Noureddine Boukrouh a parlé en psychiatre, hier, lors de son passage au Forum de Liberté : “L’Algérie est sur une trajectoire qui mène vers la folie générale.” Le syndrome : le récent congrès du FLN, dont il avoue qu’il l’a “traumatisé”.
Il y avait de l’émotion mais aussi beaucoup d’humour, hier, au Forum de
Liberté. Usant de son ton habituel, Noureddine Boukrouh, qui était invité à s’exprimer sur l’actualité politique nationale, a commencé par ironiser : “Il faut qu’il y ait une actualité politique pour pouvoir en débattre.” Des éclats de rire dans la salle. L’invité du jour s’est gardé, dans un premier temps, de faire tout commentaire sérieux sur le récent congrès du FLN ou encore sur la succession en cours d’Ahmed Ouyahia à Abdelkader Bensalah aux commandes du RND. Noureddine Boukrouh, qui ne reconnaît pas à ces deux événements une quelconque reconfiguration de la carte politique du pays, estime qu’il s’agit simplement d’un jeu de cartes destiné à leurrer le peuple. “Il n’y a pas de carte politique en Algérie. Il y a une personne derrière le rideau qui tire des cartes usées. Ce sont les fantaisies et les humeurs souvent changeantes qui font la décision politique…”, a-t-il souligné. Le propos suscite la curiosité de l’assistance et un citoyen ose la question : “Qui est derrière le rideau ?” Noureddine Boukrouh n’hésite pas un instant à répondre : “C’est Abdelaziz Bouteflika. On reconnaît son style dans le déroulement du récent congrès du FLN. Nous, les Algériens, nous aimons bien croire aux mythes. Nous aimons cultiver le doute et le mystère de sorte qu’il y a toujours quelque chose derrière ou quelqu’un derrière quelqu’un d’autre. Dire que Bouteflika est totalement usé et inconscient et que d’autres le tiennent en otage et prennent des décisions à sa place, c’est le dédouaner de ses actes et lui conférer le statut de victime. C’est lui qui est derrière le rideau. Le congrès du FLN est bien son œuvre.” Il trouve ainsi “complètement insensé de dissocier la cause de l’effet”, citant comme exemple le cas du sénateur Salah Goudjil qui “dénonce Amar Saâdani mais dit être d’accord avec Abdelaziz Bouteflika”. Visiblement offusqué, il ajoute : “Comme si ce n’était pas le Président qui avait imposé Saâdani à la tête du FLN !”
“Saâdani, le colonel de la Wilaya III historique” !
Mais Noureddine Boukrouh finira par livrer son véritable sentiment sur le congrès du FLN. Il dit être “écœuré” et qu’il trouvait cela “honteux”. Il se plaint aussi d’être “traumatisé” par ce congrès avant de faire part des raisons à l’origine de son chagrin. “J’ai vu des images d’ambassadeurs de pays étrangers au premier rang de la salle, pendant qu’on leur diffusait un documentaire sur le parcours d’Abdelaziz Bouteflika pendant les années 1960. Voilà qui nous projette dans l’avenir !”, s’exclame-t-il. Et sur la présence du “militant” Abdelmalek Sellal ainsi que plusieurs ministres de son gouvernement au congrès, Noureddine Boukrouh conclut : “Plutôt que le FLN au pouvoir, nous avons désormais le pouvoir au sein du FLN.” Mais même cette réflexion ne lui fait pas admettre qu’il y a une reconfiguration de l’échiquier politique. “Il y a aucune carte politique en Algérie. Il y a de la folie. Sellal et Saâdani jouent le même rôle. Demain, ils peuvent facilement s’échanger les postes et tout sera comme si de rien n’était.” Il ira d’ailleurs chercher les raisons d’un tel constat dans la nature même du système algérien. “Posez-vous la question : ‘Sommes-nous régis par la règle ou l’exception’ ?”, commence-t-il par s’interroger. Et pour mieux conforter son propos, il cite, entre autres, des raisons historiques à cette exception dont il semble convaincu : “Chaque nation a des mythes fondateurs. Nous, Algériens, nous avons de faux mythes fondateurs. Boumediene disait lors de ses passages à la télévision : écrivez l’histoire mais ne citez pas de noms. Nous nous sommes ainsi retrouvés avec des mythes affabulateurs.” Et ce sont ces mythes affabulateurs qui ont fait, à ses yeux, que “demain il ne faudra pas s’étonner de voir Amar Saâdani proclamé colonel de la Wilaya III historique”. Il jure même que le pouvoir “est capable de nous faire admettre que Saâdani était le compagnon d’armes du colonel Amirouche”. C’est ce qui l’amènera à diagnostiquer que “l’Algérie est sur une trajectoire qui mène vers la folie générale”. Il avoue, que lui-même d’ailleurs, commence à le devenir.
“Un diable se cache dans la Constitution”
Cela dit, il n’exclut pas que le scénario qui vient d’avoir lieu au FLN ne soit en relation étroite avec la prochaine révision de la Constitution. Il dit même en être convaincu. “Quelque chose se trame contre l’avenir de l’Algérie. Je ne vois pas d’ouverture pour 2019. Un diable se cache dans la Constitution”, prédit-il. Sur ce chapitre, il rappelle que “ce texte qui concerne tout le peuple algérien est otage d’une seule personne”. C’est ce qui l’amènera à dire : “La Constitution est victime d’un hold-up.” L’assistance jusque-là outrée par le tableau noir dressé par Noureddine Boukrouh, retrouve pour un instant le sourire, lorsqu’il fera remarquer avec beaucoup d’humour : “En fin de compte, l’Algérie n’a pas vraiment besoin d’une Constitution. Nous avons d’ailleurs longtemps vécu en dehors de la Constitution.” L’invité du forum de Liberté a également été interrogé sur l’actualité économique du pays. Mais là encore, il a refusé d’en discuter sérieusement. “Je ne peux pas débattre d’économie puisqu’il n’y en a pas en Algérie. Les grandes nations ont besoin de connaître les indicateurs et autres paramètres économiques alors qu’en Algérie il suffit de savoir si le prix du pétrole a augmenté ou a baissé”, a-t-il expliqué. L’assistance se montre insistante et il ajoute : “Mais de quelle économie pouvons-nous parler du moment qu’Abdelmalek Sellal parle d’économie ! Voulez-vous peut-être parler de l’économie de Saâdani et Haddad ?” Noureddine Boukrouh, qui a insisté sur le fait que “c’est la rente pétrolière qui a permis le paiement de la dette de l’Algérie et non pas Abdelaziz Bouteflika”, a regretté que durant 15 ans de règne la manne financière n’a pas permis le développement économique du pays. Maintenant que la rente est sérieusement menacée par la chute des prix du pétrole, Noureddine Boukrouh professe des années sombres pour l’Algérie. “Nous avons eu 200 000 morts durant la décennie noire et je m’engage devant l’histoire que nous aurons 2 millions de victimes pendant cette décennie, si nous ne redressons pas la situation dans les deux ans à venir.” Il lance, enfin, un appel aux premiers responsables du pays : “Sortez et laissez les choses en l’état. Il est encore possible de sauver la situation sur le plan politique et économique. Il est possible de faire de l’Algérie une puissance sur tous les plans mais chaque jour qui passe s’inscrit dans notre passif.”
M. M.