Nouvelles révélations sur le trafic de devises

Nouvelles révélations sur le trafic de devises

«Messaoud l’Euro» et son frère cadet ont été présentés hier devant le procureur de la République près le tribunal de Bir Mourad-Raïs. Le gérant du restaurant Tawfiq, sis à El Madania, est un «cambiste» connu dans le Tout-Alger et son restaurant est l’une des plaques tournantes du marché parallèle du change. Les gendarmes ont démantelé, au bout de la même rafle opérée le 3 octobre dernier, un réseau plus important à Hydra : le «cambiste» et ses deux frères mêlés à l’affaire de l’autoroute Est-Ouest.

Selon le chef de la section de recherche du groupement d’Alger de la Gendarmerie nationale, les membres des deux réseaux de «cambistes» se connaissent du fait qu’ils sont originaires de la même région : Jijel. Ils avaient des clients parmi les commerçants, les fonctionnaires de l’Etat et du personnel d’entreprises étrangères installées à Alger. Ils leur fournissaient des prestations allant du change au transfert, à travers des canaux occultes, de devises à l’étranger. Le cambiste impliqué dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest, condamné en novembre 2010 à 18 mois de prison ferme, et qui jouit de la liberté conditionnelle depuis plusieurs mois, récidive ainsi avant même de purger sa peine. Il a accumulé, avec ses deux frères, une grosse «fortune» grâce à ce commerce de devises. Un enrichissement illicite, conclut l’enquête, que leur activité commerciale «déclarée» ne le leur permet pas. Les frères ne paient que 6 000 DA/trimestre à l’administration fiscale… C’est qu’en plus de la fameuse supérette sise au 8, rue Zekkar à Hydra, qui fait office d’un «bureau de change», les trois frères gèrent des magasins à Sidi-Yahia où ils blanchissent l’argent gagné dans le trafic des devises. Et ils utilisent d’autres «sociétés écrans» pour mieux couvrir cette activité illicite. Plutôt des sociétés d’import-export qui n’importaient rien et n’exportaient rien non plus. La première a fait cinq opérations en trois ans, une deuxième en cessation d’activité depuis 2004 et une autre — un bureau meublé où siège une secrétaire payée à 45 000 DA par mois ! —, qui n’a réalisé aucune transaction. Ils activent également, révèle l’enquête, dans le commerce des véhicules et investissent dans la pierre. Les frères sont propriétaires de plusieurs villas dans des quartiers chics à Alger (Bir Mourad- Raïs et Draria) et disposent de comptes bancaires en France, à la Société Générale et à BNP Paribas. Ce commerce juteux échappe au fisc, grâce à la complicité de deux inspecteurs de la recette fiscale de Hydra. Ces derniers ont été présentés devant le procureur de la République pour abus de fonction.

On y vend toutes les monnaies du monde

La descente opérée par les gendarmes dans la supérette a permis la saisie, chez les deux frères arrêtés sur place, de 10 080 euros, 2 955 dollars américains, 2 300 livres sterling, 1 395 dollars canadiens, 1 520 francs suisses, 2 326 rials saoudiens, 2 500 dirhams marocains, 550 dinars tunisiens et 420 millions de centimes en monnaie nationale. Sur place, les gendarmes ont pu arrêter deux de leurs clients, un commerçant algérien en possession de 2 000 euros et un Turc, le représentant de la compagnie Turkish Airways en l’occurrence, dont le bureau se trouve au centre commercial et de loisirs de Bab Ezzouar, et qui est venu échanger des dinars contre 2 000 dollars américains. Le troisième frère n’a été arrêté que bien après. Il a été présenté hier en compagnie de ses deux frères et les deux clients, et ce, après huit jours de garde à vue. Ils devront répondre de plusieurs chefs d’inculpation pour avoir enfreint la réglementation sur le change et le transfert de capitaux, la constitution d’une association de malfaiteurs, blanchiment d’argent et autre fraude fiscale. Les gendarmes ont arrêté, au même moment, puisque trois groupes ont ciblé trois endroits différents, le gérant d’un bureau de tabac à Birkhadem (K. B.) ayant des liens directs avec les frères de Hydra et ont saisi une petite somme de différentes devises. De même, ils ont réussi à arrêter, en flagrant délit, B. S. (42 ans) dit «Messaoud l’Euro» et son frère B. T. (27 ans). De grosses sommes en devises (14 860 USD, 7 970 euros, 9 560 livres sterling, du dollar canadien, du franc suisse…) et un peu plus d’un milliard de centimes en monnaie nationale – produit des échanges réalisés dans cette même journée –, ont été saisies dans son restaurant. Messaoud l’Euro ne payait, néanmoins, que 26 000 DA par trimestre au fisc, grâce aussi à la complicité d’autres agents de l’administration fiscale. En tout, dix-sept personnes ont été présentées hier devant le procureur de la République près le tribunal de Bir Mourad-Raïs dans le cadre de cette affaire, cinq cambistes, leurs clients et quatre fonctionnaires.

L. H.

Blanchiment d’argent : mode d’emploi

La définition du blanchiment d’argent, selon la loi 05.01.2005 relative à la prévention et la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, c’est la conversion ou le transfert des biens dont l’auteur sait qu’ils sont le produit d’un crime, dans le but de dissimuler ou déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne impliquée dans l’infraction principale à la suite de laquelle, ces biens sont récupérés à échapper aux conséquences juridiques de ces actes.

a) Origine du terme blanchiment

L’expression (blanchiment d’argent) viendrait des Etats-Unis ; le blanchiment d’argent se faisait par l’achat de blanchisseries, dans lesquelles était écoulés le produit du crime. En 1928, à Chicago, Al Capone racheta une chaîne de blanchisseries. Cette façade légale permettait, ainsi, à Al Capone de recycler les ressources tirées de ses nombreuses activités illicites. L’arrestation d’Al Capone pour fraude fiscale et non pour le blanchiment d’argent montre l’importance et la difficulté du blanchiment d’argent dans les organisations criminelles. Le mafioso Lucky Luciano et son bras droit Meyer Lansky comprirent dès 1932 l’importance d’inventer de nouvelle techniques de blanchiment d’argent, notamment grâce au réseau d’îles politiquement indépendantes dites : pays off-shore.

b) Le champ d’application du délit du blanchiment

Il vise toute facilitation de la justification mensongère, de l’origine criminelle ou délictueuse des fonds et toute aide à une opération de placement et de dissimulation ou de conversion du produit d’un crime ou d’un délit.

Exemple (vente sans facturation).

c) Liste des activités illicites

• Les pots-de-vin (corruption)

• La contrefaçon de monnaie

• Le trafic de stupéfiants

• L’espionnage

• L’extorsion

• La fraude fiscale

• Le meurtre

• Les rapts

• L’escroquerie

• Les ventes illégales d’armes

• La contrebande

• Le trafic d’êtres humains

• La fraude informatique.

Toutes ces activités permettent de dégager des bénéfices importants, ce qui incite les délinquants à légitimer ces gains mal acquis grâce au blanchiment de capitaux.

d) Phase de blanchiment

• Le placement (prélavage) le blanchisseur introduit ses bénéfices illégaux dans le système financier en fractionnant de fortes quantités d’espèce pour obtenir des sommes plus petites et moins suspectes. Ils sont alors déposés directement sur un compte bancaire ou se procurant divers instruments de paiement (chèques, virement) qui sont ensuite collectés et déposés sur des comptes en d’autres lieux.)

• L’empilement (lavage) : le blanchisseur entreprend une série de transactions financières complexes destinées à éloigner les fonds de leurs sources. Par exemple, ceux qui ont de grosses sommes à blanchir créent des entreprises fictives dans des pays qui sont réputés soit pour avoir des lois strictes en matière de secret bancaire, soit pour appliquer avec laxisme celles qui régissent le blanchiment.

• L’intégration : le blanchisseur investit les fonds dans des activités économiques légitimes, effectuent des investissements commerciaux : l’acquisition d’immeubles ou l’achat de produits de luxe.

e) Comment blanchit-on ?

Trois méthodes qui sont : 1) Le maquillage : présenter directement l’argent sale comme un gain licite. 2) Le déguisement : attribuer le gain illicite à une opération licite.

3) L’amalgame : intégrer le gain illicite dans une activité légale.

f) Qui blanchit ?

Petit délinquant : son but de dissimuler l’origine des fonds (maquillage). Malfaiteur sans activité légale : son but légaliser des fonds d’origine illicite (déguisement). Organisation en réseau (mafia) : son but occulter totalement l’origine illicite des fonds (amalgame).

g) Création de la CTRF

Le décret exécutif n° 12-127 du 11 avril 2002 portant création, organisation et fonctionnement de la cellule du renseignement financier, par abréviation CTRF. La CTRF, chargée de lutter contre le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux, a pour mission notamment : Recevoir des déclarations de soupçons relatifs à toute opération de financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux qui lui sont transmises par les organismes et les personnes désignés par la loi. De traiter les déclarations de soupçon De transmettre les dossiers correspondant au procureur de la République De proposer tout texte législatif, réglementaire ayant pour objet la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. De mettre en place les procédures nécessaires à la prévention et la détection de toutes formes de financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux. Peut faire appel à toute personne qu’elle juge qualifiée pour l’assister dans l’accomplissement de ses missions. Elle échange des informations en sa possession avec d’autres organismes tels que le GAFI (Groupe d’action financier sur le blanchiment de capitaux). C’est un organisme intergouvernemental créé au sommet du G7 à Paris en 1989, en réponse à des préoccupations au sujet du blanchiment d’argent, qui a publié les 40 recommandations, ainsi qu’avec l’organisation régionale arabe de lutte contre le blanchiment de capitaux, MENA FATF.

Conclusion

Le blanchiment d’argent est le fléau contre lequel les banques sont mobilisées, parce qu’elles sont les premières victimes de l’utilisation des circuits financiers. Il faut situer l’ampleur du phénomène, en termes de chiffres qui se situent suivant l’évaluation du FMI entre 1 500 et 2 000 milliards de dollars. Le blanchiment de capitaux est un phénomène mondial récent mais dont l’origine remonte aux années 1920. La globalisation des marchés financiers, les nouvelles techniques de l’information, la culture du secret bancaire et le redéploiement des grandes organisations criminelles sont autant de facteurs de vulnérabilité.

Fateh Bouchène