Obnubilés par l’Internet, la télé et les jeux vidéo, Nos enfants ne savent plus lire

Obnubilés par l’Internet, la télé et les jeux vidéo, Nos enfants ne savent plus lire

Deux enfants sur trois lisent très mal en sixième année et plus de 40% sont en échec complet dès la troisième année.

Tels sont quelques-uns des résultats accablants de l’évaluation des dizaines d’enseignants, de chefs d’établissement, de psychologues, de pédagogues, de parents d’élèves et d’élèves.



Face à ce qui constitue une véritable catastrophe nationale – des dizaines de milliers d’enfants sont concernés —, c’est au moins toute la pédagogie de la lecture à l’école primaire qui est à revoir. Combien sont-ils, aujourd’hui, ces enfants qui n’arrivent pas à lire correctement ? La réponse est d’une inquiétante clarté. «Plus de 80% des enfants lisent très mal» , nous dit d’emblée Saâd Hassani, un chef d’établissement à Alger. «L’échec en lecture», ainsi que le nomment les pédagogues, est aujourd’hui la réalité la mieux partagée par tous.

Négligée, expédiée, mal traitée, la lecture donne lieu à un véritable massacre pédagogique. Jamais l’impuissance de l’école à remplir l’une de ses missions essentielles – apprendre à lire à tous les enfants – n’était apparue ainsi en pleine lumière et, pour ainsi dire, en grandeur réelle. Aujourd’hui, en effet, ce n’est pas une minorité d’enfants mais bien la grande masse des élèves qui éprouvent des difficultés à lire. «Une large majorité d’enfants de la classe de quatrième année primaire ne possède pas les bases essentielles», nous lance Salim Haouès, un pédagogue. Ils ne sont, selon lui, que 15% à posséder des bases, mais singulièrement fragiles. Selon plusieurs témoignages, c’est surtout au niveau de la première année moyenne que les résultats sont les plus catastrophiques.

«A ce niveau, plus de la moitié des élèves ne savent pas mettre une phrase affirmative à la forme interrogative ou négative, ne maîtrisent pas la conjugaison…», nous dit Sabiha B., une enseignante dans un CEM de la banlieue d’Alger. Pis, ajoute-t-elle, «seuls moins de 30% des élèves savent aller au-delà d’une lecture superficielle pour arriver à une compréhension approfondie du texte qu’ils lisent».

Au-delà des statistiques, un constat s’est imposé lors de notre rencontre avec les spécialistes du secteur de l’éducation. «Deux élèves sur trois ne savent pas lire couramment en première année moyenne». Des enfants qui ânonnent, des enfants qui butent sur les mots, des enfants qui lisent sans comprendre, qui restent muets devant le texte le plus simple qui soit, se comptent par milliers. Toujours selon Sabiha B., «le massacre de la lecture commence à l’école primaire, avec comme finalité un héritage catastrophique au CEM puis au lycée».

Et les chiffres seraient en constante progression. C’est ce qu’analyse Mohand Yacoubi, un ancien directeur d’établissement scolaire à la retraite. «L’échec en lecture et les difficultés de lecture sont le lot commun de dizaines de milliers d’élèves. Le système de lecture actuel archaïque fait en sorte que l’élève bégaie. Il est aussi l’une des causes qui mènent les élèves chez des orthophonistes» , dit-il.

Combien d’enfants poursuivent, cahin-caha, leur scolarité de classe en classe, sans pour autant arriver jamais à lire couramment ? En aval du système scolaire, les centres de formation professionnelle chiffrent les dégâts. «Chaque année, les centres de formation testent pour l’admission plus de 100 000 jeunes, âgés de 16 à 18 ans, d’après les critères définis par l’Unesco. Et chaque année, ils détectent une majorité d’illettrés* provenant des CEM», déclare Mourad Yesli, pédagogue.

«A des degrés divers, 60% à 70% de la population algérienne a des difficultés graves avec la lecture et l’expression écrite», estime, pour sa part, une enseignante, Malika Saïdani. Plus inquiétant encore, selon plusieurs interlocuteurs, il n’y aurait en fait qu’une infime minorité de «vrais lecteurs» que n’effraient ni la qualité ni la diversité des types de textes.

R.Kh