Trois nouvelles télévisions algériennes seront bientôt lancées sur le satellite Nil Sat
L’Expression a pu se procurer la première mouture de l’avant-projet de loi relatif au secteur de l’audiovisuel qui attend de passer devant le gouvernement, puis devant les députés.
Le ministre de la Communication, Mohamed Saïd, a annoncé que le projet de loi sur l’audiovisuel pourrait être présenté au Parlement lors de sa prochaine session, en juin prochain. L’annonce est de taille au moment où trois nouvelles télévisions algériennes seront bientôt lancées sur le satellite Nile Sat, L’Expression a pu se procurer la première monture de l’avant-projet de loi relatif au secteur de l’audiovisuel qui attend de passer devant le gouvernement, puis devant les députés.
Depuis l’annonce de l’ouverture audiovisuelle par le gouvernement, en mai 2011, plusieurs moutures ont été préparées par les deux derniers ministres en charge du dossier: Nacer Mehal et Mohamed Saïd. Cette dernière mouture est le fruit de travaux et de débats entre professionnels de l’audiovisuel auquels étaient associés le directeur général de l’Eptv, le directeur du TDA, le directeur de l’Enrs et certains conseillers spécialisés dans le domaine de l’audiovisuel. A cela s’ajoutent les conseils précieux d’Hervé Bourges, l’ancien patron du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) qui était l’invité d’honneur du ministre de la Communi-cation lors du séminaire sur l’audiovisuel qui a été organisé en début du mois de décembre. Les deux dernières moutures du texte qui ont été proposées au Premier ministre Sellal lors d’une réunion interministérielle vers la fin de janvier, ont été rédigées en décembre 2012 et
la dernière en janvier 2013.
93 articles sanctionnent cette dernière mouture de l’avant-projet de loi sur l’audiovisuel.
Elle fixe les modalités de création d’une télévision privée, elle définit l’autorité de régulation de l’audiovisuel et fixe sa composition, mais surtout fixe les conditions d’utilisation de l’agrément d’une chaîne de télévision privée et enfin précise les sanctions administratives relatives aux personnes morales qui ne respectent pas les règles de l’autorité de régulation.
L’Autorité supérieure de l’audiovisuel (ASA)
Si les deux textes se sont inspirés en grande partie des textes de l’audiovisuel français et des textes du CSA (Conseil supérieur français), proposé par Hervé Bourges lors de sa récente visite, des modifications ont été portées sur deux parties importantes du texte: les conditions d’utilisation d’agrément d’une télévision privée et la constitution des membres de l’autorité de régulation de l’audiovisuel algérien. Une autorité qui aura une autre appellation que le modèle français ou marocain. Le texte, lui, a fixé un nom comme «l’Autorité supérieure de l’audiovisuel» (ASA).
Dans la version de décembre 2012, la composition des
membres de cet organisme qui est censé distribuer les agréments pour les télévisions privées, était fixée à neuf membres. Trois membres nommés par le président de la République, dont le président de l’autorité, trois membres, non parlementaire désignés par le président de l’APN et trois membres non parlementaires nommés par le président du Conseil de la nation. Le mandat de cette équipe est fixé à six ans non renouvelables mais 1/3 de la composante sera remanié tous les deux ans, selon le décret présidentiel.
Dans le texte de janvier 2013, cette disposition est modifiée. La composante passe de neuf membres à 11 membres, cinq membres nommés par le président de la République, deux membres désignés par le président de l’APN, deux membres désignés par le président du Conseil de la Nation, et enfin (et c’est une première), deux nouveaux membres seront choisis par le président du Conseil constitutionnel.
Cette dernière disposition n’existe pas dans les textes internationaux et le Conseil constitutionnel de par sa position d’arbitre juridique de l’Etat n’est pas habilité à participer à des composantes dans d’autres secteurs. L’autre modification apportée dans cette dernière version du texte de loi, c’est la durée du mandat des membres de l’autorité. Elle est passée d’un mandat de six ans non renouvelable à un mandat de quatre ans renouvelable une fois et aucun membre n’est remplacé durant tout ce mandat. Autrement dit, on garde la même composante durant huit ans, ce qui est une entrave à la transition démocratique dans ce genre de domaine qui est souvent en constante évolution. Il pose problème également sur le plan politique si le président de cette autorité n’est pas du même bord que le président de la République.
Le cas s’est posé dans des pays qui ont une tradition démocratique, comme en France quand le président Sarkozy est parti, le président Hollande a très vite changé la composante du CSA malgré sa légitimité et cela pour faciliter les changements voulus dans le paysage audiovisuel.
L’autre point sensible qui fera sûrement débat, concerne les modalités d’acquisition d’un agrément d’une télévision privée. Dans l’article 73 du texte rédigé en décembre 2012, les conditions d’acquisition de l’agrément d’une chaîne de télévision privée indiquent qu’il n’est pas autorisé à un propriétaire et aux membres de sa famille d’avoir plus que 49% des parts dans la chaîne. Dans le texte de janvier 2013, ce pourcentage est revu à la baisse et est fixé à 30%. Selon certaines sources, ce point a été largement débattu et a été modifié sur les conseils de Bourges, qui avait déjà dirigé TF1, la première télévision publique française privatisée, le 15 avril 1987 et dont l’actionnaire principal est le groupe Bouygues à seulement 42,93%. La Société télévision française 1 (TF1) est aujourd’hui une Société anonyme détenue à 100% par le groupe TF1 SA, filiale à 42,93% de Bouygues, à 5,09% de la Société générale, à 4,30% des salariés, à 35,35% du public dont 0,01% en autocontrôle et autodétention. C’est l’exemple de réussite de la privatisation audiovisuelle.
S’inspirant de ce modèle, cette ébauche signifie qu’aucune entreprise familiale algérienne ne peut avoir la majorité dans une chaîne de télévision en Algérie. Ce problème risque de se poser pour le groupe Haddad, Mehri ou encore Rahim, qui ont toujours eu un contrôle familial sur toutes leurs entreprises. Mais aussi pour les télévisions actuelles qui possèdent un seul actionnaire: Ennahar TV et Echourouk TV. Cette mesure profite néanmoins à des sociétés qui ont plusieurs associés comme c’est le cas dans certains groupes de presse, comme El Khabar, El Watan ou encore le Quotidien d’Oran. Mais il n’est pas exclu aussi de voir un capital public s’associer au privé pour créer une télévision, comme c’est le cas de la 2M marocaine.
L’agrément accordé possède également une durée, puisque dans l’article 52, l’autorisation est fixée à 10 ans pour les télévisions et 5 ans pour les radios. Une mesure qui risque également de créer débat puisque dans le monde, il n’y a pas de limite dans l’acquisition d’un agrément d’une télévision, mais simplement un renouvellement de dossier après avoir présenté un bilan financier et moral..
Le contenu des programmes
Ce «brouillon» du texte de loi sur l’audiovisuel fixe également le contenu des programmes diffusés par les télévisions algériennes. Il stipule dans l’article 77 que la production audiovisuelle doit comporter 60% de programmes nationaux, 20% de programmes doublés et seulement 20% de programmes s’exprimant en langue étrangère. Une mesure qui risque d’avoir un impact sur la qualité des programmes, puisque la production nationale souffre d’un grand problème de création.
Dans le volet des sanctions, là encore, le texte est sans ambages. Dans l’article 84, l’agrément est retiré à tout propriétaire qui ne respecte pas l’article 73, qui fixe le taux de participation dans le capital de lentreprise. Dans le cas de non-respect des conditions de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel, fixées par l’article 83, le propriétaire est soumis à une sanction financière qui s’élève entre 2 et 5% du chiffre d’affaires de l’activité de l’entreprise qui est active durant les 12 mois. Dans le cas de l’inexistence d’activité antérieure de la chaîne, le propriétaire devrait payer une amende qui ne dépasse pas les 2 millions de dinars.
Dans le cas où le propriétaire de la chaîne ne se soumet pas à ses sanctions, l’ASA (Autorité supérieure de l’audiovisuel), pourra suspendre partiellement ou totalement la chaîne. L’ASA pourra également retirer l’agrément à toute télévision agréée qui menace l’ordre public, touche à la souveraineté du pays, à l’institution militaire ou à la sûreté de l’Etat. Il est clair que le texte de l’avant-projet de loi pour l’audiovisuel tente de poser les bases d’une juridiction qui vise à éviter tout dérapage en matière d’audiovisuel. La crainte de l’émergence d’un important groupe audiovisuel comme ce fut le cas dans la presse écrite est visible, d’où la fixation sur le taux de participation du propriétaire de la chaîne. Mais cela ne reste qu’un brouillon qui sera soumis à débat et à discussion et le ministre actuel de la Communication, Mohamed Saïd, qui était par la même occasion un ancien journaliste de la Télévision nationale, est conscient que la loi de l’audiovisuel, comme ce fut le cas pour la loi sur l’information, pourrait prendre beaucoup de temps pour trouver un consensus général et être adoptée à l’Assemblée.
Le ministre de la Communication a surtout insisté lors de sa récente intervention sur l’origine des financements des chaînes privées algériennes. Tous les moyens sont bons pour empêcher que des capitaux étrangers participent au lancement des télévisions algériennes. En attendant, les chaînes privées algériennes off-shore continuent d’émerger un peu partout dans le paysage audiovisuel arabe, en attendant la régulation officielle du paysage audiovisuel local.