Nouria Benghebrit, ministre de l’éducation nationale, à l’Expression : « Notre école ne brûlera pas! »

Nouria Benghebrit, ministre de l’éducation nationale, à l’Expression : « Notre école ne brûlera pas! »

D’abord pédagogue, ensuite très attentive aux questions qui renvoient aux luttes idéologiques autour de l’école, la ministre de l’Education nationale est prioritairement démocrate. Elle dit accepter le débat et le prouve dans l’entretien qu’elle nous a accordé.

L’Expression: A quelques jours de la fin de l’année scolaire 2017-2018, quel bilan en tirez-vous au plan pédagogique et dans l’organisation même de l’école?

Nouria Benghebrit: L’année scolaire 2017-2018 a été une année certes, un peu compliquée de par les perturbations qu’a connues le secteur encore une fois, mais très riche de par les productions, les outils de formation élaborés, le processus de modernisation qui prend de plus en plus d’envergure…

Nous étions sur plusieurs fronts: gestion des perturbations qui n’ont, fort heureusement, touché qu’un nombre réduit d’établissements scolaires, élaboration de référentiels et d’outils didactiques de remédiation pour la formation des formateurs sur la base d’un travail titanesque qui a été mené en amont, celui de l’identification des difficultés d’apprentissage chez les apprenants, pour que la formation ne soit pas juste formelle, théorique, mais qu’elle réponde exactement aux problèmes rencontrés sur le terrain.

Parce qu’après avoir établi le diagnostic (évaluations internes: deux conférences nationales, analyse d’erreurs, consultation nationale sur les pratiques d’évaluation + évaluation internationale Pisa), nous avons proposé des alternatives pédagogiques: Marwattt transcrit de l’arabe et qui signifie en français «Référentiel national de l’apprentissage, de l’évaluation et de la formation». C’est un travail formidable qui a été accompli par nos cadres qu’il me soit permis de remercier à travers cette tribune qui m’est offerte grâce à votre journal. Vous conviendrez avec moi que la formation ne peut se faire sans référentiels, sans outils de formation. C’est pourquoi, nous nous sommes acquittés, en priorité, de cette tâche complexe, mais tellement gratifiante. Au plan de la formation, il y a eu, aussi, tous ces efforts de récupération des instituts rétrocédés à d’autres ministères, que nous nous sommes efforcés de récupérer.

Et parce qu’une bonne gestion ne peut se faire, désormais, sans intégration des TIC, des efforts importants ont été également fournis afin de rendre opérationnels plus de modules dans notre Simen: système d’information du ministère de l’Education nationale avec l’espace scolarité, l’espace dédié aux fonctionnaires du secteur et l’espace parents, sans oublier bien évidemment la plate-forme de recrutement qui a donné des résultats très probants, ce qui est à même d’introduire plus de transparence, de fluidité et garantir davantage d’équité dans la gestion des dossiers.

Nous avons, également, oeuvré dans le sens de la promotion des activités péri et parascolaires afin que celles-ci servent les apprentissages, notamment des langages fondamentaux (écriture, lecture…) et pour que l’apprenant exprime toute sa palette de talents. C’est ainsi que nous avons lancé la 1ère édition du prix Aqlam Biladi, avec deux domaines d’écriture: les spécificités algériennes matérielles et immatérielles, c’est-à-dire le patrimoine historique, culturel, social et les anthologies littéraires scolaires qui sont des extraits d’ouvrages d’auteurs algériens dans les trois langues arabe, amazighe et langue étrangère. Les meilleurs ouvrages: poésie, récits, contes, scenarii pour pièces théâtrales… seront présentés à l’occasion de la 23ème édition du Salon international du livre d’Alger (Sila 2018). Vous savez, il n’est pas aisé de synthétiser, en quelques mots, tout ce qui a été mené par les fonctionnaires du secteur, chacun à son niveau d’intervention, durant cette année scolaire 2017-2018. Si je devais ne retenir qu’une chose de cette année qui vient de s’écouler, c’est cet engagement, cette mobilisation des fonctionnaires du secteur qui se sont rassemblés autour d’un projet ambitieux commun, celui de l’édification d’une école de qualité où la dimension d’algérianité trouve toute sa place car, nous ne devons développer aucun complexe: notre histoire est millénaire, notre patrimoine est riche et les Algériens ont beaucoup de talent.

L’un des objectifs que vous vous êtes fixés consiste en l’allongement de l’année scolaire de quelques semaines. Il semble que cela ne soit pas le cas cette année encore. Comment expliquez-vous cet état de fait?

Il faut souligner que le retour à la norme scolaire prendra du temps, car des habitudes ont été prises. Mais, nous pouvons avancer les explications suivantes: d’abord les perturbations qui sont au rendez-vous quasiment chaque année scolaire, puis la désertion des établissements par les élèves des classes d’examen, notamment ceux de terminale. La solution à la première cause serait l’opérationnalisation de la Charte d’éthique que nous avons signée avec nos partenaires sociaux et la moralisation du secteur tout en rétablissant la confiance et en consacrant la concertation et le dialogue permanent. Et les solutions à la 2ème pourraient être: la prise en compte du contrôle continu dans le calcul de la moyenne d’admission au bac sur deux années, à savoir la 2ème et la 3ème AS, l’amélioration de la qualité de l’enseignement dispensé et la dynamisation de l’école en en faisant un espace d’activités culturelles, de création…

Dans la pratique syndicale, les observateurs retiennent quelques comportements qui amènent à penser que des résistances à la politique du gouvernement en matière de réforme scolaire émanent de l’intérieur même de l’institution éducative. Quelle est votre commentaire?

Qu’il y ait des avis antinomiques sur des questions précises, parfois, est un signe de bonne santé. C’est un indicateur du degré de démocratie qui prévaut dans le secteur. Chacun exprime ses opinions et donne son avis en toute liberté, c’est une bonne chose en soi. D’ailleurs, nous avons toujours prôné le dialogue organisé avec nos différents partenaires sociaux. La concertation est un élément fondamental de la bonne gouvernance.

S’il y a des réticences suite à une mauvaise interprétation, une mauvaise lecture des mesures prises, à nous d’expliciter les tenants et les aboutissants de la politique tracée concernant tel ou tel point. A nous de dissiper tout malentendu, de convaincre. J’ai la conviction qu’à force d’arguments et d’échanges constructifs, nous pouvons toujours arriver à des alternatives partagées par le plus grand nombre. La signature de la Charte d’éthique avec huit syndicats sur 10 est la preuve concrète que nous pouvons nous associer pour l’intérêt de l’institution scolaire et de l’élève.

Des acteurs extérieurs au département que vous dirigez s’immiscent régulièrement dans vos missions et vous accusent de servir un agenda étranger. Quelle réponse leur faites-vous?

Je dirais, en toute franchise, que je comprends, tout à fait, que tout ce qui touche à l’école soit au coeur des débats et centralise l’attention de l’opinion publique. Il s’agit de l’avenir de générations entières. Je dirais même de l’avenir de tout un pays. C’est pourquoi, qu’il y ait un débat autour de l’école ne me dérange nullement. C’est une préoccupation légitime. Ce que je comprends moins, par contre, ce sont les accusations à tort et malintentionnées. La volonté des pouvoirs publics et du gouvernement dont j’en fais partie, est de réaliser le saut qualitatif que l’école algérienne mérite tant au regard des investissements consentis que du dévouement, de l’engagement de la ressource humaine qui exerce dans nos établissements scolaires que de l’intelligence de nos enfants. Maintenant, il est vrai que tout changement déstabilise surtout, ceux qui s’octroient la qualité d’être les gardiens du temple. Mais, j’ai la conviction que les efforts au travail sont toujours payants, même si le temps de l’éducation est un temps long et que les résultats des améliorations que nous introduisons, aujourd’hui, ne seront visibles qu’à long terme.

L’algérianisation du contenu littéraire dans les manuels scolaires aura été l’une des plus grandes batailles «politiques» de votre département. Peut-on dire qu’avec cet acte, vous êtes sur la voie pour soustraire l’école aux influences obscurantistes?

La réforme, introduite en 2003, et au fur et à mesure de sa mise en oeuvre, a nécessité un processus d’ajustement. Ainsi, et dans le cadre de la refonte pédagogique, une série de mesures a été introduite aux fins de renforcer la maîtrise des langages fondamentaux et faire acquérir à l’apprenant les compétences à même de lui permettre d’être compétitif et d’évoluer sans complexes en ce 3ème millénaire. Parmi ces mesures, il y a lieu de citer, notamment la réactualisation des programmes scolaires qui a révélé une indigence de textes d’auteurs algériens, particulièrement au primaire, ce qui ne sert nullement les apprentissages, étant entendu qu’un élève qui ne s’identifie pas à ce qu’il lit, à ce qu’on lui dispense comme littérature, comme culture et patrimoine, ne manifestera pas beaucoup d’enthousiasme.

D’où cette démarche entreprise par le ministère de l’Education nationale d’introduire une proportion plus importante d’auteurs, d’abord algériens, puis maghrébins, arabes, méditerranéens et du monde, dans un processus d’intégration graduel, allant de pair avec les spécificités de chaque cycle d’enseignement: primaire, moyen, secondaire. Mais, vous conviendrez avec moi que cette entreprise ne pouvait s’effectuer sans l’élaboration préalable d’anthologies littéraires scolaires.

C’est pourquoi nous avons tenu des rencontres avec les auteurs algériens, en présence de M.le ministre de la Culture, afin d’identifier les oeuvres littéraires que chaque apprenant algérien, citoyen de demain, doit connaître, et qui constitueront la base sur laquelle s’appuiera l’élaboration des anthologies littéraires algériennes.

Cet effort s’est poursuivi par l’organisation, en 2017, d’une université thématique algéro-tunisienne dans la perspective de l’élaboration d’une anthologie littéraire scolaire maghrébine. Nous nous devons d’accompagner l’apprenant vers sa construction identitaire littéraire. Nous devons être fiers de ce que nous sommes. Notre histoire est millénaire. C’est une immersion, en toute objectivité, dans cette longue histoire qui permettra à nos élèves de se construire un rapport paisible et rassuré à soi et à l’Autre.

Entretien réalisé par Said BOUCETTA et Ilhem TERKI