Nouveau projet d’Internet incontrôlable : Son nom est personne

Nouveau projet d’Internet incontrôlable : Son nom est personne

Les partisans d’un Internet libre, échappant à tout contrôle, se réjouissent du nouveau projet Commotion, soutenu notamment par le gouvernement américain, visant à la mise en place de réseaux d’échanges de fichiers, sans infrastructures, donc sans aucune possibilité de contrôle.

Juste une clé USB, un logiciel à installer et le réseau se met en marche, anonymement, sur des fréquences WiFi, sans recours à aucune infrastructure filaire ou sans fil. Dévoilé en juin dernier par le New York Times, le projet financé à hauteur de 2 millions de dollars par le département d’État américain, et soutenu par l’Open Technology Initiative, une association militant pour le développement des logiciels et communications libres, pour un budget annuel de 2,3 millions de dollars, Commotion Wireless permet de créer un réseau sécurisé autonome et anonyme en s’appuyant sur les ondes WiFi. Il est dirigé par Sascha Meinrath, 37 ans, militant de longue date de l’Internet libre et précurseur des réseaux citoyens – au sein du collectif de journalistes en ligne Indymedia, puis à l’université d’Urbana-Champaign (Illinois), un des berceaux du logiciel libre, et dans diverses start-up et ONG d’action sociale : « J’ai bricolé mon premier réseau autonome il y a dix ans. Les antennes étaient faites avec des boîtes de conserve. » Depuis ces temps héroïques, Sascha Meinrath a fait du chemin.

« En juillet, raconte Sascha Meinrath, une équipe de hackers en camionnette a monté un réseau éphémère, couvrant une zone de 60 km sur 30, à cheval sur l’Autriche, la Croatie et la Slovénie. C’est la preuve qu’on peut fournir une connexion Internet à toute une zone frontalière, sans être physiquement présent dans le pays. » Dans sa version actuelle, Commotion est un projet très officiel. Il est hébergé et financé par l’Open Technology Initiative (OTI), département high-tech de la New America Foundation, organisme prestigieux consacré à l’étude des grands problèmes de la société américaine, et présidé par Eric Schmidt, l’un des patrons de Google.

Commotion pourra notamment permettre aux dissidents de continuer à publier des appels à la manifestation sur Facebook en toute sécurité, même si le régime coupe l’accès à Internet dans le pays. Des développeurs américains soutenus par le gouvernement travaillent au projet Commotion, qui permet de créer un réseau sans fil gratuit parallèle à Internet, sans contrôle étatique possible. Permettre à des dissidents politiques de communiquer entre eux sans utiliser les infrastructures Internet de leur pays, tel est le but premier du projet américain Commotion Wireless.

Certains considèrent que Commotion est à Internet ce que le talkie walkie est au réseau téléphonique. Le talkie walkie permet à deux appareils de communiquer et de partager des données (en l’occurrence de la voix) en passant par les ondes radio, et non par le réseau filaire ou mobile classique. D’autres le comparent grossièrement au système Bluetooth, qui permet à deux appareils compatibles (des téléphones portables par exemple) d’échanger des fichiers, comme une photo ou une vidéo. Le logiciel Commotion permet à des appareils équipés de cartes WiFi, comme un smartphone ou des ordinateurs (fixes et portables), d’échanger des données en passant par les ondes WiFi.

Chaque appareil se transforme en mini-antenne relais, qui permet de former un réseau maillant un territoire de plus en plus grand. Tout comme les ordinateurs d’une même entreprise peuvent s’échanger des fichiers de travail grâce au réseau interne, les appareils reliés au réseau Commotion pourront s’échanger facilement des données, et ce sans transiter par les infrastructures Internet de leur pays.

De plus, si un utilisateur de Commotion dispose d’un accès à Internet, il pourra partager sa connexion avec son réseau. Imaginons une zone où l’accès à Internet est impossible (pas d’infrastructures, ou accès coupé par les autorités). Si un membre du réseau a accès à Internet dans une autre zone du pays, ou habite dans une zone frontalière, il pourra partager sa connexion Internet avec les autres utilisateurs de Commotion.

Ainsi, la zone jusque-là blanche (c’est-à-dire non-reliée à Internet) aura accès au web. Mais une telle technologie sans sécurité ne servirait à rien, sinon à mettre en danger leurs utilisateurs. Sascha Meinrath, qui dirige le projet, explique au Monde que plusieurs militants du printemps arabe l’ont contacté pour utiliser Commotion. «Nous essayons de les en dissuader.

C’est trop tôt, il n’est pas sécurisé, ce serait risqué de s’en servir contre un régime répressif», explique-t-il. Pour rendre les communications intraçables par les autorités, les développeurs vont intégrer la technologie TOR (The Onion Router), inventée par une bande de hackers allemands et américains pour circuler sur Internet en évitant d’être repérés.

TOR a notamment été utilisé pour protéger les communications du site WikiLeaks–qui a divulgué en 2010 des masses de documents secrets appartenant au gouvernement des Etats-Unis.

L’un des créateurs de TOR, l’Américain Jacob Appelbaum, fut un temps très proche de l’équipe de WikiLeaks. A deux reprises, en 2010, il a été arrêté par la police américaine, qui l’a interrogé sur ses activités au sein de WikiLeaks et a saisi ses téléphones et ses ordinateurs. Cette technologie est notamment utilisée en Iran par les dissidents.Sascha Meinrath estime que Commotion pourra être utilisable par le grand public d’ici fin 2012. Commotion a été principalement créé pour soutenir l’action des dissidents politiques dans les dictatures. Le réseau permet non seulement aux activistes de communiquer entre eux sans se faire repérer par le pouvoir, mais aussi de pouvoir pallier la coupure d’Internet ou du réseau téléphonique décrété par les autorités en cas de soulèvement. A supposer que, comme en Egypte, l’autorité politique décide de suspendre Internet et le réseau téléphonique pour faire face à la contestation. Les dissidents ne peuvent plus s’envoyer de mails, de SMS, envoyer des tweets, mettre en ligne des vidéos ou des billets de blog. Ils sont également coupés du reste du monde. Grâce à Commotion, les dissidents pourront continuer à communiquer entre eux avec ce réseau parallèle, avec suffisamment de puissance pour s’envoyer un email. Et si un membre du réseau habite dans un pays frontalier, il pourra partager sa connexion Internet avec les dissidents. Cette application explique le soutien du gouvernement américain à ce projet.

Tout comme les gouvernements américains successifs ont mis en place des radios libres (Voice of America, Radio Free Europe …) incitant à la révolte dans les pays autocratiques au cours des dernières décennies, Washington appuie désormais toutes les technologies permettant d’aider les dissidents à s’organiser par le biais d’Internet en contournant la censure officielle. Les États-Unis s’intéressent aussi à la technologie Commotion pour ses applications lors de situations d’urgence. Le logiciel permet d’installer facilement un réseau dans une zone de guerre, un territoire victime d’une catastrophe naturelle ayant détruit les infrastructures, ou n’importe qu’une zone qui n’est pas reliée à Internet.

Cela faciliterait beaucoup l’action des secours ou bien de l’armée sur des territoires étrangers. Les créateurs de Commotion souhaitent également que leur technologie bénéficie aux foyers défavorisés n’ayant pas les moyens de se payer un accès à Internet classique. Ils sont ainsi entrés en contacts avec des associations de quartier à Washington, Detroit, et dans une réserve indienne californienne, pour offrir aux habitants un accès à Internet gratuit. Mais cette initiative n’est pas vue d’un bon œil par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), qui craignent une remise en cause de leur monopole sur l’accès à la Toile.

«Si les gens se mettent à construire leurs propres réseaux, le business model des groupes de télécoms va s’effondrer. Il faut s’attendre à ce qu’ils contre-attaquent brutalement», affirme Sascha Meinrath au Monde.