Le ministre des Finances, M. Karim Djoudi, a annoncé, hier, la création d’un « service d’investigation fiscale », indépendant de l’administration des finances, chargé de contrôler les fortunes. Cette structure, dont les contours sont mal définis, suscite interrogations et scepticisme.
Confronté à une brutale irruption des dossiers de corruption, le gouvernement a tenté d’y répondre, de manière très maladroite, en annonçant la création imminente d’un nouveau service «d’investigation fiscale» qui aurait pour mission de contrôler les fortunes, un peu à la manière du fameux slogan «d’où tiens-tu cela ?»
Dimanche, en marge de l’adoption de la loi de finances 2012 par l’Assemblée nationale, M. Karim Djoudi, ministre des Finances, a, en effet, annoncé la création de cet organisme qui serait indépendant de la direction des impôts, mais dont il pourrait utiliser la logistique. Ce service jouerait le rôle de «déclencheur » en vue d’assurer un meilleur contrôle des fortunes, selon M. Djoudi dont les propos sont rapportés par l’APS.
Il agira «plus fortement sur les signes extérieurs de richesse», a-t-il dit. «Des brigades rattachées directement au ministère des Finances et qui s’adresseront directement aux contribuables », seront créées «dans les plus brefs délais, d’ici à la fin de l’année », a déclaré M. Djoudi, qui a reconnu que les fortunes échappent largement à l’impôt.
Leur part est «insignifiante» dans les recettes fiscales, a-t-il dit. Le ministre des Finances a fait cette annonce alors que la presse a ressorti des dossiers de corruption portant sur des sommes importantes, impliquant de hauts responsables, dont des ministres.
Le journal El-Djazaïr News a ainsi publié une série d’articles mettant nommément en cause l’ancien Premier ministre et patron du FLN, Abdelaziz Belkhadem, et le ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, ainsi que des hauts fonctionnaires et des patrons d’entreprises algériennes. Le journal cite également, en publiant leurs photos, des représentants d’entreprises étrangères qui auraient versé des pots-de-vin.
M. Amar Ghoul, qui vient de créer un nouveau parti, TAJ (Rassemblement, Espoir, Algérie), s’est fait inviter samedi soir dans une émission de la chaîne de télévision Nahar TV pour réfuter des accusations de prévarication qui auraient accompagné l’énorme contrat de l’autoroute Est-Ouest.
Des contrats portant sur des infrastructures routières, des barrages, des lignes de tramway auraient donné lieu au versement de commissions, selon le journal. L’annonce de M. Djoudi a été accueillie avec scepticisme.
L’économiste Mourad Goumiri note que cette nouvelle structure est «mal définie dans ses motivations, dans sa consistance comme dans ses objectifs ». Ainsi créée, ex nihilo, elle risque de se transformer en un «bâton caché qui sera utilisé pour rappeler à l’ordre quiconque veut faire preuve de velléités d’indépendance », dit-il.
Il note également qu’il est préférable de faire fonctionner les institutions qui existent déjà, plutôt que d’en inventer de nouvelles qui ne fonctionneront pas. En plus de l’administration fiscale, cohabitent en Algérie un observatoire de lutte contre la corruption et divers organismes demeurés totalement impuissants face à l’extension du phénomène.
La publication d’informations portant des noms, des montants bien précis, des contrats, des dates et des lieux ne suffit pas pour déclencher une action judiciaire. Par ailleurs, M. Djoudi a fait preuve d’une précipitation qui risque d’enlever tout crédit à cette annonce.
Il a affirmé espérer que le nouvel organisme sera opérationnel avant la fin de l’année, alors que le texte portant sur sa création serait en préparation au secrétariat général du gouvernement.
Or, «il est impossible de créer un service de cette envergure d’ici la fin de l’année », estime un juriste. Pour ce spécialiste du droit des affaires, «l’administration algérienne est si lourde, si bureaucratisée qu’elle ne peut donner naissance à une telle structure dans des délais rapides».
«A moins, dit-il, que les objectifs ne soient différents et qu’elle ne soit chargée de régler des dossiers ponctuels bien précis». Karim Mahmoudi, président de la l’Association des financiers et comptables, est encore plus tranché. «C’est de la pure démagogie», dit-il.
«Les institutions pour lutter contre la corruption existent. Il suffit de les laisser faire leur travail», ajoute-t-il, affirmant que le ministère des Finances «n’a ni les moyens politiques, ni humains, ni matériels» pour créer une telle institution.
Abed Charef