Nucléaire Iranien,Nouvelles sanctions ou frappes militaires?

Nucléaire Iranien,Nouvelles sanctions ou frappes militaires?

L’Iran a le droit d’enrichir l’uranium et de maîtriser le cycle du combustible.

L’Iran est accusé depuis au moins 25 ans de mener un programme nucléaire pour se doter de la bombe atomique dont la fabrication est présentée à chaque fois comme «imminente».

Le programme nucléaire iranien bouclera bientôt un demi-siècle, depuis son lancement par le Shah. Durant ses premiers pas, l’Iran a bénéficié de l’assistance de pays occidentaux: les Etats-Unis avaient accepté de lui fournir du matériel, y compris pour l’enrichissement de l’uranium (programme «Atoms for Peace» du président Eisenhower); la France a formé ses premiers scientifiques et lui a ouvert l’actionnariat dans Eurodif; l’Allemagne a accepté de construire la centrale nucléaire de Bouchehr. Ces mêmes pays et Israël dénoncent ce programme depuis la proclamation de la République islamique en 1979.

L’Iran est accusé depuis au moins 25 ans de mener un programme nucléaire pour se doter de la bombe atomique dont la fabrication est présentée à chaque fois comme «imminente» par différentes sources: presse et revues spécialisées ou non, agences de renseignement, hommes politiques -surtout israéliens-, parlementaires -surtout américains- ou encore des think tanks. Cette Arlésienne provoque des crises internationales répétées. Le monde assiste à l’une d’elles depuis les «fuites» du rapport envoyé le 8 novembre par l’Aiea au Conseil des gouverneurs dont la réunion aura lieu les 17 et 18 de ce mois. En prévision de ce rendez-vous, la presse se fait l’écho d’une rhétorique guerrière déjà entendue par le passé. Que fera le Conseil des gouverneurs, sachant que l’Iran a déjà fait l’objet de sanctions économiques et financières par le Conseil de sécurité, renforcées par d’autres prises unilatéralement par les pays occidentaux?

Comme à chaque crise, depuis 2003, on se demande cette fois-ci aussi s’il s’agit d’une autre poussée de fièvre ou d’une étape décisive dans le dossier du nucléaire iranien? Dans le premier cas, la température finira par tomber et l’Iran, qui n’entend rien céder sur ce qu’il estime être son droit, poursuivra le développement de son programme nucléaire en attendant la prochaine crise. Dans le second, ses principaux détracteurs ont déjà proposé des sanctions renforcées, comme pour calmer les ardeurs belliqueuses d’Israël qui agite la menace de frappes militaires préventives.

Le rapport de l’AIEA de septembre 2010…

Dans le précédent rapport soumis par le directeur général de l’Aiea au Conseil des gouverneurs et au Conseil de sécurité en septembre 2010, on relève les domaines principaux de divergence suivants entre l’Agence et l’Iran:

1-L’Agence insiste sur l’obtention d’informations complètes sur l’usine d’enrichissement de combustible de Fordo, située près de Qom. (Son annonce surprise en septembre 2009 fut à l’origine d’une énième tempête diplomatique; elle a reçu la première visite des inspecteurs de l’Agence en octobre 2009). L’Iran maintient que l’Aiea n’a «aucune base légale» pour faire une telle demande qui outrepasse les obligations légales.

2-L’Agence demande l’accès à certains sites pour vérifier les déclarations de responsables iraniens sur «l’enrichissement de l’uranium par laser» et la construction de centrifugeuses de «troisième génération». Téhéran se contente de réitérer sa disponibilité à coopérer dans le cadre de l’Accord de garanties.

3-L’Agence dénonce le non-respect par l’Iran du Code 3.1 («Arrangements subsidiaires»). A l’origine, ce Code faisait obligation à un Etat de déclarer une installation 180 jours au plus tard, avant l’introduction de matériels nucléaires sur le site. Pour renforcer la lutte contre la prolifération, il fut amendé pour obliger les Etats à informer l’Aiea dès la prise de décision de construire une unité nucléaire. Téhéran s’en tient à la première version et l’Agence à la seconde.

4-L’Iran récuse certains inspecteurs de l’Aiea. L’Agence rejette la demande iranienne, considérée comme une manoeuvre visant à compromettre les inspections en écartant les meilleurs éléments chargés de les mener.

… Et de novembre 2011

Le rapport envoyé ce 8 novembre par l’Aiea au Conseil des gouverneurs et au Conseil de sécurité apporte-t-il des éléments nouveaux susceptibles de justifier d’autres mesures punitives contre l’Iran?

Rappelons qu’en juin 2011, le directeur général de l’Aiea, le Japonais Yukiya Amano, moins conciliant envers l’Iran que son prédécesseur, a déclaré qu’il avait reçu d’autres «preuves» accréditant l’idée de l’existence d’un programme nucléaire militaire iranien.

Pour se faire une idée sur les «preuves» en question, il faut savoir que les informations de l’Agence proviennent principalement de trois sources:

1-L’Etat concerné lui-même. Or l’Iran est accusé de ne pas coopérer pleinement avec l’Agence qui ne peut pas pallier facilement le «manque à gagner» découlant de cette situation et obtenir des informations complètes et fiables;

2-L’Aiea qui analyse les rapports des inspecteurs. Or cette dernière n’a pas accès à certains sites iraniens, ni à tous les scientifiques, ni à tous les documents et ne peut donc disposer d’éléments complets;

3-Les Etats tiers, en clair les Etats occidentaux qui fournissent à l’Aiea des informations recueillies à partir de l’analyse de photos satellites ou provenant du renseignement en général dont la fiabilité peut être questionnée. Or, ce sont ces «preuves» qui semblent privilégiées par les rédacteurs du dernier rapport -lequel indique une grande détérioration des relations entre l’Agence et Téhéran. Une détérioration qui pourrait être le prélude d’une «séparation de corps» si on prend en compte les récentes déclarations de Larijani, ancien chef négociateur du dossier nucléaire qu’il menace de confier au Parlement dont il est l’actuel président.

Un rapport non encore officiel

Le rapport du 8 novembre fait état de «certaines activités (ayant un caractère militaire et antérieurs à 2003) qui pourraient toujours être en cours») et exprime de «sérieuses inquiétudes concernant une possible dimension militaire du programme nucléaire» iranien. Comme dans les précédents rapports, on note encore l’emploi du conditionnel et le recours aux allégations. Donc, toujours pas de «preuves» décisives contre l’Iran, de nature à faire l’unanimité contre lui. Téhéran a beau jeu de dénoncer le rapport comme «répondant à des mobiles politiques». Quant au ministère russe des Affaires étrangères, il met en garde contre le risque d’une «confrontation dangereuse» et qualifie le document de «compilation politisée des faits bien connus». En somme, il n’y a rien de nouveau. D’ailleurs, la Russie et la Chine ont déjà manifesté leur opposition à toutes nouvelles sanctions contre l’Iran. Ce qui laisse comme alternative aux pays occidentaux la seule voie des sanctions unilatérales.

Le rapport circulé le 8 novembre n’est pas encore un document officiel de l’Aiea puisque le Conseil des gouverneurs chargé de l’adopter ne se réunira que les 17 et 18 novembre prochain. Le bruit fait autour de ce document est contreproductif. Sa fuite prématurée écorne la crédibilité de l’Agence de Vienne.

Etant donné son contenu et les réactions déjà enregistrées à Moscou et à Pékin notamment, il est très peu probable que de nouvelles sanctions soient prises par le Conseil de sécurité contre l’Iran. D’ailleurs, elles ne sont pas de nature à arrêter le programme iranien qui est désormais une cause nationale portée par tout un peuple, toutes tendances confondues, et non seulement par un régime.

S’agissant de frappes militaires préventives contre les installations nucléaires iraniennes, elles ne pourraient être qu’unilatérales donc illégales et les experts doutent de leur efficacité. Elles pourraient ralentir le programme et non l’annihiler. Pour le moment, les pays occidentaux n’envisagent pas cette éventualité, même si la presse fait état de la préparation de plans dans ce sens par leurs armées; c’est leur travail. Seul Israël piaffe d’impatience et a même fait monter au créneau son président pour essayer de donner du crédit à ses menaces.

Ce pays est toujours guidé par la doctrine Begin (formulée en 1981 lors de l’attaque menée contre le réacteur irakien «Osirak») qui veut que tout Etat ennemi soit privé par la force si nécessaire, d’accès à l’arme nucléaire. Les experts soutiennent qu’il n’est pas en mesure de concrétiser ses menaces sans aide et feu vert de son principal allié qui a pour le moment fort à faire sur les plans interne et international.

L’initiative russe

Légalement et techniquement, l’Iran a le droit d’enrichir l’uranium et de maîtriser le cycle du combustible.

Ceci étant, du fait qu’il est lié par les dispositions du TNP et de son accord de garanties avec l’Aiea, il doit aussi fournir les informations nécessaires sur la nature et l’étendue de son programme nucléaire passé, présent et futur. La non-prolifération a ses exigences et aucun Etat n’a le droit d’y déroger sous peine de se retrouver devant le Conseil de sécurité, ce qui est le cas de l’Iran depuis 2006. L’organe onusien lui a déjà infligé des sanctions sévères et permis aux membres de la communauté internationale de décréter des «sanctions unilatérales». Celles-ci sont le fait de pays occidentaux développés et visent surtout à paralyser les secteurs énergétique et financier. Cette politique a tourné le dos à toute solution constructive comme la tentative faite par le Brésil et la Turquie en 2010. Une tentative prometteuse vite étouffée par les pays occidentaux qui lui ont préféré un durcissement des sanctions.

Il reste une initiative dans le pipe susceptible de relancer les discussions entre le groupe des «5+1» et qu’il serait hautement souhaitable de prendre en considération. Il s’agit du «plan Lavrov», proposé en juillet 2011, qui consiste à régler la crise iranienne par étape: levée progressive des sanctions imposées à l’Iran contre coopération accrue de ce pays avec l’Aiea. Téhéran n’a pas rejeté le «plan Lavrov», mais ne peut non plus annoncer son acceptation dans le contexte actuel marqué par les menaces. Lors de son récent séjour à Moscou, M. Ali Bagheri, secrétaire adjoint du Conseil suprême de sécurité nationale, a déclaré avoir évoqué avec des responsables russes cette initiative qui fera l’objet d’une «étude détaillée» par Téhéran. Le président Obama a eu un entretien avec son homologue russe (et chinois) en marge du Sommet de l’Apec le dimanche 13 octobre, à Honolulu. Le programme nucléaire iranien a été évoqué. On sait que Washington, Moscou (et Pékin) sont d’accord sur l’objectif ultime: le respect par Téhéran de ses obligations internationales qui lui interdisent l’accès au nucléaire militaire, mais ils divergent sur les moyens d’y parvenir. L’initiative russe pourrait aider à mettre fin à une confrontation stérile et dangereuse en ouvrant à l’Iran une fenêtre d’opportunité afin de l’encourager à coopérer pour lever les ambigüités sur certains volets de son programme nucléaire: sites de production principalement de Natanz et de Fordo, ainsi que le réacteur de recherche IR-40 situé à Arak et les équipements à double usage susceptibles de servir à la production de matières fissiles militaires.

La non-prolifération victime de la politique

Certains voient dans la dramatisation actuelle de la situation le reflet de l’état des relations entre l’Iran et les Occidentaux; la politique de la «main tendue» d’Obama ayant fait long feu, on jette la carotte pour brandir le gourdin. Ce n’est pas la bonne solution. La non-prolifération nucléaire est la mission première de l’Aiea dont elle est le «chien de garde».

La promotion de celle-ci ne passe pas par l’affrontement, mais par le dialogue qui est la principale victime des sanctions et des menaces d’agression dont l’Iran est abreuvé depuis plusieurs années. Ces sanctions et menaces sont perçues comme des humiliations par un pays qui cherche à être reconnu et respecté comme une puissance régionale.

Le bras de fer entre l’Iran et l’Occident a un fondement essentiellement politique et non légal. Avec la Syrie aussi.

La Syrie aussi

La réunion du Conseil des gouverneurs de l’Aiea, les 17 et 18 novembre 2011, examinera aussi la mise en oeuvre de l’accord de garanties avec la Syrie (et la Corée du Nord). Cet examen interviendra dans un contexte particulier pour ce pays qui vient d’être privé de participation aux réunions de la Ligue des Etats arabes.

En 2007, l’aviation israélienne avait attaqué un objectif situé à Dair Alzour, supposé être un réacteur nucléaire en construction avec l’assistance de la Corée du Nord, mais présenté par Damas comme un site militaire non nucléaire. L’Aiea y a mené des inspections qui n’ont permis ni de confirmer ni d’infirmer l’existence d’une activité nucléaire. La Syrie est néanmoins pointée du doigt par le Conseil des gouverneurs de l’Aiea pour non-coopération. Depuis trois ans, elle refuse aux inspecteurs l’accès au site en question ainsi qu’à d’autres. -Ces derniers temps, Damas semble jeter du lest.

A la veille de la réunion du Conseil des gouverneurs de l’Aiea, certains milieux occidentaux essaient de charger davantage le dossier nucléaire syrien. Selon des nouvelles diffusées récemment par la presse (Associated Press), Damas aurait utilisé une installation inconnue à ce jour pour enrichir clandestinement de l’uranium. Cette installation, identifiée par Damas comme étant une usine de textile, se trouve à Al Hasakah, ville située dans la pointe nord-est de la Syrie.

Iran et Syrie, deux alliés que beaucoup rêvent de diviser et de domestiquer. Alors qu’il serait plus recommandé de mener une politique d’apaisement et de dialogue et d’envisager sérieusement l’instauration d’une Zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient, un projet soumis par l’Iran du Shah à l’ONU en 1974, toujours soutenu par la République islamique, mais qui se heurte au blocage d’Israël.