ORAN – Plantation massive de palmiers: Une faute monumentale

ORAN – Plantation massive de palmiers: Une faute monumentale
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Pour les spécialistes, la plantation massive de palmiers, à l’instar de ce qui se passe à Oran, serait une faute monumentale en plus du fait qu’elle soit «budgetivore». Cette uniformisation des paysages urbains enlève aux villes leur identité. De plus, et au contraire de nombreuses essences dont «l’efficacité dans la ville pour fixer les gaz à effet de serres et piéger les particules de métaux lourds et autres polluants toxiques pour la santé humaine», est bien prouvée, ce végétal a une biomasse insignifiante, ne pouvant pas «fixer les 4.500 kilogrammes de CO2 que produit une automobile en parcourant 20.000 kilomètres par an ni pour absorber les kilogrammes de poussière fine». Et pas seulement… C’est ce qui ressort de cette intéressante contribution de Samir Slama, paysagiste et journaliste.

La plantation de palmiers sur les grandes artères de la ville d’Oran contribue-t-elle à améliorer la qualité de vie des Oranais? Contribue- t-elle à vendre une image pseudo-exotique de la ville? Il n’est pas certain que les responsables élus ou administrateurs se soient posé ces questions avant d’opter pour une plantation massive de palmiers washingtonia.

Pas moins de 600 unités sont d’ores et déjà programmées, auxquelles il faut rajouter les plantations des années précédentes. Cette option qui semble être une fierté pour ses promoteurs est l’exemple type de ce qu’il ne faut pas faire.

C’est d’ailleurs là l’abécédaire de la formation de paysagiste. Lutter contre la banalisation et l’uniformisation du paysage urbain est l’essence même du métier de paysagiste. Le choix d’essences variées permet d’égayer la ville en offrant une large palette de volumes, de formes, de couleurs et d’odeurs, vous dira-ton doctement dans les écoles. En finalité, trop de palmiers finira par tuer le palmier.

LG Algérie

D’autant plus que d’Alger à Oran, en passant par une multitude de patelins, c’est désormais les mêmes silhouettes filiformes de palmiers qui se dressent dans les cieux, une mode pour les gestionnaires mais qui sera bien lourde de conséquence à plus long terme pour les citoyens. A l’uniformité architecturale de la ville s’ajoute donc l’uniformité du végétal sur l’espace publique. Une perte identitaire qui pourrait être fatale à la ville.

Il semble par ailleurs que cette option va à contre-sens des exhortations faites récemment par le président de la République aux professionnels de l’urbanisme et de l’architecture. Mais peut-être que le palmier, remarquable végétal aussi sobre et frugal qu’un chameau n’attendra pas la mort du paysage pour mourir, la ville n’est pas une oasis plantée dans un désert, elle est le désert. L’anthroposol urbain n’a ni la porosité du sable ni la richesse d’un terreau.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les promoteurs du projet, avant même d’avoir planté, et sans connaitre la réalité du sol et du sous-sol, faute d’une démarque rigoureusement scientifique, nous annoncent la couleur. «Il faudra beaucoup arroser et engraisser le substrat», prévient-on. Etrange recommandation lorsqu’on sait que le palmier est la plante fétiche des jardins secs et des sols pauvres. Le washingtonia, originaire d’un climat aussi – sinon plus- aride que le nôtre ne fait pas exception.

Qu’à cela ne tienne! Pourquoi faut-il préconiser d’intenses arrosages dans un pays ou la ressource hydrique est rare et chère alors qu’un simple paillage permettrait de réduire le déficit hydrique? Et surtout d’éviter un tassement du sol généralement mortel pour le palmier. Les promoteurs avancent bien d’autres contrevérités, d’ailleurs très facile à vérifier.

Selon eux, le palmier ne résisterait pas à la «transplantation» et nécessite une plantation quasi-immédiate. Les plant at ions réalisées par les Espagnols sur la place du 1er Novembre et sur les jardins de l’hôtel Méridien, pourtant bien plus imposantes et donc bien plus âgées, prouvent exactement le contraire. Ce jugement parait suspicieux car en principe les palmiers livrés par les pépiniéristes sont élevés en bacs et plantés en motte, ce qui minimise sérieusement les risques d’échec.

Par contre, s’ils sont élevés en plein sol puis mis en bac, la municipalité devrait exiger une période de garantie minimale de 2 ans. Mais les palmiers oranais courent encore d’autres risques, encore bien plus graves.

L’arrivée du charançon rouge repéré d’ores et déjà au Maroc et en Espagne et qui fait l’objet d’une surveillance particulière de la part du ministère de l’Agriculture fragilise sérieusement l’option du palmier. Elle pourrait être catastrophique pour la ville et cela n’arrive pas qu’aux autres.

Des villes un peu mieux équipées matériellement, techniquement et humainement telles que Marseille ou Lyon (France) en savent quelque chose. L’épidémie de chancre coloré venue dans les caisses en bois avec l’armée américaine en 1942 fera des ravages au début de la décennie 90 dans les plantations de platanes.

Ce qui obligera ces grandes villes à revoir toutes leurs stratégies de plantation arborée. Alors qu’il représentait 55% des plantations en 1994, le platane ne représente plus que 25% en 2010 dans les plantations lyonnaises. Tous les paysagistes connaissent et travaillent avec la règle d’or dite des 10% qui consiste à n’utiliser une espèce d’arbre qu’à hauteur de 10% dans un ensemble planté aussi vaste qu’une ville pour, entre autre, éviter de connaitre de tel déboires comme ce fut le cas à Lyon.

La question que l’on peut encore se poser est pourquoi le choix du washingtonia alors que le palmier phoenix n’est pas plus mauvais. D’autant plus qu’il est originaire de la région. Si cela peut bien s’expliquer par des considérations paysagères en ce qui concerne le prolongement du Front de Mer, encore faut-il que l’on respecte rigoureusement les alternances existantes.

Pourquoi faut-il planter des palmiers sur des boulevards qui peuvent fort bien supporter d’autres essences esthétiquement bien plus marquantes, plus imposante s dans le paysage urbain et bien p l u s écologiquement utile?

La réponse qui nous semble la plus appropriée est que le palmier washingtonia est une herbe qui pousse vite et sans poser de problèmes aux gestionnaires. En fait, c’est un végétal qui répond exactement aux préoccupations des politiques qui ne peuvent réfléchir que sur la longueur de leur mandat.

En décidant de cette plantation massive de palmiers, les décideurs au niveau de la ville d’Oran ne semblent pas avoir pris en ligne de compte les paramètres environnementaux, surtout en matière de santé publique.

De multiples études ont démontré l’efficacité de l’arbre dans la ville pour fixer les gaz à effet de serres mais aussi piéger les particules de métaux lourds et autres polluants très toxiques pour la santé humaine, que génère la ville d’une manière générale et le transport en particulier et enfin pour réduire les effets de l’intensité solaire.

La biomasse insignifiante du palmier ne semble pas suffisante pour fixer les 4.500 kilogrammes de CO2 que produit une automobile en parcourant 20.000 kilomètres par an ni pour absorber les kilogrammes de poussière fine en suspension dans les villes. Une étude réalisée en 1994 a estimé que les arbres de New York ont ôté de l’air environ 1.821 tonnes de polluants, service estimé à 9,5 millions de dollars. À Atlanta, c’étaient 1.196 tonnes de polluants épurés, soit un service estimé à 6,5 millions de dollars. Bientôt, l’air d’Oran sera peut-être aussi empoisonné que celui de la ville d’Arzew.

Une préoccupation qui semble enfin entendu par la Sonatrach qui entreprendra cette année le démarrage d’un vaste programme de plantation d’arbres autour de ses sites industriels pour tenter de réduire – dans un avenir plus ou moins éloigné- les pollutions que ses activités génèrent.

Le palmier végétal est éminemment symbolique dans notre culture mais sa sacralisation outrancière pose un sérieux problème dans le paysage urbain. Il est peut-être temps, comme dirait Jean Giono, de faire «une politique de l’arbre bien que le mot politique me semble bien mal adapté»…

*Paysagiste et journaliste