Les accolades, les embrassades et les visites sont-elles toujours des facteurs d’apaisement des tensions?
Ces pratiques sont-elles encore des facteurs d’apaisement des relations personnelles et familiales?
La matinée de l’Aïd, à la fin de la prière, les embrassades foisonnent. C’est un rituel que tous les membres de la famille doivent s’échanger avant d’aller à l’endroit du voisin et du concitoyen, en général. C’est par la suite qu’arrive le rituel du sacrifice du mouton. Une fois terminé, le travail de la viande, les visites chez les proches commencent. Ces rituels sont encore de nos jours pratiqués, mais ont-ils toujours la même portée sociale? Les accolades, les embrassades et les visites sont-elles toujours des facteurs d’apaisement des tensions qui caractérisent les relations personnelles, familiales et sociales durant toute l’année? La modernité a-t-elle influé sur le sens et l’objectif de ces pratiques qui ont marqué notre société depuis des siècles? Même si les études sociologiques sur la question ne foisonnent guère, il est légitime de faire une halte, en cet Aïd 2013 et de s’interroger sur les changements subis par notre société. Pour percevoir l’impact du mouvement du temps sur ces traditions, une plongée dans tous les milieux est nécessaire.
Les vieux, les jeunes, les femmes et les enfants en parlent. Samir, jeune célibataire pense que malgré tout, ces pratiques se maintiennent comme une manière de conserver un Smig relationnel entre les membres de la famille et de la société. Il exprime en fait, l’individualisme et l’égoïsme qui caractérisent les sociétés modernes. Amar, de son côté, considère que ces pratiques, sans juger de leurs objectifs de jadis, nourrissent l’hypocrisie que la religion, elle-même, condamne. «Non, non, je ne crois pas que cela soit une façon d’apaiser les relations entre les individus. C’est de l’hypocrisie pure et dure. Une personne qui ne t’aime pas ne va pas le faire au prix d’une bise par année», affirme-t-il avec conviction. Par contre, beaucoup de personnes âgées contredisent les dires des jeunes. Ceux-ci considèrent globalement que les membres d’une même famille ou un village doivent se donner une occasion de se réconcilier. «Oui, même si deux frères s’évitent et ne se parlent pas durant toute l’année, il faut bien une occasion pour renouer la relation. Deux frères s’aiment tout de même malgré les différends», rétorque Ali, la cinquantaine. «L’obligation de se soumettre à ce que ces jeunes appellent l’hypocrisie fait éviter à beaucoup de se lancer dans une mauvaise relation avec son voisin, c’est mauvais de dévier de la voie des ancêtres» poursuit un vieil homme, l’air autoritaire et convaincu de la justesse de ce que pensent les anciens. Mais en fait, beaucoup ne sont pas de cet avis. Et la vie moderne apporte beaucoup de moyens de s’extraire de ces obligations. Le SMS, entre autres.
«Beaucoup n’attendent que l’occasion pour éviter de s’obliger à embrasser un voisin et d’aller visiter une personne avec qui il n’existe aucun point de partage. Le meilleur moyen est le téléphone.
Une grande proportion de personnes recourt à ce moyen, prétextant bien sûr le manque de temps et autre» affirme Saïd, étudiant à l’Université de Tizi Ouzou. «Même si la circulation sature les routes le jour de l’Aïd, admettez tout de même que même les réseaux de téléphonie sont dans la même situation. Les SMS sont un vrai moyen de se soustraire à cette obligation», surenchérit son ami Karim. Nna Aldjia, grand-mère, elle, apporte une vision très différente, mais très attachée aux temps anciens qu’elle se rappelle avec nostalgie et douceur d’ailleurs. «Quel moment magique, lorsque mon frère et mon père apparaissaient devant la porte de ma maison. C’était mon mari qui les accueillait. Ils ne rataient jamais cette occasion pour venir me rendre visite. Mes enfants, les temps ont changé. Aujourd’hui, pour les enfants, il leur suffit d’appeler leurs parents au téléphone. Ils sont pris par le travail, loin de la maison. Aujourd’hui, les femmes travaillent et sortent quand elles veulent. Elles n’ont pas besoin qu’on leur rende visite le jour de l’Aïd. Ne me demandez pas les raisons, mais je préfère l’ancien temps», raconte-t-elle les larmes aux yeux. Ahmed, retraité de l’éducation, d’un air intellectuel préférera nous répondre ironiquement. «Je ne suis pas sûr si c’est vrai, mais je crois avoir lu quelque part qu’avant même les religions, nos ancêtres, les Amazighs, se saluaient en invitant l’autre de s’approcher du coeur. Azul ne signifie-t-il pas approche-toi de mon coeur?» argumente-t-il. Enfin, beaucoup d’autres exprimaient leurs regrets des valeurs anciennes perdues. Le filet du temps laisse passer les bonnes comme les mauvaises habitudes. Si nous ne faisions pas gaffe, nous risquons de nous retrouver sans aucun repère. Pourquoi parler uniquement des ambrassades, ne voyez-vous pas que la notion de partage a disparu, elle aussi? Le mouton est mangé en entier par la famille. Il n’y a plus personne avec qui partager même si le monde est de plus en plus pauvre. «La vie s’est compliquée et perdre un repère la complique davantage», conclut Saïd, enseignant à l’université.