Nouvelle Constitution en Algérie : entre « avancée démocratique » et « occasion ratée »

Nouvelle Constitution en Algérie : entre « avancée démocratique » et « occasion ratée »

L’Algérie a adopté dimanche une nouvelle Constitution, la troisième sous l’ère Bouteflika. Si le pouvoir estime que le texte va accélérer la démocratisation du pays, l’opposition et la société civile restent circonspectes. Interview.

Le Parlement algérien a adopté dimanche une réforme de la Constitution. Annoncé en 2011 au lendemain des révolutions arabes et présenté comme l’un des derniers chantiers du présidentAbdelaziz Bouteflika, le texte final de la nouvelle Constitution algérienne aura nécessité quatre ans de travail.

Cette nouvelle Constitution signe-t-elle vraiment, comme le clame le chef de l’État algérien, « la démocratisation de la vie politique » ? Éclairage d’Hassan Moali, directeur de la rédaction du quotidienLe temps d’Algérie.

France 24 : Que change concrètement cette nouvelle Constitution ?

Hassan Moali : Il y a un dicton populaire qui dit : « Chaque président se taille une Constitution à sa mesure » et personne n’est dupe : Bouteflika s’est taillé une constitution sur-mesure. Cela dit, la nouvelle Constitution apporte des avancées démocratiques indiscutables comme la consécration de la langue amazighe [berbère] et le soutien aux entreprises privées, qui représente une certaine ouverture économique.

LG Algérie
La nouvelle Constitution apporte des avancées démocratiques indiscutables.

Sans parler de la suppression du délit de presse [qui condamnait les infractions « d’outrage, injure ou diffamation » commises par une publication, NDLR] ou du retour à deux mandats présidentiels qui consacre l’alternance des pouvoirs. Il faut néanmoins rappeler que cette disposition existait déjà dans la Constitution, comme la majorité des dispositions progressistes d’ailleurs ! Elles avaient été plombées par Bouteflika lui-même avec les amendements de 2008.

La révision de la Constitution a été approuvée à 499 voix contre 2 (et 16 absentions). Est-elle pour autant aussi « consensuelle » que l’affirme Abdelaziz Bouteflika ?

Le président de la République a conçu cette Constitution comme étant « consensuelle ». Mais les partis de l’opposition n’ont pas participé aux consultations. Mis à part les partis qui forment la coalition présidentielle (FLN, RND, MPA, TAJ) et le parti des travailleurs – devenue la caution « d’ouverture » du gouvernement – la majorité des formations politiques ont boycotté ces consultations. C’est donc une Constitution qui n’a pas fait l’objet de débats qui a été présentée devant le Parlement. La notion de « consensuel » en prend un coup.

L’opposition dénonce la manière dont cette révision a été mise en œuvre : « en solo ».

L’adoption de cette nouvelle Constitution, considérée comme un jour historique pour le pouvoir, a été une journée noire pour l’opposition. Pour elle, ce n’est ni plus ni moins que la « dictature de la majorité ». Le Parlement est dominé par deux partis acquis au pouvoir qui pouvaient de toute façon faire passer le projet sans le soutien des petits partis. L’opposition dénonce la manière dont cette révision a été mise en œuvre : « en solo ». Après, elle reconnaît aussi qu’il y a des dispositions positives…

Au-delà de l’opposition politique, que pense la société civile de cette réforme ?

Les Algériens ne pensent pas qu’un énième changement constitutionnel soit ce dont ils ont besoin. Bouteflika a déjà changé trois fois de Constitution alors on entend beaucoup dans la rue : « C’est encore du bluff, ça ne va rien changer ». C’est l’impression générale et cela ne date pas d’hier. Cela fait un bout de temps que les Algériens ont divorcé de la politique, ils ne votent plus si ce n’est pour les élections locales. Aux législatives de 2012, il y a eu 65 % d’abstention…

Les Algériens ont divorcé de la politique.

Les Algériens pensent qu’il faut surtout appliquer les lois et en finir avec la corruption ! L’Algérie a un dispositif législatif républicain solide mais un problème de mise en pratique des lois. Là, un arsenal de lois va suivre : c’est un véritable chantier législatif qui s’ouvre. À défaut d’avoir participé aux consultations préliminaires, l’opposition doit absolument participer à la mise en pratique des lois, sinon le pouvoir en ressortira affaibli. C’est en ouvrant le débat que les Algériens se réconcilieront avec la politique.

Parmi les points de la nouvelle Constitution, la disposition barrant aux binationaux l’accès aux hautes fonctions a particulièrement fait polémique…

Le débat a en effet été très virulent. Les quatre à cinq millions d’Algériens de France notamment sont extrêmement déçus. Beaucoup ont participé à la guerre de libération du pays et même s’ils ne vivent pas en France, ils votent et participent à la vie démocratique du pays. Cette disposition est un non-sens : comment peut-on avoir des joueurs binationaux dans l’équipe algérienne de football qui défendent les couleurs du pays et pas de binationaux dans les hauts postes ? D’autant que jusqu’à maintenant, il y a toujours eu des ministres à double, voire triple nationalité. Et soudainement, c’est fini en 2016 !

Les binationaux franco-algériens sont à la fois rejetés en France et en Algérie, c’est un peu comme s’ils se retrouvaient apatrides.

La question est d’autant plus douloureuse qu’elle fait écho à la déchéance de nationalité en France : les binationaux franco-algériens sont à la fois rejetés en France et en Algérie, c’est un peu comme s’ils se retrouvaient apatrides. La polémique n’a pas fini d’enfler.

Est-ce le début d’une « nouvelle ère » en Algérie, comme le clame le président du Parlement, Abdelkader Bensalah ?

C’est un petit pas vers la démocratie, certes, mais on pouvait mieux faire. On avait l’opportunité de projeter l’Algérie vers un modèle démocratique et de faire aboutir 20 ans de lutte politique, mais c’est une occasion ratée. En même temps, l’ancienne génération ne pouvait pas faire plus. Qu’attendre d’hommes politiques octogénaires, au pouvoir pour certains depuis 1962 ? Ils ne veulent pas lâcher les rênes !

Il est temps de passer le pouvoir aux jeunes !

Dans un dicton populaire, on dit que « celui qui a fait son temps n’a pas le droit de profiter du temps des autres »…et c’est pourtant ce qu’il se passe en politique en Algérie. C’est un pays où une population, composée à 75 % de jeunes, est dirigée par une gérontocratie. Il est temps de passer le pouvoir aux jeunes !