Oran est-elle en passe de devenir une zone de fixation des migrants subsahariens ? C’est la question que se posent de nombreux Oranais qui assistent impuissants à l’arrivée de flots de parias venus aussi bien d’Afrique subsaharienne que de Syrie.
Mais la question qui taraude l’esprit des Oranais est relative à l’origine de ces femmes et ces enfants venus des zones de conflits en Afrique subsaharienne ou de Syrie. Mais si le cas de ceux qui se définissent, à tort ou à raison, comme des réfugiés syriens ne pose pas problème en raison de leur nombre réduit, le phénomène est tout autre avec les Subsahariens venus notamment du Niger et qui s’entassent dans un enchevêtrement difforme, fait de balluchons, de couvertures jetées à même le sol et de haillons récoltés au gré de leurs errements à travers les rues de la ville.
Leur maigre mobilier, ils le gardent jalousement du côté de la gare routière de Yaghmoracen. Ces enfants et ces femmes vivent de mendicité et grâce à la solidarité d’âmes charitables qui, en ce mois sacré, n’hésitent pas à leur rendre visite pour leur remettre des vivres, de l’eau et quelques vêtements. C’est un spectacle de désolation qui s’offre aux visiteurs des lieux.
Des femmes et des enfants, en guenilles, sont assis à même le sol du matin au soir, sur cette bande de terre qui jouxte la gare routière de Yaghmoracen qui dessert les grandes lignes. «Je suis arrivé de Ghardaïa et je suis resté dans ce coin. Je n’ai pas où aller. Je n’ai aucune qualification pour prétendre faire de petits travaux. Je suis ici avec mes deux femmes et mes trois enfants. J’ai fui la misère et je suis en plein dedans», dira un sexagénaire, qui se définit comme un musulman originaire de la séculaire tribu des Touaregs du nord du Niger.
Ce dernier, qui parle difficilement le français, arrive quand même à nous faire comprendre que son escale à Oran pourrait durer. «Je n’ai ni la force ni les moyens de tenter l’aventure du voyage par la mer vers l’Europe. Je vais tenter de travailler ici en attendant que la situation se calme dans mon pays». Plusieurs autres réfugiés que nous avons rencontrés partagent le même espoir.
«Nous vivions d’élevage et notre vie était simple et calme, mais depuis l’arrivée des groupes terroristes, tout a changé. L’armée est constamment en opération dans notre région et nos déplacements se sont rétrécis. Nous n’avons plus la possibilité de suivre comme avant les mouvements de nos troupeaux. Avec le temps, la situation est devenue intenable. Ce qui se passe au Mali n’a fait que nous pousser à fuir vers le nord», affirme un jeune rencontré non loin de la gare routière en train de mendier.
«Les Oranais sont hospitaliers mais que peuvent-ils faire pour nous ?»
D’autres réfugiés que nous avons rencontrés disent vivre de l’hospitalité des Oranais. Ils nous donnent à boire et à manger et certains nous ont offert même des vêtements. Mais que peuvent-ils faire de plus ? Nous ne pouvons même pas prétendre à un travail puisque nous sommes des clandestins ?» affirme une femme. Plusieurs autres avec lesquels nous avons pu échanger des bribes de conversation ne manquent pas de charger le gouvernement nigérien qui les aurait maintenus dans une situation d’indigence intenable.
«Nous sommes des Touaregs et ce qui s’est passé au nord du Mali a aggravé notre situation. Nous ne bénéficions d’aucune couverture sociale ou médicale et nos enfants étaient voués à l’illettrisme et à s’installer aux abords des villes pour tenter de trouver du travail. On nous a toujours maintenus dans une situation sociale difficile, et aujourd’hui, les choses ont empiré.
Nous n’avons même pas le statut de réfugiés politiques. Nous sommes là à nous morfondre et le monde doit prendre conscience du calvaire que nous endurons. L’Algérie n’est pas responsable de notre situation, elle nous a offert l’hospitalité mais elle ne peut pas faire plus», affirment d’autres jeunes. Ces derniers tentent de vivre en communauté loin des autres subsahariens. «Eux, ce sont des clandestins qui sont tentés par la traversée vers l’Europe.
Pour eux, Oran n’est qu’une escale dans leur longue traversée vers l’Europe. Ils partiront un jour vers Maghnia pour s’installer dans le camp de oued Jorji ou oued Derfou et de là, ils tenteront de traverser les frontières pour se rendre au Maroc et par la suite l’enclave de Ceuta. Nous, nous voulons revenir vers nos terres. Nous avons fui la misère mais nous ne voulons pas connaître l’enfer de la traversée risquée dans une embarcation de fortune et le séjour inhumain dans un camp de rétention», affirme Saïdou, un jeune Nigérien qui ose de temps à autre des virées vers les mosquées du centre-ville pour mendier.
Eviter la ghettoïsation des lieux A ce jour, les autorités locales restent sans réaction devant cet îlot de misère qui est en train de se construire à petites touches sur l’avenue du Lieutenant-Ismaïl qui jouxte la gare routière de Yaghmoracen. Une source de la direction de l’action sociale de la wilaya nous a affirmé que la prise en charge de ces Subsahariens ne rentre pas dans les prérogatives de l’institution.
«Ce sont d’autres mécanismes qui sont mis en marché pour une éventuelle prise en charge. Il faudrait leur reconnaître le statut de réfugiés et attendre des actions sous couvert de l’UNHCR (Haut comité de l’ONU aux réfugiés). Nous sommes sensibles à leur drame mais que pouvons-nous faire à part tolérer leur présence sur les lieux ?» note avec scepticisme notre source. Pour sa part, le comité d’Oran du Croissant-Rouge algérien tente de leur apporter une aide sous forme de vivres et de médicaments.
«Vendredi dernier, nous avons procédé à une distribution de vivres. Organiser une campagne d’aide nécessite plusieurs démarches administratives et le concours de plusieurs institutions», affirme le chargé de la communication du C-RA. Les lieux peuvent accueillir dans les prochains jours d’autres vagues d’arrivants aussi bien du Mali que du Niger puisque, et selon certains de ces réfugiés, l’éventualité d’une intervention militaire au nord du Mali pourrait donner un coup de fouet à la transhumance.
«L’Algérie a adopté une position sage, mais le bruit de bottes se fait entendre dans la région. Nous craignons pour ceux qui sont restés là-bas», affirment des jeunes rencontrés alors qu’ils revenaient du centre ville d’Oran, les bras chargés de quelques sachets contenant de la zalabia et de la chamia :
«Elle est succulente mais elle vaut cher. C’est un bienfaiteur qui me l’a offerte», dira un des nouveaux venus. Et en attendant des solutions à ce problème, Oran voit arriver chaque jour un peu plus d’arrivants au point où les craintes de voir un ghetto s’installer non loin de la gare routière se précisent de plus en plus.
F. Ben