Oran: des stades de proximité livrés aux racketteurs

Oran: des stades de proximité livrés aux racketteurs

Une fois construits, ces stades sont délaissés par les autorités, laissant le champ libre aux gardiens autoproclamés qui en cadenassent la porte d’entrée et imposent des créneaux et des prix.

Depuis plusieurs années, les autorités de la wilaya d’Oran ont mis un point d’honneur à multiplier les aires de jeux et les stades de proximité, des terrains de football en gazon synthétique, pour encourager la pratique sportive chez les jeunes et les moins jeunes. L’effort déployé était tel que ces infrastructures sportives fleurissaient dans chaque quartier d’Oran et les projets de construction de nouvelles cités incluaient la réalisation de stades au même titre que les aires de jeux et les espaces verts. Ce qui n’est pas pour déplaire aux habitants qui ne sont plus obligés de se rendre dans d’autres quartiers à la recherche de la verdure et d’aires de jeux pour les enfants.

Pourtant, le problème de la pratique sportive n’a pas été réglé pour autant, particulièrement pour les passionnés de football qui, bien que la ville soit dotée de dizaines de stades, ne trouvent pas de terrains disponibles. “Nous sommes une bande d’amis qui aimons jouer au football depuis des années, mais nous n’arrivons pas à trouver de terrain. Ce qui est quand même aberrant dans une ville où il y a un stade à presque tous les coins de rue”, déplore Mohamed,

50 ans, commerçant. Si les terrains de football existent partout, ils ne sont pas ouverts à tout le monde en raison d’individus qui se sont érigés en gardiens et gestionnaires d’infrastructures étatiques censées être gérées par la Direction de la jeunesse et des sports.

Or, il apparaît qu’une fois construits, ces stades sont délaissés par les autorités, laissant le champ libre aux gardiens autoproclamés qui en cadenassent la porte d’entrée et imposent des créneaux et des prix. Ainsi, ce qui avait été conçu comme un espace de loisir pour jeunes et moins jeunes s’est mué en un sérieux problème pour les habitants et une source de revenus illicites pour des personnes ne disposant d’aucune qualité autre que celle de s’imposer, parfois, par la force. Au même titre que les gardiens de parking pour  voitures qui, en l’absence des autorités, continuent d’imposer leur diktat aux automobilistes.

2 000 DA par mois pour un créneau

Pour pouvoir bénéficier d’un créneau d’une heure sur n’importe quel terrain de football d’Oran, il faut souvent s’acquitter de 2 000 DA mensuels, versés aux gardiens autoproclamés qui, bien entendu, veillent scrupuleusement au respect des horaires. “Si tu es en retard ou si tu as raté ton créneau, ces gardiens s’en moquent, même si tu arrives à un moment où le stade est vide”, continue Mohamed en se rappelant sa triste expérience avec le gardien de terrain d’un quartier voisin. “Nous avons dû arrêter et aujourd’hui, nous jouons dans une salle de sports gérée par un ami. Mais ce n’est pas comparable aux stades des cités qui se trouvent en plein air et sont dotés d’un gazon synthétique beaucoup moins dangereux lors des chutes”, sourit-il en exhibant un poignet gonflé en raison d’une chute récente lors d’un match dans la salle de sport en question.

Le racket (car il s’agit bien d’un racket) exercé par ces gardiens sur des jeunes en quête d’un peu de détente ne semble pas interpeller les autorités locales, bien qu’il se pratique depuis de longues années et que des victimes sont allées se plaindre auprès des autorités locales. “Nous avons interpellé la DJS en ce qui concerne le stade des HLM (quartier situé à l’est d’Oran).

Les responsables sont intervenus mais, quelques jours plus tard, nous avons trouvé un autre gardien, un autre cadenas. Ça ne changera jamais !”, assure Mohamed avec la conviction de celui qui a eu de nombreux déboires de ce genre. Combien de stades de proximité ont été construits ces dernières années à travers le territoire de la ville et de la wilaya d’Oran ? À qui incombe leur gestion ? Impossible de le savoir en l’absence de réponse de la part de la DJS (que nous avons contactée à plusieurs reprises) mais on peut avancer qu’ils se comptent par centaines si l’on considère que la dynamique de réalisation de ce type d’infrastructures a été lancée il y a quelques années.

La location de créneaux se faisant au prix moyen de 2 000 DA pour quatre séances d’une heure par mois, on peut imaginer que ce commerce peut s’avérer très juteux pour des gardiens qui ne paient aucune charge ni ne se donnent la peine d’entretenir le stade. Cela donne aussi une idée des ressources financières qui échappent de la sorte au Trésor public, comme s’évapore tout l’argent ramassé par les gardiens de voitures, les commerçants qui ne possèdent pas de registre de commerce, les vendeurs de fruits et légumes au noir…

Bref, toute cette économie souterraine qui est née de l’incapacité de l’État à mettre en place les instruments de régulation. Construits sur le budget de l’État pour être mis gratuitement à la disposition des habitants, les stades de proximité ont fait l’objet de spoliation qui ne dit pas son nom, au vu et au su de tous, sans que les autorités compétentes ne réagissent.

“On ne peut pas indéfiniment laisser les Oranais face-à-face avec des individus qui peuvent souvent se montrer très violents. Il ne suffit pas de construire, l’État doit également assurer le suivi de la gestion. Autrement, n’importe quoi peut arriver”, estime un observateur en donnant l’exemple de ces affaires d’agressions et d’altercations au couteau qui sont arrivées à la justice parce que les autorités ont laissé faire les gardiens autoproclamés des parkings.

En tenant ainsi le bâton par le milieu (on ne sanctionne pas ces pratiques mais on ne les réglemente pas non plus), on risque d’assister à des confrontations qui pourraient avoir des conséquences catastrophiques.

S. Ould Ali