Oléiculture à bouira : Activité millénaire et lien identitaire

Oléiculture à bouira : Activité millénaire et lien identitaire

L’huile d’olive est la matière grasse extraite des olives (fruits de l’olivier) lors de la trituration dans un moulin à huile. L’huile d’olive est composée d’environ 99% de triglycérides. Le 1% restant constitue les composants mineurs; il s’agit essentiellement du squalène, des alcools triterpéniques, des stérols, des phénols et des dérivés du tocophérol…

L’huile d’olive coûtera très cher cette année. Les raisons sont multiples, mais la plus en vue reste la faiblesse du rendement par quintal. Même si la quantité reste appréciable, cette année et pour moult raisons naturelles, le quintal de grains livre au maximum 18 litres d’huile.

La saison oléicole qui tire à sa fin a été une aubaine pour la région «est» où les nombreux chômeurs trouvent un emploi saisonnier, surtout que plus de 80% de la production provient de cette partie de la wilaya.

La modernisation des pressoirs conçus pour des productions beaucoup plus importantes, écourtera à ne pas douter la période du ramassage. Les facteurs climatiques en plus de réduire la production peuvent affecter la qualité. Précisons que la meilleure huile reste celle de la région de M’Chedallah et Chorfa où la variété «Achemlal» donne une huile avec un taux d’acidité inférieur à 2%.

La récolte qui reste artisanale, l’âge des oliviers et le réchauffement climatique continuent à faire de la filière une activité de subsistance et à se limiter au cercle familial. Même les projets de plantation lancés il y a quelques années au sud de la wilaya ne sont pas tous fructueux et l’oléiculture reste une activité exclusive des régions nord et est de la wilaya.

Fidèle à ses caprices, l’olivier est généreux une année, sur deux. Cet arbre rustique, fort, endurant, à l’image de ses propriétaires donne en abondance une année pour se reposer l’année d’après. «Parce que certains, au nom de la théorie acquise dans des instituts ont voulu changer cette nature, l’oléiculture est partie dans des errements où plus personne ne se retrouve» nous confie le propriétaire d’un pressoir traditionnel installé à Chorfa, une région où l’olive et l’huile sont les rares revenus pour bon nombre de familles. Depuis la nuit des temps, la filière est restée à son état primaire. Tout au long du ramassage et juste après la cueillette, plusieurs opérations d’entretien sont faites. Sans avoir fait une formation dans des grandes écoles, nos ancêtres élaguaient, bichonnaient, irriguaient… leurs oliviers. «Ces arbres sont un héritage, ils me rappellent mes parents et je dois perpétuer la tradition même si les enfants aujourd’hui préfèrent la ville et les fonctions rémunérées. Moi c’est un devoir envers mes ancêtres et c’est ma vie», nous affirme un paysan en route vers le champ, en compagnie de son épouse pour ramasser les quelques grains que ses oliviers ont bien voulu donner. «Même quand la récolte est maigre, il faut se donner la peine pour ne pas mécontenter ces arbres qui exigent le respect. Ces arbres sont mes vrais enfants. Ceux biologiques sont partis en ville. Eux sont toujours à mes côtés et assurent ma survie», nous dira avec un air nostalgique et philosophique encore notre interlocuteur. Tout le monde aura compris que chez ces gens, l’olivier est vénéré. Si l’huile a fini par coller à l’identité de la Kabylie, elle est souvent dénommée «Zith Lakbaile» ce n’est que justice. Par respect à ce don de la nature, en Kabylie on ne dit jamais «je vais acheter de l’huile, mais «adajoua zith» parce que la vente et l’achat sont un tabou.

Entre modernisme et tradition

Depuis la nuit des temps, l’olivier est resté un témoin que se transmettent les générations. La scène de la coupe des oliviers dans le film mythique «L’opium et le bâton» reprend cet attachement des humbles villageois à leur unique bien. Feu Rouiched ira jusqu’à justifier son ralliement à la France parce qu’il n’avait pas d’oliviers. Cet amour on le retrouve aussi dans l’acharnement et l’opposition exprimés par les propriétaires concernés par la décision de faire passer la nouvelle voie ferrée et qui viendra à bout de milliers de ces arbres dans les régions depuis Taghzout jusqu’à l’extrême est de la wilaya. Le même scénario est vécu pour la pénétrante Bouira-Béjaïa.

La récolte faite manuellement et traditionnellement, l’opération fera appel à beaucoup de volonté.

Les femmes, les petits-enfants, en période de vacances scolaires s’associent pour ramasser les grains un à un.

Le manque expliqué par la nature de l’arbre a été accentué par un été long et rude. L’olivier, qui reste un rustique supporte les aléas de la nature, mais souffre. Dans certaines régions, le grain est tombé prématurément. Asséché il donne des signes de pourrissement. Pour les spécialistes, cet état n’influe point sur la qualité de l’huile, mais réduit la quantité. D’habitude, un quintal d’olives donne entre 18 et 23 litres d’huile. Cette année et conséquemment à la santé du grain, les 100 kilos donneront au maximum et à quelques exceptions 18 litres.

La cueillette est aussi un rituel hérité des ancêtres. Un feu est toujours allumé avec les rameaux et les coupes. Tout en servant à réchauffer les mains, ce feu est un traitement contre les maladies qui menacent l’arbre,

Les familles saisissent aussi l’occasion pour passer des journées entières en pleine nature. Cet avantage influe sur les citadins qui n’hésitent plus à retourner au village chaque week-end pour s’adonner à cette activité qui les ressource. «Ce n’est pas l’huile qui m’intéresse, mais simplement ce mode de vie ancestral», nous confie L’Yazid, habitant à Bouira et originaire d’Ath Laâziz. Si dans des pays comme l’Espagne, la Tunisie, la Grèce… l’huile d’olive, désignée par le qualificatif «d’or vert» est une réelle industrie, une source de revenus en monnaie forte, un secteur pourvoyeur d’emploi et de richesse, chez nous la filière est livrée à elle-même.

Des milliards ont été investis dans des prêts, des aides qui n’ont jamais ciblé les vrais professionnels, mais ont profité à des intermédiaires, des mercantiles. L’entretien de l’huilerie, les personnels saisonniers, les remboursements bancaires, le coût de l’olive, son transport… sont des frais qui influent sur le prix de revient. L’érosion du pouvoir d’achat amène le consommateur à recourir aux huiles industrielles aux dépens de sa santé même si les prix sont excessifs.

Une filière entre les mains des spéculateurs

«Nous obéissons aux caprices de ces arbres. On fait des bénéfices une année pour compenser l’autre» nous confie un producteur qui a fini par industrialiser son activité. Son produit est conditionné dans des bouteilles et il envisage de l’exporter. L’inexistence de circuits de commercialisation, l’anarchie qui domine dans le circuit et l’apparition des lobbies autour de la profession ont accentué les spéculations et sont à l’origine de cette hausse. Au regard des difficultés que rencontrent les paysans, 500 DA jusqu’à 1000 DA le litre restent des prix conformes quand il sont comparés aux augmentations qui ont touché toutes les filières agricoles où l’effort manuel est de loin moins intense.

La rareté des olives a aussi amené les huileries à s’alimenter à partir d’autres régions du pays. Là c’est la qualité qui en prend un coup. «Achemlal» de M’Chedallah est une variété très prisée pour son taux d’acidité qui avoisine le zéro pour cent parce que les oliviers de la région n’ont pas donné assez de grains, les huileries sont dans l’obligation de mélanger cette variété avec des olives venues de l’est et de l’ouest du pays. En hiver, en été, en automne ou au printemps, les légumes et les fruits même de saison restent au-dessus des moyens d’une famille. Cette hausse qui touchera l’oléiculture, a pour origine la situation du marché. Comme pour l’ensemble des autres filières, la présence d’intermédiaires et l’inexistence de circuits officiels sont les vraies raisons d’un état de fait qui profite à une poignée de gros bonnets qui s’enrichissent sur le dos du peuple.

D’autres facteurs influent sur la filière. Ses caractéristiques organoleptiques varient en fonction du terroir et des pratiques agronomiques, de la variété et du stade de maturité à la récolte. Aujourd’hui, c’est un produit de consommation courante, mais certaines huiles d’olive ont un prix qui rivalise parfois avec celui des grands vins. Plusieurs huiles d’olive sont classées en Appellation d’origine contrôlée (AOC). Qu’en est-il en Algérie? Selon un expert l’huile algérienne ne peut en aucun cas intégrer le marché mondial. M. Moussouni expert en agriculture pour le compte de la CEE qualifie l’huile algérienne d’impropre à la consommation.

«Le grain n’est cueilli que quand il noircit et perd ses qualités nutritives, laissée longtemps sur les aires des huileries son taux d’acidité augmente, il est malaxé à plus de 30 degrés Celsius et les arbres qui relèvent du domaine privé et trop éparses ne sont pas traités ensemble lors de l’apparition des maladies. Ces facteurs affectent la qualité», nous confie l’expert. A la question de savoir pourquoi les Tunisiens raffolent de notre huile, il explique qu’elle sert à alimenter le marché local dans la mesure où ce pays exporte la totalité de sa production. L’Algérie avec 69 500 q en 2015 et qui occupe le 8ème rang derrière l’Espagne, la Tunisie, la Grèce, l’Italie, la Turquie, le Maroc et la Syrie, peut compter sur cet or vert dans sa politique d’indépendance des hydrocarbures. Pour cela il est temps de poser les bases sérieuses d’une politique de développement de la filière. Cependant, au train où vont les choses, cette option est loin de se concrétiser.

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