Pour nos écrivains ceux-ci ont du mal à admettre qu’ils continuent de vivre un malaise par rapport à la langue d’écriture.
Les nouveaux écrivains soutiennent au détour de leur discours qu’ils écrivent en langue « algérienne » arguant du fait que leur texte comporte un langage qui emprunte à l’arabe algérien et à tamazight (berbère).
Faut-il prendre au mot les écrivains qui plus est lorsqu’ils parlent de leurs propres œuvres ? En effet lorsqu’on les questionne sur leurs écrits, ils ont tendance à les présenter selon leur convenance, se refusant souvent de les voir figurer dans telle catégorie de la littérature, en se montrant prêt à « dégainer » pour faire valoir leur opinion. Bien sûr il est légitime qu’un écrivain défende comme il l’entend sa conception de l’écriture, et c’est la raison pour laquelle l’opinion qu’il se fait sur sa propre œuvre se heurte fatalement à celle de la critique littéraire universitaire.
Il reste bien entendu que la critique journalistique est sujette à caution dès lors qu’elle se fait sur une base intuitive qui mobilise la subjectivité du journaliste. Il est rare qu’un écrivain se fasse critique – au vrai sens du terme – de sa propre œuvre, à notre connaissance, jusqu’à l’heure actuelle, seule Assia Djebar s’est exercée à cette périlleuse entreprise en ayant soutenu une thèse sur ses propres écrits.
La critique universitaire est dotée d’outils d’analyse qui sont qualifiés de « scientifiques » de sorte, qu’en les maniant, on aboutirait grosso modo aux mêmes conclusions quelle que soit l’identité de celle ou celui qui en fera usage. S’agissant du roman par exemple des axes de réflexion classiques ont été dégagés à l’effet de l’analyser, notamment ceux relatifs à l’étude de l’espace, du temps et des personnages.
On fera une interprétation des événements fictionnels en fonction de l’organisation de l’espace, on essayera de décrire ces espaces de la fiction, voir si les événements qui s’y déroulent ont pour théâtre des lieux fermés (intérieurs de maisons, châteaux, grottes, etc.) ou ouverts (rues, forêts, terrains de plein air, etc.). L’analyse du temps de la fiction permet aussi de fournir des clés précieuses pour l’interprétation. Selon que le récit est linéaire ou cyclique, prospectif ou rétrospectif, on peut le classer dans la catégorie du roman classique ou moderne. L’étude des personnages complète l’explicitation.
On étudiera les caractéristiques morales et physiques des uns et des autres et leur positionnement respectif par rapport au personnage principal (le héros ou l’héroïne) en déterminant qui aide et qui s’oppose à la quête de ce dernier. Ce que permet de révéler le schéma actantiel. Toute cette construction théorique universitaire (étude de l’espace, du temps et des personnages) demande à noircir plus d’une centaine de pages.
Alors il faut comprendre pourquoi la critique journalistique qui prend souvent le quart d’une page d’un journal ou une page au maximum ne peut être qu’une critique complètement rachitique. Pour revenir à nos écrivains, il faut dire que ceux-ci ont du mal à admettre, et le constat vaut surtout pour les écrivains francophones, (peut-être dans une moindre mesure pour les écrivains arabophones) qui continuent de vivre un malaise par rapport à la langue d’écriture.
Les nouveaux écrivains soutiennent au détour de leur discours qu’ils écrivent en langue « algérienne » arguant du fait que leur texte comporte un langage qui emprunte à l’arabe algérien et à tamazight (berbère). Or la critique universitaire a déjà répertorié ce type d’écrits – (l’introduction de la langue maternelle dans le texte français) comme des écrits qui trahissent précisément des soucis inhérents à la langue d’écriture.
N’ayant pas résolue la question de la langue, l’écrivain recourt à un langage spécifique qui le « démarquerait » de la langue française et en même temps lui permet de s’en approprier, de la rendre sienne en la soumettant à l’étrangeté d’une expressivité qui lui est propre.
Cette étrangeté de la langue que la critique a cru au début être une spécificité de la littérature francophone est parfaitement perceptible dans la littérature algérienne d’expression arabophone. Les romans écrits en arabe investissent de plus en plus l’arabe dialectal et leurs auteurs se montrent très intéressés par la culture et le folklore populaires, rejoignant en cela, leurs homologues francophones, notamment ceux qui revendiquent l’identité berbère.
On a en mémoire cette réflexion de Tassadit Yacine qui, à propos du fossé séparant les intellectuels francisants des arabisants de la première génération, avait relevé que les premiers ont accordé beaucoup d’intérêt à la culture populaire à l’opposé des seconds qui l’ont totalement occultée. Il est donc intéressant de noter ce rapprochement entre les écrivains des deux langues qui cette fois-ci semblent s’accorder sur un fond commun en dépit du fait qu’ils continuent en apparence de cultiver des différences.