Des dizaines de familles vivent dans des conditions précaires, une promiscuité insupportable, occupant des bâtisses traditionnelles, des “haouch” en ruine.
En ce 20e jour de Ramadhan, à quelques heures de la rupture du jeûne, la chaleur caniculaire a harassé les habitants de “Tirigou”, une contraction linguistique populaire pour désigner le quartier Victor-Hugo d’Oran. Les marchands ambulants trônant dans les ruelles transformées en marché ont fui depuis longtemps l’asphalte. Les coins de rues soutiennent les jeunes et des hommes qui par grappes patientent et patientent encore.
Dans les impasses de la rue de Biskra, c’est un univers clos, insoupçonné le long des boyaux, qui semble s’enfoncer plus profondément. Des dizaines de familles vivent dans des conditions précaires, une promiscuité insupportable, occupant des bâtisses traditionnelles, des “haouch”, en ruine, ne tenant que par miracle ou par la grâce de Dieu, nous dit-on. Derrière les portes, on découvre ainsi des femmes, des enfants s’efforçant de vivre “normalement”, mais lorsque les minutes passent, ces mères, ces épouses surtout, lâchent tout le poids d’années de souffrance, lâchent le trop-plein de ressentiment à l’égard d’un Etat, des décideurs qui méprisent les vrais habitants d’Oran, ceux de Tiriguou : “Ils disent de nous que nous sommes des voyous, qu’on ne sait que couper la route et brûler les pneus ! Ah, si l’on en venait vraiment à brûler”, nous dit Fatma, la rage dans la voix et dans le regard.
Dans les haouchs de l’impasse n°4 de la rue Biskra, la misère saute aux yeux dès les premiers pas franchissant les portes, des familles, parfois jusqu’à 7, occupent chacune une à deux pièces au mieux, sentant l’humidité, le renfermé. Les enfants et les personnes âgées concentrent ici un taux d’allergies et de maladies chroniques des plus importants par rapport à la norme.
Pour les mères les mieux loties, une sorte de cuisine a été aménagée dans un réduit, où seule une personne peut tenir debout en restant bien droite. Parfois, le manque d’espace fait que la cour sert de cuisine ouverte pour les mères qui, à même le sol, s’affairent à préparer les plats du f’tour. Cela sent la h’rira, les poivrons grillés. Au-dessus de leur tête, des travellings de fils où le linge sèche. Amina, une mère de famille divorcée, vit depuis 20 ans dans une pièce unique de l’impasse n°4. La nuit c’est le dortoir pour elle et ses deux enfants ; la journée dans un coin, la cuisine avec une plaque de deux feux et la bouteille de gaz.
De tous les haouchs où l’on a été accueillis, l’état très avancé de dégradation, la déformation des murs sont visibles à l’œil nu. Kheira, qui elle aussi nous reçoit avec le sourire, est née dans cette impasse d’où elle n’est jamais partie. Son mari nous fait découvrir l’état des lieux, les murs sont gravement lézardés, au point où la lumière du voisin apparaît le soir via la fissure. Les sols s’affaissent, provoquant un décollement des murs et des plafonds laissant apparaître le vide. La nuit, il faut disputer les lieux aux rats pour que ceux-ci ne s’en prennent pas aux enfants.
Le jour de notre visite la tension était encore plus perceptible, car le matin même une énième commission de recensement était venue au quartier. La plupart des haouchs ont été classés en zone rouge il y a bien longtemps, pourtant les familles sont toujours dans les lieux. Toute une vie d’attente et d’angoisse.
D. L.