Des projets caractérisés par un grand flou
Il est utile de s’interroger à quoi servent les partis politiques et leurs représentants au Parlement qui, à chaque fois, ratent l’occasion pour interpeller le gouvernement.
Au moment où le feuilleton de l’autoroute Est-Ouest n’a pas livré tous ses secrets, celui des projets de tramway relance le débat sur la manière avec laquelle sont gérés les grands dossiers économiques. Opacité, absence de communication, budgets sommaires…ne manquent pas de soulever moult interrogations auprès de l’opinion publique et chez les experts économiques et financiers. L’annonce faite-à l’agence APS- par le P-DG de l’Entreprise du métro d’Alger annonçant le lancement de 14 projets de tramway, à raison de 447 milliards de DA, soit l’équivalent de 6 milliards de dollars, ne manquera pas, encore une fois, de nourrir débats et polémiques. D’autant plus que parallèlement aux déclarations du premier responsable de l’EMA, le quotidien économique français La Tribune fait état de l’annulation par l’agence fédérale antimonopole russe d’un appel d’offres pour 120 tramways rapides d’une valeur de 300 millions de dollars. Et encore une fois, c’est Alstom qui était parti favori, avant que les deux autres concurrents, Bombardier et Siemens, ne protestent contre leur exclusion, soulignant que les autorités de Moscou avaient établi un cahier des charges trop vague. Ce n’est pas là le débat, mais plutôt le «grand écart» entre le projet des 120 tramways russes et celui des 14 tramways algériens. Les raisons invoquées par les Russes pour justifier leur rejet de l’appel d’offres, c’est le manque de précisions dans le cahier des charges proposés par les trois concurrents. Car, ni le nombre de portes équipant chaque wagon, ni les équipements de déneigement une prérogative pourtant indispensable en Russie – n’étaient précisés. Ce qui n’est pas le cas pour l’Algérie. Contacté par nos soins, l’expert Malek Serrai estime que l’Entreprise du métro d’Alger, en annonçant l’enveloppe consacrée aux 14 projets de tramway, aurait dû décortiquer la part allouée au management, à la formation, à la sécurité et bien entendu aux équipements. Comme on doit connaître le prix des wagons, leur qualité et le coût de toutes les prestations contenues dans le cahier des charges. Ce qui mettra un terme à toutes les rumeurs de malversations et autres magouilles. Selon notre interlocuteur, on continue de commettre les mêmes erreurs. Après le feuilleton des usines «clé en main» des années 1970, on se retrouve avec des «packages» prêts à l’emploi. Une sorte de projets «scellés» où la part des entreprises algériennes est quasiment nulle. Car, aussi bien concernant les projets de Grande mosquée d’Alger, de l’autoroute Est-Ouest, des barrages, du métro et du tramway, l’implication des entreprises locales est réduite à sa plus simple expression. «Nous avons bien des entreprises algériennes spécialisées dans la signalisation routière et ferroviaire, celles spécialisées dans le câblage et d’autres dans la sécurité. «Comment donc recourir à la solution de facilité, en accordant des marchés à des entreprises, dont le seul souci est de vendre du matériel, sans apporter leur savoir-faire dans le domaine de la formation, du management aux jeunes diplômés algériens?» s’interroge M. Serrai. C’est en somme la différence entre l’Algérie et la Russie qui possède toute la chaîne destinée à réduire la facture des projets de développement, comme c’est le cas pour le tramway. Pour sa part, le Pr Abderrahmane Mebtoul, expert international, estime que les initiateurs des grands projets «pèchent par manque de transparence et de management.» A propos du coût des 14 projets de tramway annoncé par le P-DG de l’EMA, Mebtoul met d’abord l’accent sur le manque de précisions, comme par exemple les normes sur lesquelles on s’est basé dans l’évaluation des projets. «Il y a des normes internationales à prendre en considération et l’opinion publique doit être informée sur le moindre détail pour éviter toute interprétation tendancieuse.» Sur un autre chapitre notre interlocuteur, qui insiste sur le «manque de planification» s’interroge sur la nature des contrats passés avec le partenaire français Alstom: «S’agit-il de contrats de gré à gré ou des contrats conclus en bonne et due forme à travers des avis d’appels d’offres internationaux?» Abondant dans le même sens que M.Serrai, le Pr Mebtoul se demande également: «Quel serait le taux d’intégration des entreprises algériennes?» dans les grands projets de développement. A en croire l’expert, ça navigue à vue à tous les niveaux, tant «la nature du système rentier n’a pas changé depuis l’Indépendance». Il est utile de s’interroger dans ce contexte à quoi servent les partis politiques et leurs représentants au Parlement qui, à chaque fois, ratent l’occasion pour interpeller le gouvernement sur des dossiers qui engagent l’avenir d’un pays. Mais comme les gens qui vivent de la rente sont plus importants que ceux qui créent de la valeur ajoutée, l’opacité risque de demeurer une constante chez nos managers