Omar Aktouf, professeur titulaire HEC Montréal, à Liberté :“Tout le vivant va être le monopole de revendeurs impitoyables”

Omar Aktouf, professeur titulaire HEC Montréal, à Liberté :“Tout le vivant va être le monopole de revendeurs impitoyables”
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Liberté : Pensez-vous que l’écologique représente un facteur déterminant, en matière de choix économiques et sociaux pour l’Algérie ? Comment expliquez-vous cet intérêt à l’écologie et à l’agroécologie?

Omar Aktouf : L’économie dépend de l’écologie et jamais l’inverse. Depuis le IXe siècle (Révolution industrielle), on fait comme si c’était le contraire. Les fictions “main invisible” et “marché autorégulé” ont donné libre cours aux folies du maximalisme, de la “croissance infinie”, des profits illimités. Folies culminant avec le néolibéralisme. On se réveille à ce sujet depuis l’évidence du réchauffement climatique, et on constate les dégâts de l’agroindustrie sur les faunes et flores, sur la santé, sur la piètre qualité/nocivité des produits alimentaire : toujours plus de pesticides, d’insecticides, de fertilisants, de fongicides. On se réveille sans doute trop tard. Le “virage écologique” est incontournable, mais il implique des temps plus longs, moindres quantités, respect des saisons. Écologie rime avec frugalité, ce qui signifie drastique baisse du niveau de vie des nantis et acceptation de niveau “raisonnable” de tous. Donc, fondamentalement, c’est plus un effet de mode qu’un mouvement profond, car on n’en mesure pas toutes les conséquences. Ce sera viable localement, pas plus. Les “labels bio” resteront réservés aux riches : j’en ai vu des rayons surgir dans les supermarchés et vite disparaître, faute de pouvoir d’achat conséquent.

Le problème se pose-t-il dans les mêmes termes pour l’exploitation du gaz de schiste ?

Là, on entre dans un sujet autrement plus grave. L’exploitation des huiles et gaz de schiste relève carrément du crime contre la nature et le vivant, et d’alternative économique plus ruineuse que rentable.  En témoigne, le nombre de faillites (énorme bulle déjà) des petites et moyennes compagnies, lancées dans cette aventure.

LG Algérie

Comparé au conventionnel, il faut des quantités astronomiques d’eau par puit, des forages profonds qui sont une menace sur les eaux de l’artésien, phréatique et albien, avec sections horizontales munies de cellules explosives qui fracturent des roches dures et imperméables.

Les conséquences écologiques sont incalculables, incontrôlables et méconnues dans leur ensemble : de la sismicité induite (secousses en surface dues aux explosions) jusqu’à la contamination des eaux, sols, air… Des centaines de produits chimiques toxiques sont en jeu.

Depuis des années, l’Algérie est confrontée au problème de sécurité alimentaire, aggravé par le recul de l’utilisation des semences locales. Sommes-nous vraiment menacés, aujourd’hui, par “l’arme” alimentaire et semencière ?

Si des pays comme le Brésil et l’Inde sont déjà menacés par les semences “terminator” de monstrueuses multinationales, comme Monsanto, comment l’Algérie ne le serait-elle pas ? Je ne pense pas que la destruction de la “banque” d’Alep soit fortuite.

Il faut s’inquiéter sérieusement, pour 2 raisons essentielles, qui sont une double dépendance.

Un, les libres échanges qui se multiplient obligent à être plus compétitifs (moins chers), ce qui signifie usages de pesticides, fongicides… grandissants partout.

Deux, il est dans les plans US (par Monsanto interposée) de mettre en dépendance alimentaire toute la planète : à ce sujet, je vous renvoie aux incessants “brevets” que cette compagnie s’arroge sur les plantes indigènes tous azimuts. Dans un avenir proche, tout le vivant sera “propriété” privée, monopole de “revendeurs” impitoyables.

Une jeune association, dénommée Torba, active dans l’Algérois pour une agriculture écologique. Cette “petite communauté” vous séduit-elle ?

Oui, je suis toujours séduit par ce genre d’initiatives citoyennes que j’observe à loisir un peu partout dans le monde, y compris ce qu’on dénomme “jardinage urbain”.

C’est bien plus que juste le fait d’autoproduire ses légumes, c’est le retour à une forme de société-sociabilité-nature qui transforme les gens jusqu’à en faire des végétariens ou des adeptes de la “simplicité volontaire”.

Cela m’en fait souhaiter la multiplication à l’infini. Mais hélas, les colossales forces de l’agroalimentaire mondialisé, combinées au formatage à se nourrir “Mc Do” et à l’accaparement des terres disponibles, condamnent déjà ces initiatives à demeurer à micro-échelles.