doit absolument évoquer le passé pour éclairer l’avenir.
Il faut donc évoquer le passé prestigieux du barreau d’Algérie dont les membres, au péril de leur vie, ont assumé et joué un rôle indéniable dans la lutte du peuple algérien pour sa libération. Nul n’ignore que certains, appelés à défendre leurs compatriotes face à l’impitoyable appareil judiciaire colonial, sont morts sous la torture.
Ce combat pour le triomphe de la justice ne saurait être perdu de vue en tout état de cause.
De ce fait, dès 1962, l’Etat algérien construit sur les principes de liberté et de démocratie, proclame dans sa Constitution la garantie des droits de la défense.
Grâce à la démocratisation de l’enseignement supérieur, des générations nouvelles, sorties des universités s’engagent dans la profession, renforçant les deux piliers de l’institution Justice (barreaux et magistrature), il est aussi démontré incontestablement que le citoyen algérien jaloux de ses droits légitimes et juridiquement protégés, recourt souvent à la justice.
De surcroît, le développement des législations et des réglementations, leur complexité dans la société moderne qui se construit rendent le recours à l’avocat nécessaire, sinon indispensable pour tout plaideur.
Aussi, l’Etat algérien conscient du rôle joué par l’avocat dans l’édification de l’état de droit, a, selon les exigences de l’heure, procédé par voie de règles supérieures (lois – ordonnances) à l’organisation de la profession d’avocat fixant ses droits et ses obligations:
– ordonnance 72.60 du 13 Novembre 1972;
– loi 75.61 du 26 Novembre 1975;
– loi 91.04 du 8 Janvier 1991.
Le Président Abdelaziz Bouteflika en 1999, dans le cadre des réformes de l’Etat, met en place la Commission nationale de réforme de la justice.
Dans la lettre de mission adressée aux membres par le président de la République on relève «qu’ils sont chargés de proposer les éléments d’une profonde et longue réforme de la justice sur la base d’un constat serein, objectif et sans équivoque…». Ladite commission regroupe en son sein des hommes de droit, des hommes politiques, des avocats, des magistrats. Elle est présidée par Maître Mohand Issaâd, professeur de droit et avocat au barreau d’Alger.
C’est ainsi que les travaux et les recommandations de la CNRJ ont posé les jalons d’une réforme profonde pour rapprocher la justice du justiciable.
Parmi les recommandations, les droits de la défense occupent une place incontournable.
Mission de l’avocat et pouvoirs des juges-l’article 29 du projet -:
S’inscrivant dans ce processus, le projet de loi portant organisation de la profession d’avocat va donc occuper une place certaine dans le débat national et soulever des passions et des espoirs.
Examiné à la lumière de l’évolution du droit dans le monde, des principes universels, l’analyse du projet de loi nous révèle une scission entre l’exposé des motifs et le dispositif. De ce fait, le droit de la défense court le risque d’un recul. Alors que l’exposé des motifs du projet affirme que «les droits de la défense sont indissociables des droits de l’homme et des libertés.», «que la profession d’avocat est une profession libérale et indépendante, qu’elle oeuvre pour le respect et la sauvegarde des droits de la défense, qu’elle concourt à l’oeuvre de justice», ce même exposé des motifs souligne que l’article 31 du Code de procédure civile ancien relatif à l’incident d’audience a disparu dans le nouveau Code de procédure civile et administrative. Paradoxalement, la lecture du dispositif dans les articles 9 et 24 nous surprend, car elle laisse apparaître une tout autre situation, ce qui a soulevé en 2011 la contestation légitime des barreaux.
La mission de l’avocat, s’inscrit dans le cadre de l’organisation judiciaire reconnue par la loi et la Constitution, l’avocat a des droits et des devoirs, il engage sa responsabilité et donc nul ne peut contester le rôle essentiel de l’avocat en tant que partenaire de justice.
Ce rôle est quotidiennement assumé, patiemment et passionnément devant les juridictions pénales et civiles, l’avocat expose, discute, relève, souligne les éléments de son dossier devant le juge. Ce débat est parfois vif, cependant, très rarement contraire aux règles de courtoisie et de bienséance, le praticien du prétoire sait que le débat est parfois vif à la suite d’un «donner acte, de retrait de parole, question à témoin.». Un événement pareil pouvait avoir pour conséquence la mise en oeuvre de la procédure tracée par l’article 31 du Code de procédure civile, c’est-à-dire suspension de l’avocat et mise en oeuvre de procédures disciplinaires.
Fort heureusement, cet article a été retiré du nouveau Code de procédure civile (loi 08.09 du 25 Février 2008). Mais hélas, paradoxalement, la procédure de l’article 31 de l’ancien Code de procédure civile revient par le biais des articles 9 et 24 du projet de loi qui va être examiné par l’APN.
On lit donc dans l’article 9 alinéa 2 du projet que «toute entrave commise par l’avocat au cours normal de l’administration de la justice engage sa responsabilité». Quelle est l’entrave? qui la détermine?
Quand à l’article 24 du projet, il met en place une procédure diligentée sur l’heure par le magistrat siégeant au cours de l’incident avec pour- conséquence immédiate les poursuites disciplinaires, l’incident devient donc un délit! Or, quotidiennement devant les juridictions pénales principalement, l’avocat vêtu de sa robe pour éclairer le juge sur les moyens de fait et de droit, peut élever la voix pour faire entendre la cause de son mandant, et non pour outrager, et rares sont les cas d’incidents réels. Ainsi, l’article 29 du projet de loi objet de notre réflexion est d’un autre temps. Quel devenir donc pour la défense, si l’avocat doit exercer sous la menace d’une telle épée?
Le changement doit assurer plus de protection à l’individu et plus d’indépendance à son défenseur; a-t-on oublié que la formule du serment de l’avocat lors de la prestation de serment, conduit les membres du barreau à promettre le respect, et à assurer avec dignité et responsabilité la mission de défense (art 42)? A lui seul ce serment est un cadre juridique suffisant pour que soit sanctionné tout écart.
Le barreau face aux défis de l’heure sur le plan international
Le débat qui s’ouvre doit conduire le Conseil de l’ordre à mobiliser toutes les énergies pour encadrer, former et discipliner les générations nouvelles aux règles généreuses de la mission de défense, car assurément, il ne peut y avoir d’Etat de droit sans garantie des droits de la défense, un barreau libre et crédible, dont la crédibilité réside dans la maîtrise professionnelle et la rigueur morale, d’une part.
Il appartient, d’autre part à l’Etat pour consacrer et renforcer l’état de droit, d’associer le barreau à travers ses membres à tous les débats juridiques, et de lui fournir les moyens et conditions de développer la formation, d’assurer de meilleures conditions d’accès à l’information et à la documentation.
Telle est la problématique essentielle du projet de loi portant organisation de la profession d’avocat.
L’autre problématique du barreau est certainement liée au mode d’élection du conseil de l’ordre. Les avocats sont gérés et représentés par un Conseil de l’ordre présidé par un bâtonnier. Le projet de loi reproduit les schémas précédents d’organisation, de fonctionnement, d’élection des organes, C’est ainsi qu’on relève que dans le cadre du fonctionnement de la Commission nationale de recours, le rôle des représentant des barreaux restent minoritaires, celle-ci est selon le projet, toujours présidée par un magistrat.
Sachant que la Commission nationale de recours est chargée d’examiner les fautes disciplinaires de l’avocat et les recours contre les décisions disciplinaires, une présidence tournante de la Commission nationale de recours affirmera le rôle de la défense dans la pleine gestion de la profession. Les droits de la défense concernent tout un chacun. A l’heure actuelle, il est certain qu’il faut que le barreau soit présent au débat et doit être entendu.
L’évolution des règles de droit à travers le monde, l’adhésion de l’Algérie aux conventions internationales, le développement et la rapidité des échanges internationaux, nous font obligation de veiller et protéger les droits de la défense garantis et acquis. C’est pourquoi, dans ce débat, le barreau doit être présent.