Aujourd’hui le Goldstein américain est mort et si Barack Obama était un président plus fort, ce serait le moment des grandes décisions. Le moment de finir la guerre robotique au Pakistan, de retirer les soldats américains d’Afghanistan, de fermer cette disgrâce nationale qu’est la prison de Guantanamo Bay, de sortir d’Irak. Mais Obama n’est ni un homme de vision, ni de grandes décisions.
Quand Oussama Ben Laden a commencé à devenir célèbre en tant que croquemitaine américain des années Clinton, je l’ai constamment appelé «Goldstein», le personnage de George Orwell dans son roman 1984 que l’Etat fasciste américano-britannique utilise pour faire inspirer la loyauté ; en focalisant la haine des masses sur Goldstein, l’Etat empêche les gens de trop penser à la destruction de leur liberté et à leur propre transformation en esclaves. Dans le roman, bien sûr, Goldstein n’a peut-être jamais réellement existé, il est peut-être simplement une invention de l’Etat ou un mythe exagéré qui s’inspire d’une insignifiante figure révolutionnaire du passé.
Ben Laden a certainement existé, comme il l’a prouvé lorsque ses disciples ont démoli le World Trade Center à New York. Mais sa fonction essentielle au courant de la décennie passée a été d’être la représentation de l’ennemi dans ce qui a porté le nom absurde de «guerre contre la terreur», en tant que tête d’une entité très amplement imaginaire appelée «Al Qaida», il a fourni un prétexte à la vaste mobilisation de ressources militaires, d’énormes profits aux compagnies qui ont les bonnes connections et une histoire simple, assez cinématographique, à un pays qui, de plus en plus, a besoin de sentir qu’il fait partie de grands récits historiques.
Aujourd’hui Goldstein est mort et si Barack Obama était un président plus fort, ce serait le moment des grandes décisions. Maintenant est le moment de finir la guerre robotique au Pakistan, de retirer les soldats américains d’Afghanistan, de fermer cette disgrâce nationale qu’est la prison de Guantanamo Bay, de sortir d’Irak. Et à l’intérieur, c’est le moment de plier toutes les lois d’urgence et tous les subterfuges illégaux qui ont été créés grâce au Goldstein américain : les écoutes sans mandat, la qualification d’«ennemi combattant», les commissions militaires utilisées contre les civils, les justifications de la torture.
Lorsque l’information de l’élection d’Obama en 2008 est parvenue à Guantanamo, une fête spontanée y a éclaté, les avocats de la défense dansant et criant : «Rule of law, baby !» (l’état de droit, baby !) ; ils s’attendaient à ce que le nouveau président, un avocat cultivé et intelligent, sortirait le pays de la plongée autoritaire qu’il a effectuée, dans ce qui est peut-être la pire des périodes, du point de vue des libertés civiles, depuis cent ans. Contrairement aux attentes des avocats, Obama n’a pas restauré l’état de droit, il a encore moins fait passer en justice les membres de l’administration Bush pour torture et violations de l’état de droit ; il n’a pas non plus accompli ce pourquoi les Américains l’ont élu : mettre fin aux guerres sans finalités en Irak et en Afghanistan.
Obama n’est pas un homme de vision ou de grandes décisions et je ne m’attends donc pas à ce que la mort de Ben Laden mène à de grands changements. Le meilleur espoir, je pense, concerne le Pakistan, où les drones vont probablement arrêter leur impitoyable et sanguinaire campagne d’attaques aux missiles téléguidés.
En Afghanistan et en Irak, nous assisterons probablement à des annonces plus fermes de «calendriers de retrait», mais ces retraits seront bien moins rapides que ce qu’ils devraient être. Concernant l’état de droit à l’intérieur de l’Amérique même, le problème est qu’il est bien plus facile aux Etats de décréter les pouvoirs d’urgence que de s’en passer, comme l’ont découvert un nombre incalculable d’Etats arabes. Pour s’occuper de ses adversaires, les écoutes sans mandat et les commissions militaires secrètes sont des méthodes tout simplement plus aisées que le dur travail exigé par l’état de droit.
Lorsque Obama a pris le pouvoir, il a donné l’ordre pour que des procès civils aient lieu contre Khaled Sheikh Mohammed et quatre autres présumés co-conspirateurs des attentats du World Trade Center qui ont tous été torturés sous Bush et qui devaient être jugés par des «commissions militaires» pseudo-légales. Mais très vite, il a fait volte face, annulé les vrais procès et a finalement annoncé, il y a seulement deux semaines de cela, qu’ils seraient jugés devant des «commissions militaires» à la prison de Guantanamo ; le fait qu’ils aient été torturés aurait rendu impossibles des procès civils alors que les commissions sont une garantie de verdicts de culpabilité. La torture et les commissions militaires sont peut-être le pire des cadeaux que Ben Laden et Bush aient fait à l’Amérique et ni la retraite de Bush ni la mort de Ben Laden n’effaceront la honte qu’ils sont.