Pour ses admirateurs, elle est assimilée, à bien des égards, à la chancelière allemande, Angela Merkel, qui vient d’être classée pour la sixième année consécutive comme la femme la plus puissante du monde par le magazine économique américain Forbes. Mais pour ses détracteurs, elle devrait être débarquée au plus vite de l’exécutif, encore plus aujourd’hui qu’elle a échoué à organiser dans les meilleurs conditions l’examen du bac.
Jamais sans doute dans l’histoire des gouvernements, un ministre n’a suscité autant de controverses et d’intérêts que la ministre de l’éducation nationale, Nouria Benghebrit. Il ne se passe plus désormais un jour, notamment depuis l’éclatement du scandale des fuites des sujets pendant l’examen du bac, sans que des parties s’attaquent à elle ou lui expriment leur soutien. Sur les réseaux sociaux, c’est la ministre la plus commentée. Une page exprimant la solidarité avec elle a été même crée par des internautes. C’est que la femme ne laisse personne indifférent.
Mais pourquoi ce subit intérêt pour une femme arrivée pourtant, sur la pointe des pieds, au sein de l’exécutif et illustre inconnue pour le commun des algériens ? C’est sans conteste pour s’être attaquée, de façon audacieuse, à un secteur sensible, pris en otage et fond de commerce des forces islamo-conservatrices: le secteur de l’éducation. Qualifiée de « sinistrée » par le défunt président Mohamed Boudiaf, l’école algérienne, devenue au fil des ans une véritable fabrique de la médiocrité et de militants de l’intolérance et du conservatisme, avait besoin d’une thérapie de choc. Une réforme de fond en comble, d’abords pour la mettre au diapason des standards internationaux, mais aussi pour qu’elle devienne le lieu d’acquisition du savoir et des valeurs de citoyenneté, d’universalité et d’ouverture sur les autres.
Encore plus aujourd’hui que le pays sort laborieusement d’une guerre atroce contre les forces de la régression et de l’obscurantisme. Ce chantier titanesque auquel s’est attaquée, avec courage, notre ministre a, dés l’entame de ses fonctions, suscité des résistances parmi les poches du conservatisme qui infestent le secteur et relayées par des médias acquis à la cause. On commença d’abord par évoquer de prétendues origines judaïques de la ministre, puis on l’accusa de vouloir occidentaliser l’école, après l’organisation de séminaire sous la supervision d’experts français, et on l’a soupçonna de vouloir éliminer les sciences islamiques des examens. Et vint, enfin, ce scandale des fuites de sujets durant l’examen du bac et dont on peine à croire qu’il ne soit pas l’œuvre des mêmes milieux qui s’évertuent à avoir la tête de la ministre, quitte à porter atteinte à l’image du pays, à écorner la confiance de l’autorité de l’Etat et démoraliser les parents d’élèves, soucieux de l’avenir de leur progéniture.
A l’unisson, les partis islamistes et autres conservateurs, hostiles à toute réforme et au vent du changement, n’ont pas manqué d’appeler à la démission de la Ministre dès l’éclatement du scandale, comme s’ils s y étaient préparés. «Benghebrit a fait l’objet d’un complot parce qu’elle a été la première à engendrer un conflit idéologique en faisant appel à des experts français et partenaires étrangers pour confectionner et réformer les programmes éducatifs tout en privilégiant les langues étrangères au détriment de la langue arabe et de l’éducation islamique », a accusé Makri, le président du MSP, qui semble privilégier la thèse du complot qu’il justifie. Pour lui, Mme Benghebrit « est responsable de la suppression de quelques sourates et versets coraniques des nouveaux manuels scolaires et l’anéantissement de beaucoup de cadres du secteur porteurs d’un projet contradictoire au sien ». Pour sa part, Abdallah Djaballah, président du FJD, a accusé la ministre de vouloir «franciser » les programmes de l’éducation nationale après qu’elle eut fait appel à des experts français.
Reste que la ministre n’a pas seulement que des adversaires. Elle a aussi ses soutiens. A commencer par le gouvernement qui lui reconnait le mérite d’avoir réussi à éviter des grèves grâce à sa politique de dialogue avec les syndicats. Il ya aussi les syndicalistes qui voient en elle, dont le pédigrée est remarquable, celle qui peut sortir le secteur de son marasme, mais aussi des partis politiques et de nombreuses familles qui rêvent d’une école moderne, dépouillée des archaïsmes, se réappropriant les repères identitaires nationaux et ouverte sur le monde. Le secrétariat du PT a dans ce cadre dénoncé « les voix qui s’élèvent pour tenter de mettre en échec les efforts de la ministre qui visent à réformer, à algérianiser et à ouvrir notre système éducatif dans l’universalité ».
Si l’on ne peut objectivement exclure que la fuite des sujets, au-delà de l’objectif de déstabiliser la ministre, participe aussi de cette guerre feutrée en perspective de la succession, il faut bien en convenir que l’enjeu central des attaques contre Benghebrit est lié à une certaine perception du projet de société et à l’identité qui ne cadrent pas avec une vision rétrograde du pays. C’est pourquoi, elle dérange tant les milieux islamistes et conservateurs.