Satisfait globalement de l’état des relations commerciales entre les deux pays, Son Excellence l’ambassadeur d’Égypte Omar Abu Eich attribue, toutefois, la timidité du partenariat économique aux barrières douanières, rien n’est pourtant perdu d’avance : « aujourd’hui nous sommes à la recherche de solutions innovatrices pour dépasser ces obstacles ».
L’Eco: Comment qualifiez-vous les relations bilatérales entre les deux pays ? Répondent-elles aux attentes et aspirations des deux peuples liés par l’histoire et la géographie?
Omar Abu Eich: Permettez-moi d’abord de vous dire que je ne crois pas qu’elles sont encore loin des attentes et des aspirations des deux pays mais il faut travailler davantage pour l’amélioration et l’exploitation du potentiel économique, sécuritaire, politique, culturel aussi important que recèlent les des deux pays, dans le cadre d’un programme de partenariat et de coopération stratégique permettant de booster le développement des deux pays. Pour le moment, toutes ces relations et coopérations sont encore à développer davantage dans l’avenir, afin de contribuer d’une manière efficace au développement et à l’amélioration des relations bilatérales entre les deux pays, pour relancer leur machine économique. La présence des investisseurs égyptiens en Algérie ne date pas d’aujourd’hui. L’Egypte a intensifié ses investissements en Algérie depuis le début des années 2000. Ainsi, nous remarquons la présence des plus grandes entreprises égyptiennes en Algérie dans les différents domaines à l’image de la construction du bâtiment, l’industrie, les services. Ainsi, les autorités algériennes ont toujours appelé les entreprises égyptiennes à venir investir en Algérie. De même le sommet économique de Charm El Cheikh a permis de faire connaître les compétences et les performances des entreprises égyptiennes dans les différents secteurs.
Malgré la création de la zone arabe de libre-échange, les échanges entre l’Algérie et l’Egypte, sont très minimes. Pourquoi ?
En 2014, les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint 1,5 milliard de dollars. C’est un bon départ entre les deux pays. Aujourd’hui, les barrières douanières font toujours défaut et constituent un vrai obstacle dont on cite la fameuse liste noire établie par le gouvernement algérien, qui interdit l’importation de plusieurs produits égyptiens. Nous comprenons bien cette réaction algérienne, vu la conjoncture économique actuelle du pays après la chute vertigineuses des prix du pétrole. En effet, aujourd’hui nous sommes à la recherche de solutions innovatrices pour dépasser ces obstacles. Ainsi, nous avons préparé une liste des biens et produits égyptiens qui sont commercialisés en Algérie et ce, pour mieux identifier les produits qui pourront entrer sur le marché algérien. Cette liste concernera notamment les biens qui ne sont pas produits en Algérie et qui ne représentent pas de concurrents pour les biens localement produits.
Ce que je peux dire sur les produits égyptiens, c’est qu’ils sont moins chers par rapport à ceux importés de l’Union européenne ou d’autres destinations du monde, tout en sachant que les biens égyptiens prennent en compte l’environnement (culture, tradition…) algérien. Les échanges entre nos deux pays ne sont pas seulement à caractère commercial mais aussi social, culturel… En contrepartie, l’Algérie produit des biens qui peuvent être exportés et commercialisés en Egypte. Ainsi, nous devons convoquer la commission commerciale des deux pays pour identifier les domaines qui peuvent vraiment fructifier les relations économiques. La solution pour le développement des échanges entre les deux pays, c’est de réduire la liste noire établie par le gouvernement algérien et nous sommes aujourd’hui en discussions pour régler cet obstacle.
Votre ambassade avait plaidé pour la levée des obstacles qui bloquent le mouvement des produits dans les deux sens. D’ailleurs votre pays s’interroge sur les raison de l’établissement par l’Algérie d’une liste négative. Quelle était la réponse de l’Algérie ?
Laissez-moi dire que la chute des prix du pétrole sur le marché international a présenté des difficultés financières non seulement pour l’Algérie mais aussi pour l’Égypte qui, elle aussi, est un producteur de gaz et de pétrole destinés essentiellement pour la consommation domestique. Mais nous importons aussi du gaz de différentes sources y compris de l’Algérie. Ainsi, nous comprenons très bien la démarche du gouvernement algérien qui essaie de contrôler ses importations et je dirais que c’est une procédure très normale notamment dans cette conjoncture actuelle. L’Algérie nous a demandé de redresser la liste des produits et ce, dans l’objectif de d’identifier les secteurs les plus demandés en Algérie et pouvant être acceptés par les deux parties.
L’Égypte ne se contente pas, à travers la présence de ces plus grandes entreprises en Algérie, de transférer les dividendes et s’enrichir, mais elle veille également, à former, transférer le savoir-faire, de créer la richesse et de l’emploi (65% des employés des sociétés égyptiennes en Algérie sont des Algériens, tandis que 35% sont des Égyptiens).
Une année après la tenue de la 7e session de la Grande commission mixte algéro-égyptienne en novembre de l’année passée, sanctionnée par la signature de 17 accords et mémorandums d’entente dans les différents secteurs, quelle est l’évaluation à faire sur la concrétisation de ces accords sur le terrain ?
Pour précision, nous avons signé 16 accords et le 17ème concernait le texte final de la commission. Pour la concrétisation de ces accords, je dirais qu’elle se fera très prochainement et probablement durant ce mois de décembre. Aujourd’hui, nous sommes en train de définir une date précise pour la tenue du Comité de suivi de l’application et la concrétisation des accords, signés il y a une année. Durant les jours à venir, nous comptions, également, tenir des réunions des commissions consulaires qui englobent tous les aspects (les travailleurs et leur sécurité sociale, délivrance des visas et en général concernera la mobilité des gens). Ainsi, nous allons créer un environnement plus efficace pour renforcer les relations économiques entre les deux pays.
Parmi les recommandations phares de la commission mixte, la nécessité de « redynamiser » les mécanismes relatifs à la création d’une joint-venture algéro-égyptienne spécialisée dans l’exploration, la prospection et la production de brut et du gaz dans les deux pays et à l’étranger. Il est également question de raffiner le Sahara Blend algérien en Égypte. Où en sommes-nous de ces projets?
Pour la question du raffinage du pétrole algérien, l’Egypte a commencé déjà à le faire. Il s’agit en effet, du Laboratoire Midor, spécialisé dans le raffinage du pétrole et sa commercialisation en Égypte et à travers le monde. Ce projet, soulignons-le, est dans la bonne voie non seulement pour la création d’une compagnie mixte (joint-venture) mais aussi sur les échanges des expertises dans le domaine pétrolier. Pour rappel, en décembre 2014, nous avons reçu en Algérie, notre ministre du Pétrole (devenu actuellement Premier ministre) et ce, pour établir les points importants de cette joint-venture.
Il est également question d’échanger les techniques de fourrage maritime (Offshore) en Algérie, tout en sachant que la majorité des puits d’Égypte sont concentrés dans la mer. Ainsi, notre pays pourra aider l’Algérie dans ses projets d’exploiter le pétrole en mer. L’Algérie s’intéresse aussi pour l’expérience égyptienne en matière de rationalisation de la consommation du gaz et de pétrole via les cartes à puce. D’ailleurs au mois de juillet dernier, un groupe technique de Naftal, avec l’expertise du ministère des Finances algériens, s’est rendu en Égypte pour discuter de l’expérience égyptienne en matière de plafonnage de la consommation de pétrole et de gaz subventionnés. Via cette carte à puce, le citoyen aura son quota de pétrole subventionné à consommer et dès qu’il dépasse le seuil, il payera selon les prix du marché.
Vous parlez du gaz égyptien, ne pensez-vous pas que votre pays deviendra un concurrent direct de l’Algérie ?
Non, ce n’est pas possible. Moi, je dirais qu’au contraire, nous continuons à travailler ensemble et nous comptons approvisionner l’Europe de l’Est, le Nord de la Méditerranée, quelques pays africains, ceux du Moyen et Proche-Orient. Ainsi, je dirais que l’Algérie restera un partenaire.
Sur le plan sécuritaire, Alger et le Caire restent deux partenaires essentiels engagés dans la sauvegarde d’une Libye unie avec le renforcement et l’encouragement du dialogue inter-libyens. Mais jusqu’à ce jour, la Libye demeure dans l’instabilité. Comment expliquez-vous cette situation ?
L’Égypte et l’Algérie ont toujours appelé à la résolution pacifique du problème de la Libye et elles sont contre toute intervention militaire directe ou indirecte. Car ce problème affecte directement nos deux pays et même les autres du voisinage. C’est pour cette raison que nous sommes engagés dans une coordination avec d’autres pays à l’image de l’Italie pour tenter de réunir les frères ennemis libyens. Mais je crois que la réouverture de l’accord de principe à la proposition, a compliqué les efforts engagés par la communauté internationale. Aujourd’hui, le problème des libyens se manifeste dans le manque de confiance entre les différentes parties et acteurs libyens. El Kadhafi a laissé la Libye comme une tribu sans institutions. L’objectif de la communauté internationale est de renforcer du rôle des institutions de l’Etat et ce, pour créer un vrai pays fondé sur des institutions légales.
Le grand obstacle aujourd’hui est l’extension de l’Etat islamique dans le territoire libyen, chose qui rendra les efforts de la communauté internationale de plus en plus difficile. Idem pour le cas de la Syrie, dont nous demandons la résolution pacifique du conflit. Mais je pense que l’intervention russe en Syrie contre l’IE a commencé à affaiblir ce mouvement terroriste. Ce que nous espérons, c’est la préservation de l’unité territoriale de la Syrie.