Le président américain Barack Obama, accusé d’avoir agi illégalement et imprudemment en libérant cinq talibans de Guantanamo, s’approche de facto de la fermeture de la prison controversée, en transférant pour la première fois des détenus considérés comme dangereux. « Cette nouvelle agressivité de la part du président Obama met le ballon plus près du but », a déclaré à l’AFP l’experte Karen Greenberg.
La libération ce week-end de cinq anciens cadres du régime taliban, en échange d’un prisonnier de guerre américain, « illustre l’engagement du président Obama à fermer la prison de Guantanamo avant la fin de son mandat », en janvier 2017, ajoute cette spécialiste de sécurité nationale à la Fordham University.
Les cinq Afghans libérés en échange du sergent américain Bowe Bergdahl, aux mains des talibans depuis 2009, étaient dans les geôles de Guantanamo depuis l’ouverture de la prison, il y a douze ans et demi.
Ils étaient, aux dires d’une source talibane, de hauts responsables influents du régime taliban, chassés du pouvoir lors de l’invasion américaine de l’Afghanistan après les attaques du 11-Septembre.
Les administrations successives de George W. Bush et de Barack Obama les avaient classés parmi les prisonniers trop dangereux pour être libérés mais impossibles à traduire en justice faute de preuves.
Sur les 149 hommes encore dans les camps de la base navale américaine de Cuba, 78 ont reçu une « approbation pour transfert » du Pentagone, la quasi-totalité depuis 2010.
Jusqu’ici, c’est dans cette catégorie que l’administration Obama puisait pour vider peu à peu les cellules de la prison tant décriée, avec l’objectif affiché de la fermer définitivement. Elle s’efforce même de gonfler le nombre de détenus libérables en révisant la situation de ceux qui n’ont pas encore reçu ce qualificatif.
Quelques rares prisonniers reconnus coupables ont été également rendus à la justice de leurs pays. Mais c’est la première fois que des « non-transférables » sont ainsi libérés.
Obama peut honorer sa promesse
« Libérer ces terroristes a peut-être permis la libération du Sergent Bowe Bergdahl, mais cela met la vie de plus d’Américains en danger », a commenté Marc Thiessen, expert à l’American Enterprise Institute.
Comme cet ancien collaborateur du gouvernement Bush, plusieurs élus républicains ont critiqué cet échange.
« Le président a clairement violé la législation qui exige qu’il notifie le Congrès dans un délai de 30 jours avant de transférer des terroristes de Guantanamo et d’expliquer comment la menace posée par ces terroristes a été réduite de manière substantielle », ont ainsi dénoncé Howard McKeon et James Inhofe, leaders des commissions des Forces armées respectivement à la Chambre et au Sénat.
Pour John Bellinger, ex-conseiller juridique du département d’Etat sous l’administration Bush, « les Etats-Unis n’auraient de toutes façons pas pu les détenir indéfiniment » et « auraient probablement dû les remettre en liberté peu après la fin des opérations de combat américaines en Afghanistan, fin 2014 ».
En outre, ajoute cet avocat, « les antécédents de ces dirigeants talibans démontrent que les détenus de Guantanamo ne sont pas tous des « innocents » qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment ».
« Les événements du week-end montrent que (Barack Obama) peut transférer les détenus et fermer Guantanamo s’il en a la volonté », a commenté pour l’AFP Wells Dixon, avocat du Centre pour les droits constitutionnels (CCR) qui défend plusieurs détenus.
« S’il peut résoudre les cas les plus difficiles, alors il peut certainement transférer les hommes dont personne ne pense qu’ils doivent être détenus ».
Pour Steve Vladeck, professeur de droit à l’American University, « il est trop tôt pour dire si cet échange accélérera ou ralentira la fermeture de Guantanamo », un objectif qui, dit-il, était « secondaire » dans l’esprit du gouvernement Obama, par rapport à la libération d’un prisonnier de guerre.
« Depuis trop longtemps les partisans du président Obama accusent le Congrès de l’empêcher d’honorer sa promesse de fermer Guantanamo », renchérit l’ex-procureur de Guantanamo, Morris Davis.
Cette libération montre que le président peut honorer sa promesse, « s’il décide que c’est dans l’intérêt des Etats-Unis », ajoute le colonel Davis, convaincu que « Guantanamo sera fermé » quand Barack Obama quittera la Maison Blanche.