ORAN, Chacun a son Aïd!

ORAN, Chacun a son Aïd!
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Les femmes prennent l’initiative de se bousculer dans les locaux de l’agence de la Banque de développement rural de Kargaintha en gageant leurs bijoux contre quelques billets.

«Je me contente cette année d’habiller tant bien que mal les deux bambins, pas plus», a affirmé Mohamed Yacine salarié ajoutant: «Mon salaire ne suffira pas à assurer tous les besoins exigés par l’Aïd.» Le mois des grandes dépenses tire donc à sa fin laissant place à l’Aïd El Fitr.

Cette fête, qui est à moins d’une semaine, est arrivée très vite mettant mal à l’aise les faibles ménages qui auront, encore une fois, à recourir à leurs petites économies mises de côté comme reliquat durant les 30 jours du mois de jeûne. «Rien que pour assurer la maïda du Ramadhan, je m’en sors avec une ardoise de dettes très importantes, celles-ci seront aggravées en voulant garnir la table de l’Aïd, sans toutefois omettre que les autres dépenses liées aux achats des habits des enfants sont onéreuses», a affirmé Rachid, un autre salarié rencontré dans le marché de Mdina Djedida en quête d’une bonne affaire à réaliser.

Des dizaines de ménagères se disant en «faillite» ne voient plus le rituel comme ce fut durant les années de la belle époque. «Au vu des fortes dépenses déboursées durant les 30 jours du mois sacré, je compte passer la journée de l’Aïd de manière tout à fait ordinaire comme toutes les autres», a indiqué Farida, une employée municipale.

Plusieurs autres sont allées jusqu’à décréter ce qu’elles qualifient de «deuil» à observer le jour j. «Durant ces dernières années, l’Aïd n’est pas célébré dans un climat festif et dans une ambiance conviviale et familiale tel qu’il l’a été durant de longues années dans le passé», a affirmé une autre employée dans une administration locale. La tendance de tourner le dos à l’Aïd se dessine, elle pourrait se généraliser dans les toutes prochaines années. Pour cause, les prix qui sont extrêmement élevés et la chute brutale du pouvoir d’achat.

A Oran, l’Aïd est, chez les adultes, dénué de tout son sens religieux. Brahim de Maraval, journalier, estime que «l’Aïd fait certes le bonheur des enfants mais est douloureusement subi par les parents qui se voient obligés d’observer toutes les acrobaties permettant de joindre les deux bouts en un laps de temps très court, le Ramadhan et l’Aïd». Ainsi donc, après la demande réglée quotidiennement rubis sur l’ongle tout le long mois de Ramadhan, le rituel religieux ne vient certainement pas faire le bonheur de tous les parents et de tous les enfants exception faite de ceux qui ne sont pas dans le besoin. Ceux-là sont surnommés de «mkalchine et ananiche d’Oran» ou encore les gâtés de leurs papa. S’approvisionner des boutiques chics des rues Larbi-Ben Mhidi, Khemisti et de Choupot complique davantage la petite entérite provoquée par la boulimie ramadhanesque. Des dizaines de chefs de famille, dont plusieurs aux revenus très limités, sont confrontés à un nouveau défi ravageur, celui de subir les grincements des dents de leurs progénitures et la désolation de leurs femmes. D’autant plus qu’à Oran, les gens se reconnaissent par les habits et les chaussures. Plusieurs de ces familles ont, dans le but d’amortir le choc des grandes dépenses de l’Aïd, procédé aux achats des vêtements dès les premiers jours du Ramadhan.

Les retardataires et les négligents se sont vu infliger la sentence de régler les pénalités imposées, en dernière minute, par les commerçants sans aucune vergogne. Les prix sont inaccessibles les derniers jours du jeûne, les commerçants, saisissant la moindre occasion qui se présente, sont déjà à pied d’oeuvre à leur besogne en procédant à la majoration à plus de 50% des prix de tous les effets, chaussures et habits.

Certains de ces derniers sont allés jusqu’à limiter les stocks afin de provoquer la raréfaction et la hausse des prix des articles disponibles. Si les enfants des propriétaires des somptueuses villas de Saint Hubert et des Palmiers se permettent le luxe de s’habiller avec éclat le jour de l’Aïd, tout en garnissant leurs tables par toutes sortes de gâteaux et de friandises, d’autres, en particulier ceux frappés par la misère de la mondialisation, laissent leurs femmes prendre l’initiative en se bousculant du matin au soir dans les locaux de l’agence de la banque de Kargaintha pour gager, durant une courte durée, leurs bijoux contre quelques billets à dépenser à l’effet de rendre heureux des enfants en quête de la frime ne serait-ce qu’une journée.